15ème législature

Question N° 18658
de M. Raphaël Gérard (La République en Marche - Charente-Maritime )
Question écrite
Ministère interrogé > Solidarités et santé
Ministère attributaire > Solidarités et santé

Rubrique > maladies

Titre > Prévalence du VIH chez les femmes en situation de prostitution

Question publiée au JO le : 09/04/2019 page : 3183
Réponse publiée au JO le : 15/10/2019 page : 9118
Date de renouvellement: 30/07/2019

Texte de la question

M. Raphaël Gérard alerte Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les derniers chiffres de Santé publique France qui font état d'une augmentation du nombre de nouvelles contaminations. Alors que le nombre de cas diagnostiqués d'infection par le VIH avait diminué de 5 % entre 2013 et 2016, passant de 6 325 à 6 003, 6 424 nouveaux diagnostics ont été établis en 2017. Dans ce contexte, il s'interroge sur les conséquences des politiques de pénalisation de la prostitution en matière de santé publique et de lutte contre l'épidémie de VIH en France. De fait, les personnes en situation de prostitution appartiennent souvent à des groupes où on observe une incidence au VIH élevée. D'après les données recensées par l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), 93 % des femmes en situation de prostitution sont des femmes étrangères dont 38,5 % sont originaires d'Afrique subsaharienne. Or Santé Publique France observe que les migrants représentent 38 % des découvertes de nouveaux cas de VIH entre 2017 et 2018 dont 90 % sont nés dans un pays d'Afrique subsaharienne. De même, l'étude de santé menée par l'association Transgender Europe dans 7 pays (Géorgie, Pologne, Serbie, Espagne, Suède) fait état d'une surreprésentation des personnes transgenres parmi les personnes en situation de prostitution, une observation partagée par le Mouvement du Nid en France qui affirme que « les personnes [trans] prennent une place de plus en plus large dans le milieu de la prostitution ». Or Santé publique France recense 185 découvertes de séropositivité entre 2012 et septembre 2018 chez des personnes transgenres, dont 66 % en Île-de-France. La majorité (71 %) de ces personnes était née en Amérique (Brésil et Pérou). Il ne s'agit pas là d'affirmer que parmi les nouveaux cas diagnostiqués, une majorité d'entre eux seraient liés à la prostitution. Pour autant, compte tenu de la superposition d'une partie des publics concernés, il y a lieu de s'interroger sur la progression ou non de l'incidence chez les personnes en situation de prostitution/travailleuses du sexe parmi les nouvelles contaminations dont le nombre repart à la hausse depuis 2017. Certes, le rapport de la Haute autorité de la santé (HAS) publié en 2016 sur l'état des personnes en situation de prostitution et des travailleurs du sexe rappelle que les données disponibles en 2016 laissent à penser que le risque d'infection par le VIH au sein de cette population est très modéré : le taux de prévalence du VIH était inférieur à 0,8 % dans la plupart des études, c'est-à-dire identique à la prévalence en population générale en France. L'HAS expliquait ce phénomène par un taux d'usage systématique du préservatif de 95 % pour la pénétration. Toutefois, depuis la promulgation de la loi 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées qui abroge le délit de racolage au profit d'une pénalisation des clients, l'étude d'Hélène Le Bail et Calogero Giametta publiée en avril 2018 indique que les personnes en situation de prostitution/travailleuses du sexe interrogées éprouvent des difficultés à négocier le port du préservatif, compte tenu de la raréfaction des clients et du changement de profil des clients concernés, moins prompts à payer et plus disposés à négocier les termes de l'achat de l'acte sexuel étant donné qu'ils prennent le risque d'être dénoncés. De ce fait, le rapport fait état d'une augmentation des infections sexuellement transmissibles, notamment la syphillis. Par ailleurs, les chiffres des associations communautaires notent une augmentation sensible des dépistages positifs via les TROD : 5 % de nouveaux tests positifs pour Acceptess-T à Paris en 2017. Les chiffres de l'hôpital Bichat à Paris indique 20 fois plus de contamination par le VIH de 2015 à 2017 pour les femmes trans suivies qui vendent des services sexuels au Bois de Boulogne. La Haute autorité de santé note dans son rapport, publié en 2016, que les données concernant la prévalence du VIH, les infections sexuellement transmissibles (IST) et les caractéristiques psycho-médicosociales des personnes en situation de prostitution/travailleuses du sexe demeurent encore trop parcellaires. Toutefois, dans son rapport sur les discriminations publié en 2017, l'association AIDES souligne, à l'aide d'une revue de la littérature intégrant des références internationales, que « les données disponibles n'indiquent pas que l'activité prostitutionnelle est en soi un facteur de risque d'infection au VIH/sida, sauf lorsqu'elle est associée à des facteurs de vulnérabilité psychologique, sociale et économique », ce qui semble être le cas avec la précarisation des prostituées résultant de la pénalisation des clients : d'après l'étude d'Hélène le Bail et Calogero Giametta, près de 78,2 % des personnes interrogées ont vécu une diminution de leurs revenus et 62,9 % ressentent une détérioration de leurs conditions de vie. Dans ce contexte, il apparaît fondamental d'évaluer les effets sanitaires de la loi du 13 avril 2016 afin de voir s'il y a un lien de causalité entre l'interdiction d'achat d'actes sexuels et l'augmentation de l'incidence observée chez les personnes en situation de prostitution/travailleuses du sexe. L'article 22 de la loi prévoit la mise en place d'une mission d'évaluation de l'ensemble des mesures de la loi du 13 avril 2016 confiée à une inspection conjointe sous la responsabilité de l'Inspection générale de l'administration, l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale de la justice et la remise d'un rapport au parlement deux ans après sa promulgation. Aucun rapport n'a été rendu public à ce jour. Aussi, il lui demande quand le rapport sera remis au Parlement.

