Livraisons d'armes aux membres de la coalition militaire intervenant au Yemen
Question de :
Mme Élisabeth Toutut-Picard
Haute-Garonne (7e circonscription) - La République en Marche
Mme Élisabeth Toutut-Picard interroge Mme la ministre des armées sur les livraisons d'armes aux membres de la coalition militaire intervenant au Yémen. Selon l'ONU, 10 000 personnes (à majorité des civils) ont été tuées, au moins 40 000 blessées et 2,5 millions déplacées dans le cadre de la guerre que subit ce pays depuis mars 2015. 22,2 millions de personnes auraient besoin d'aide humanitaire ou de protection, 8,4 millions souffrent d'insécurité alimentaire sévère et risquent de mourir de faim, 16 millions n'ont pas accès à l'eau potable et à l'assainissement et 16,4 millions manquent d'accès à des soins de santé adéquats. Le patrimoine culturel (ancienne ville de Shibam, vieille ville de Sanaa, ville historique de Zabid) et naturel du pays (archipel de Socotra) est aussi en grand péril. Le groupe d'experts de l'ONU et diverses organisations internationales ont recensé plusieurs violations du principe de distinction (qui impose le fait de distinguer les populations civiles des combattants lors des attaques) et du principe de précaution (qui implique que les attaques soient menées en veillant constamment à épargner les populations civiles) : hôpitaux, écoles, bâtiments ouverts au public, lieux de prière ont été pris pour cible par les frappes aériennes de la coalition réunie par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les membres de cette coalition ne sont pas seuls responsables, au sens du droit international, les États qui leur fournissent armes, munitions, formation et assistance sont également parties. Selon les annexes au rapport au Parlement 2017 sur les exportations d'armement, la France a régulièrement octroyé, depuis le début de cette guerre, des licences de vente d'armes à des entreprises françaises qui ont ensuite servi aux belligérants. Des livraisons contraires aux engagements de la France pris dans le cadre de la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et du traité sur le commerce des armes ratifié en 2014. Elle lui demande donc si le Gouvernement entend suspendre toutes les livraisons d'armes destinées aux membres de la coalition militaire impliqués dans le conflit au Yémen, dès lors que les Nations unies estiment qu'il y a un risque substantiel que ces armes soient utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire. Elle souhaite aussi connaître les initiatives prises par l'exécutif pour inciter les parties au conflit à y mettre fin.
Réponse publiée le 17 décembre 2019
Les exportations d'armement de la France ont lieu dans le strict respect du droit et de nos engagements internationaux, conformément à un examen interministériel minutieux. Elles ont vocation à appuyer les intérêts stratégiques de la France. Ceux-ci sont nombreux dans la région : protection de nos 40 000 ressortissants dans le golfe arabo-persique, sécurité de nos approvisionnements, notamment à travers le détroit de Bab el Mandeb, stabilité régionale alors que l'Iran étend son influence déstabilisatrice ou encore lutte contre le terrorisme, et en particulier contre Al Qaïda dans la péninsule arabique, qui a commandité les attentats contre Charlie Hebdo. La France entretient donc des coopérations de long terme avec l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, dans de nombreux domaines, qu'ils soient économiques, culturels, éducatifs ou encore en matière de défense. Elle y dispose de plusieurs implantations, points d'appuis essentiels pour nos opérations de lutte contre le terrorisme. Le volet armement constitue l'une des dimensions de cette relation, dans la mesure où il répond avant tout aux besoins légitimes de ces États d'assurer leur propre sécurité. En remettant en cause la sécurité de l'État saoudien, l'action déstabilisatrice des milices houthis fait peser un risque pour la stabilité régionale. La France reconnaît à l'Arabie saoudite son droit à agir en vertu du principe de légitime défense. Mettre un terme, dans leur ensemble, aux exportations d'armement n'est donc pas une option raisonnable au vu des intérêts nationaux dont le gouvernement est comptable. Le gouvernement exerce pour autant la plus grande vigilance sur chaque demande de licence, au cas par cas. Chacune est soupesée en s'appuyant sur des expertises stratégiques, militaires et juridiques pour assurer le respect de nos engagements internationaux. Chaque examen fait appel à des analyses pointues du matériel, de la situation du pays, voire de l'unité à laquelle le matériel serait destiné, de l'industrie, de l'impact possible sur nos propres forces. Les discussions sont longues et menées avec la plus grande minutie. Il n'est pas rare que la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) sollicite des expertises ou un dialogue complémentaires avec l'industriel, qui peut conduire ce dernier à retirer sa demande. Enfin, la France reconnaît l'urgence de mettre un terme au conflit au Yémen, où la situation humanitaire a atteint un stade critique. Ayant pour unique objectif la fin de la guerre et des souffrances qu'elle entraîne, elle soutient pleinement les efforts et l'action diplomatique déployés par l'Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, salue la mise en place d'une trêve et encourage l'établissement d'un cadre de négociation en vue d'un règlement global pour ce pays. Le gouvernement allemand a fait le choix de prolonger la suspension des exportations d'armement vers l'Arabie saoudite jusque mars 2020 ; mais un débat existe en Allemagne, notamment sur le rôle des filiales et des joint ventures, dont l'activité rend le tableau d'ensemble moins univoque. En tout état de cause, ces choix relèvent de prérogatives souveraines ; l'Allemagne n'a ni les mêmes intérêts dans la zone, ni le même profil militaire, ni les mêmes responsabilités internationales. Il est néanmoins souhaitable que nos approches respectives ne mettent pas en difficulté la construction de l'Europe des armements - notamment des grands équipements que nous construirons en commun (avion et char du futur). C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont agréé une approche commune en matière d'exportation, comme prévu par le traité d'Aix-la-Chapelle.
Auteur : Mme Élisabeth Toutut-Picard
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Armées
Ministère répondant : Armées
Dates :
Question publiée le 16 avril 2019
Réponse publiée le 17 décembre 2019