15ème législature

Question N° 17714
de M. Pierre Morel-À-L'Huissier (UDI, Agir et Indépendants - Lozère )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Décisions de rejet sans motivation émanant de la Cour de cassation et de la CEDH

Question publiée au JO le : 12/03/2019 page : 2299
Réponse publiée au JO le : 09/07/2019 page : 6462
Date de signalement: 02/07/2019

Texte de la question

M. Pierre Morel-À-L'Huissier attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la possibilité, pour les « cours de justice supérieures », de rejeter sans motivation les demandes des citoyens. La Cour de cassation peut rejeter, par une décision non spécialement motivée, le pourvoi d'un citoyen, même sur un dossier de droit pénal. De même, la Cour européenne des droits de l'Homme, jusqu'ici très protectrice des droits et libertés individuels, peut juger irrecevable, sans motivation ni contradictoire, la saisine émanant d'un particulier. Cette procédure de rejet semble découler d'une volonté de désengorger les juridictions. Néanmoins, elle porte atteinte au droit à un procès équitable, en ce qu'elle ne permet pas de comprendre les motifs d'une décision de justice, et qu'elle viole le principe du contradictoire. Il souhaite donc l'interroger sur ces dérives et sur les solutions qui pourraient être envisagées.

Texte de la réponse

L'article 1014 du code de procédure civile autorise la Cour de cassation à rejeter de manière non spécialement motivée les pourvois irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Cette disposition ne s'applique toutefois qu'aux pourvois formés en matière civile et n'a pas d'équivalent en matière pénale. En effet, tous les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation sont des arrêts spécialement motivés, rendus après que les parties ont déposé leur mémoire (articles 584 à 590 du code de procédure pénale) et après que les avocats des parties ont été entendus en leurs observations à l'audience (article 602 du code de procédure pénale). Pour le traitement des affaires civiles soumises à la Cour de cassation, l'article 1014 du code de procédure civile prévoit que les chambres civiles de la Cour de cassation peuvent rendre des arrêts non spécialement motivés, les parties ont une connaissance précise des motifs pour lesquels leur pourvoi a été rejeté. Le rapport du conseiller rapporteur leur est en effet systématiquement communiqué avant l'audience. Il y expose les motifs de droit (textes et jurisprudence) justifiant, selon lui, qu'une décision d'irrecevabilité ou de rejet soit rendue sans que l'arrêt soit détaillé. Cette procédure ne porte donc nullement atteinte au droit à un procès équitable. La Cour européenne des droits de l'homme l'a d'ailleurs expressément reconnu dans sa décision de principe Burg et autres contre France (CEDH, décision du 28 janvier 2003, Burg et autres c. France, n° 34763/02), confirmée par l'arrêt Salé contre France (CEDH, arrêt du 21 mars 2006, Salé c. France, n° 39765/04). Devant la CEDH enfin, la possibilité, pour un juge unique, de déclarer la requête irrecevable, a été introduite à l'article 27 de la Convention par le protocole 14, entré en vigueur le 1er juin 2010. Cette possibilité permet de garantir l'effectivité et la célérité du recours devant la Cour européenne pour les requêtes qui ne sont pas manifestement irrecevables. Lors de la conférence de Bruxelles de mars 2015, les Etats membres du Conseil de l'Europe, constatant que la procédure mise en place par le protocole 14 avait permis de résorber en partie le nombre d'affaires pendantes, ont invité la Cour à motiver, de manière brève, ses décisions d'irrecevabilité de juge unique (Déclaration de Bruxelles, point A), 1), d) ). Depuis le mois de juin 2017, la Cour a changé la manière dont elle rend ses décisions de juge unique (Communiqué de presse de la Cour du 1er juin 2017). Au lieu d'une lettre-décision, les requérants reçoivent désormais une décision de la Cour siégeant en formation de juge unique, qui est rédigée dans l'une des langues officielles et signée par un juge unique, ainsi qu'une lettre libellée dans la langue nationale pertinente. La décision mentionne des motifs précis d'irrecevabilité. Cependant, la Cour rend encore des décisions de rejet globales dans certaines affaires, par exemple lorsque des requêtes comportent de nombreux griefs mal fondés, abusifs ou vexatoires.