Texte de la réponse

Les personnes en situation de prostitution sont exposées à des conditions de vie qui portent atteinte à leur santé : exposition au risque de transmission VIH/IST, surexposition aux addictions aux drogues, à l'alcool, état dépressif, pensées suicidaires. Les associations de santé communautaire (Médecins du monde, Act Up, Les amis du bus des femmes en région parisienne, Grisélidis à Toulouse, Cabiria à Lyon), critiques envers la loi du 13 avril 2016, ont dénoncé notamment la pénalisation du « client » qui serait à l'origine d'une augmentation sensible des violences exercées à l'encontre des personnes en situation de prostitution et des risques qu'elles encourent en matière de santé sexuelle, quant à leurs négociations de rapports protégés. A l'égard de cette question sensible, il convient de souligner qu'aucun élément remonté par le secteur associatif subventionné ne permet d'étayer cette hypothèse. Il est rappelé que le service des droits des femmes de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS/SDFE) apporte son soutien financier, via le programme 137, à des associations tête de réseau en matière de prévention, de lutte contre la prostitution et de traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, à savoir l'Amicale du Nid, le Mouvement du Nid, et l'association ALC Nice. Il est également relevé que le Conseil constitutionnel a rendu une décision, le 1er février 2019, sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée, notamment, par le syndicat du travail sexuel (Strass), huit autres associations (dont Médecins du Monde) et cinq "travailleuses du sexe", contre les dispositions de la loi du 13 avril 2016 pénalisant le recours à l'achat d'acte sexuel. Le Conseil constitutionnel a estimé que cette interdiction ne contrevenait pas au respect de la vie privée et à la liberté d'entreprendre, que le législateur avait assuré une conciliation équilibrée entre d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité humaine et d'autre part, la liberté personnelle. De même, il convient de mettre en exergue une étude commanditée en 2018 par la Fondation Scelles et la DGCS/SDFE sur les effets de la loi du 13 avril 2016 au niveau local, à travers la réalisation de quatre monographies dans des villes de densité différente, représentatives de la pluralité de la problématique prostitutionnelle (Paris, Bordeaux, Narbonne, Strasbourg). Cette étude a été finalisée en juin 2019. Sur la problématique de l'évolution sanitaire des personnes prostituées, les chercheurs en charge de l'étude ont fait part de l'absence de données objectives en ce domaine. Toutefois, la mise en place de programmes spécifiques, comme le dispositif POPPY à Bordeaux ou la création de consultations spécifiques à l'Hôtel-Dieu à Paris, devraient permettre d'en disposer à partir de 2020. Enfin, l'évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a été lancée via une lettre de mission mobilisant les corps d'inspection concernés par les différents champs d'application de la loi (IGAS-IGA-IGJ). Cette mission inter-inspections doit permettre de garantir la qualité, l'indépendance et la complétude de l'évaluation et d'asseoir ainsi sa légitimité. La question de la situation sanitaire des personnes prostituées devrait y être abordée. La mission inter-inspections devrait rendre son rapport, avant la fin de l'année 2019.