15ème législature

Question N° 17511
de M. Patrice Verchère (Les Républicains - Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > impôt sur les sociétés

Titre > Chiffre d'affaires réel des entreprises du numérique

Question publiée au JO le : 05/03/2019 page : 2024
Réponse publiée au JO le : 31/12/2019 page : 11518

Texte de la question

M. Patrice Verchère attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur un grave problème d'opacité économique et fiscale, qui n'a pas encore trouvé de solution satisfaisante : il s'agit du montant exact du chiffre d'affaires et des bénéfices que réalisent sur le territoire national les grandes entreprises multinationales du numérique, et notamment Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter et Uber. En effet, il semble que ces géants du numérique n'ont déclaré, jusqu'à présent, au « fisc » qu'une faible partie de leurs revenus générés en France, et donc lui versent des impôts dont le montant ne correspond pas aux bénéfices véritables qu'ils réalisent dans le pays. En 2017, par exemple, la filiale française de Google a déclaré au « fisc » français un chiffre d'affaires de 325 millions d'euros et enregistré une charge d'impôts sur les bénéfices de 14 millions d'euros. Mais en réalité, le chiffre d'affaires effectivement réalisé semble bien plus élevé. Selon une étude du très sérieux cabinet de conseil PWC, réalisée pour le compte du Syndicat des régies internet (SRI), le marché de la publicité sur les moteurs de recherche (dominé à près de 90 % par Google) s'élèverait à lui seul à au moins 2 milliards d'euros par an, en France. La firme Apple, quant à elle, a déclaré en 2017 pour ses deux filiales en France, Apple France SARL et Apple Retail France EURL, 800 millions d'euros, pour une charge d'impôt de 8 millions d'euros. Ces chiffres semblent également très éloignés de la réalité. En effet, si l'on prend en compte le nombre d'appareils vendus en France, on constate qu'Apple a vendu dans le pays en 2017, 4,2 millions de smartphone « iPhone », au prix moyen de 766 dollars, soit un total de 3,2 milliards de dollars. À ces smartphones, il faut ajouter la vente de 793 000 tablettes « iPad », à un prix moyen de 432 dollars, soit 342 millions de dollars. Enfin, 617 000 ordinateurs « Mac » ont été vendus à un prix moyen de 1 400 dollars, soit 863 millions de dollars. Au total, le chiffre d'affaires réalisé en France peut être estimé à 4,4 milliards de dollars, soit 3,9 milliards d'euros. Encore faut-il préciser que cette estimation ne tient pas compte de la vente de services comme « Apple Music ». S'agissant du réseau social Facebook, il a déclaré en France un chiffre d'affaires de 56 millions d'euros et une charge d'impôt de 1,9 million d'euros. Mais, là encore, il semble que le chiffre d'affaires réalisé en France soit bien plus élevé. En effet, le réseau social indique avoir en France 39 millions d'inscrits, dont 35 millions actifs chaque mois. Parallèlement, il indique dans ses comptes qu'en 2017, un utilisateur européen a rapporté 27,41 dollars en moyenne, soit 24,2 euros. Sur ces bases déclaratives, le chiffre d'affaires de Facebook en France peut donc être estimé à au moins 900 millions d'euros. Concernant le géant de la livraison à domicile Amazon, qui emploie dans le pays près de 6 000 personnes, il ne déclare, par l'intermédiaire de sa filiale Amazon France Logistique SAS, qu'un chiffre d'affaires de 380 millions d'euros et une charge d'impôt de 8 millions d'euros. Mais, selon un rapport du cabinet Syndex, la succursale française d'Amazon aurait réalisé un chiffre d'affaires d'un milliard d'euros en 2015. D'après la société britannique Kantar, le chiffre d'affaires d'Amazon aurait même atteint 5,7 milliards d'euros en 2017. Il faut également évoquer le réseau social Twitter, qui a déclaré en 2017, pour sa filiale française, un chiffre d'affaires de 12,3 millions d'euros et une charge d'impôt de 285 810 euros. Ce montant déclaré semble également très en deçà de la réalité, puisque selon l'agence Tiz, le réseau compte 10,3 millions d'utilisateurs dans l'Hexagone. Or en divisant le chiffre d'affaires mondial (2,4 milliards de dollars en 2017) par le nombre d'utilisateurs actifs par mois (330 millions dans le monde à fin 2017), on connaît le chiffre d'affaires moyen par utilisateur et par an : 7,45 dollars, soit 6,6 euros. Le chiffre d'affaires réel en France peut donc être estimé à près de 70 millions d'euros. Enfin, il convient également de citer la plate-forme Uber qui a déclaré un chiffre d'affaires de 52 millions d'euros et une charge d'impôt de 1,4 millions en 2017. Mais, là encore, il semble que ce chiffre soit nettement inférieur à la réalité, puisqu'Uber revendique en France 20 000 chauffeurs. Sachant que chaque chauffeur réaliserait en moyenne 60 000 euros de chiffre d'affaires par an, le chiffre d'affaires réel de cette plate-forme peut être estimé à plus de 240 millions d'euros. Au final, il semblerait donc, si l'on recoupe les meilleures sources disponibles, que le chiffre d'affaires cumulé réel de ces six multinationales numériques, soit d'environ 12,8 milliards d'euros, c'est-à-dire presque huit fois plus important que les 1,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires qu'elles déclarent effectivement au « Fisc ». Si l'on admet cette estimation globale, on observe que les 33,6 millions d'euros sur les sociétés que versent ensemble ces six géants du numérique à l'État français sont très insuffisants et ne correspondent pas à la réalité de leurs chiffres d'affaires et de leurs profits réalisés en France. Si l'on se base en effet sur ce chiffre d'affaires réel, estimé de 12,8 milliards, c'est 264,7 millions d'euros (à régime fiscal inchangé), que ces six sociétés auraient dû payer comme impôts sur les sociétés, ce qui fait apparaître un manque à gagner d'environ 231 millions d'euros par an pour le pays. Alors que l'Union européenne semble incapable d'instaurer au niveau européen, une taxation réelle du chiffre d'affaires de ces sociétés, le Gouvernement a annoncé son intention de vouloir taxer à hauteur de 3 % de leur chiffre d'affaires, ces entreprises du secteur numérique. Toutefois, pour qu'une telle taxation nationale soit possible, encore faut-il que ces entreprises déclarent chaque année le véritable chiffre d'affaires qu'elles réalisent en vendant leurs biens et services en France, ce qui n'est manifestement pas le cas jusqu'à présent. Il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles mesures énergiques et rapides il envisage pour contraindre ces entreprises à publier chaque année, le chiffre d'affaires véritable qu'elles réalisent en France, afin de pouvoir calculer sur des bases réelles et sincères le montant de leur impôt sur les sociétés, de manière à ce qu'il corresponde aux bénéfices effectivement réalisés par ces entreprises en France.

