Rubrique > emploi et activité
Titre > Reconquête industrielle ? Les patrons à Versailles, les Luxfer à Pôle emploi
M. François Ruffin interpelle M. le ministre de l'économie et des finances, à propos de sa politique de « reconquête industrielle » : trouvera-t-il bientôt un intitulé plus pompeux, et plus mensonger ? « Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c'est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s'appelle le libéralisme ». Voilà la maxime qui anime, semble-t-il, son ministère. Et qu'ont entendu les salariés de l'usine Luxfer à Bercy même, entre les murs du ministère de l'économie et des finances, tombée des lèvres d'un des hommes de confiance de M. le ministre. Implantée depuis 1939 près de Clermont-Ferrand, Luxfer produit des bombonnes de gaz haute pression. Les bouteilles d'oxygène des hôpitaux, c'est Luxfer. Les extincteurs des pompiers, c'est Luxfer. La ventilation artificielle des malades en insuffisance respiratoire, les incendies éteints, c'est encore Luxfer. Ou plutôt, « c'était », faudrait-il dire. Le 26 novembre 2018, les ouvriers ont appris la fermeture de leur usine par un « manager de transition », dépêché spécialement sur place par la multinationale anglaise. Au même moment, la direction publiait un communiqué : « Face à une concurrence de plus en plus agressive provenant notamment de pays à bas coûts, de fortes pressions à la baisse sur les prix de vente [...], l'entreprise doit aujourd'hui simplifier son outil industriel en réorganisant son activité de production de bouteilles en France ». La « concurrence », alors que Luxfer a, en 2018 dans le monde, réalisé 25 millions de dollars de bénéfices, en progression de 50 % par rapport à l'année précédente. Alors que le site français, à Gerzat, enregistre 9 % de rentabilité, deux millions d'euros de profits, un carnet de commandes plein. C'est un savoir-faire vieux de quatre-vingts ans et unique en Europe qui est sacrifié sur l'autel des actionnaires. Qu'importe : finance oblige, 136 salariés seraient laissés sur le carreau. Les ouvriers ont alors proposé un contre-projet, validé par des experts. Ils sont allés, d'eux-mêmes, chercher un repreneur. Mais balayé d'un revers de main par l'actionnaire, qui préfère la terre brûlée, que rien ne repousse, surtout pas un « concurrent ». Et leur sort s'est réglé ce 27 mars 2019, le jour même du passage de M. le député : 47 000 euros d'indemnités supra-légales et le paiement des quatre mois de grève. Les hôpitaux français et les pompiers français achèteront désormais anglais, ou américain. Quel soutien, au cours de leur bras de fer, ont-ils trouvé dans son ministère ? Aucun. Au contraire, même. À Bercy, Jean-Pierre Floris, le délégué interministériel aux « restructurations » d'entreprises, leur a exposé avec franchise sa vision de l'économie : « Des actionnaires qui détruisent une entreprise, c'est comme un enfant qui casse son jouet, il faut les laisser faire. Ça s'appelle le libéralisme ». Puis il les a mis en garde, suppléant à la fois le patronat et les forces de police : « Faites attention à votre attitude, on ne tolérera pas de débordements ». Entre les financiers et les ouvriers, son camp était choisi. Sa complicité, signée. Et celle de M. le ministre dans la foulée : ne pas s'opposer à une finance qui détruit l'économie comme une nuée de sauterelles. La « laisser faire ». Pour les uns, les réceptions en grande pompe à Versailles. Pour les autres, les files d'attente à Pôle emploi. Dans le cas de Luxfer, comme dans cent autres histoires, son ministère n'a pas bougé. Plus M. le ministre est passif, et complice, plus il se paye de mots : « il faut se battre pour chaque emploi industriel menacé », proclame-t-il. D'où sa question : après le « redressement productif » cher à Hollande et Montebourg, qui se posait déjà là, il lui demande s'il trouvera bientôt un intitulé plus pompeux que « la reconquête industrielle » pour masquer son inaction derrière l'emphase des mots.