Texte de la réponse

Face aux enjeux évoqués par l'auteur de la question, le Gouvernement français a soutenu l'initiative européenne qui proposait un paquet « numérique » composé d'une directive portant création d'une taxe sur les revenus tirés de l'activité des internautes européens et d'une directive posant les bases de la définition de l'établissement stable numérique. Ce paquet n'a pas su réunir l'unanimité des États membres. En conséquence, la France a institué une taxe nationale sur les services numériques reprenant les grandes lignes du projet de directive et en particulier la notion de valeur créée à partir de l'activité des internautes. La taxe prévoit des règles nouvelles en matière de territorialité et de définition de l'assiette taxable qui permettent de prendre en compte l'ensemble des revenus mondiaux tirés de la fourniture d'un service taxable (intermédiation numérique ou publicité ciblée en ligne) auquel est appliqué un coefficient de présence numérique en France qui correspond à l'activité des utilisateurs français. La loi récemment adoptée par le parlement comporte un ensemble de dispositions permettant à l'administration fiscale de se faire communiquer toutes les données utiles pour le contrôle de la taxe due par les entreprises concernées en plus de toutes les autres dispositions de contrôle susceptibles de s'appliquer à ces entreprises. Cette taxe est une solution intérimaire qui constitue un levier permettant d'avancer dans le cadre des négociations internationales. Ces dernières doivent à terme définir de nouvelles règles fiscales permettant de mieux appréhender l'économie numérique. Les 129 membres du cadre inclusif sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices (BEPS) de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20 ont adopté le 28 mai dernier un programme de travail afin d'aboutir à la conclusion d'un accord consensuel mondial pour taxer les entreprises multinationales d'ici la fin de l'année 2020. Le programme de travail, qui structure les discussions au sein de l'OCDE, repose sur deux « piliers » complémentaires. Le premier pilier prévoit une modification de l'allocation des droits d'imposer entre États, pour résoudre les difficultés qu'engendrent les règles actuelles à appréhender correctement les profits réalisés par les multinationales sur un territoire, particulièrement dans le contexte de la numérisation de l'économie. Le second prévoit quant à lui un ensemble de règles visant à garantir une taxation minimale des bénéfices des entreprises multinationales. Lors de la réunion des ministres des Finances du G7 à Chantilly le 17 et 18 juillet 2019, les ministres ont validé le besoin urgent de remédier à ces défis fiscaux. Ils ont déclaré leur soutien à une solution fondée sur deux piliers, le 1er étant destiné, sans renverser les règles de la fiscalité internationale, à mieux taxer la valeur là où elle est créée. Ils se sont accordés sur le besoin d'une solution simple et administrable et sur la nécessité d'un mécanisme robuste, obligatoire et contraignant de résolution des conflits de double imposition afin d'assurer la sécurité juridique des acteurs et assurer la stabilité du système fiscal international. La réunion des chefs d'État et de Gouvernement du G7 à Biarritz des 24 et 26 août a par ailleurs permis pour la première fois une expression de soutien aux travaux de l'OCDE et à son calendrier au plus haut niveau. Sur la base de principes évoqués dans le communiqué de la réunion de Chantilly, l'OCDE s'est engagée à intensifier ses travaux de façon à développer une approche unifiée, concernant le 1er pilier. Cette approche a été présentée aux ministres du G20 lors de leur réunion du 18 octobre 2019. Elle fait également l'objet d'un processus de consultation publique. Cette approche constitue une base de travail jugée solide par les États pour progresser. Toutefois, son contour et ses paramètres restent à déterminer et feront l'objet de discussions techniques d'ici 2020. Concernant le second pilier, il s'agit d'un mécanisme permettant l'imposition minimale de profits réalisés par les groupes multinationaux, afin de neutraliser l'incitation à localiser profits et entités dans des territoires pratiquant la sous-imposition pour des motifs fiscaux. L'OCDE travaille sur un ensemble de règles destinées à permettre une application coordonnée par les États. Cette organisation s'apprête à publier prochainement un document plus technique aux fins de consultation.