Gestion discriminatoire de la pénurie d'Androtardyl
Question de :
Mme Danièle Obono
Paris (17e circonscription) - La France insoumise
Mme Danièle Obono interroge Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la gestion discriminatoire de la pénurie d'Androtardyl. L'Androtardyl, produit par le laboratoire Bayer, est le nom commercial de la testostérone. C'est un médicament indispensable pour les personnes ayant un déficit en testostérone, notamment des suites d'un cancer, ou ayant entamé un parcours de transition de genre. Un retard de prise de traitement peut entraîner des conséquences psycho-physiques graves, telles que bouffées de chaleur, fatigue importante, maux de tête violents. Une interruption plus longue peut entraîner le développement d'ostéoporose et de maladies cardiovasculaires, mais aussi angoisse et dépression. Or selon de nombreuses associations telles que l'association de défense des droits des personnes trans Acceptess-T ou encore Aides, l'Androtardyl fait l'objet de pénuries régulières, avec deux occurrences successives en 2018 et une nouvelle début 2019. Une telle régularité de pénuries serait à imputer à des stratégies industrielles abusives (comme la tendance à n'avoir qu'une source unique de production de matières premières et principes actifs afin de réduire les coûts), ou économiques (comme l'arrêt de commercialisation de « vieux » médicaments jugés non assez rentables pour l'industrie, alors que des patients en ont besoin). À cette situation déjà problématique s'ajoute la discrimination à laquelle font face les personnes trans dans l'accès à ce médicament. Suite à la dernière pénurie, la Société française d'endocrinologie et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont en effet recommandé de réserver les stocks d'Androtardyl aux patients ayant « un réel déficit en testostérone », ou « hypogonadisme sévère » c'est-à-dire une insuffisance de la production hormonale par les testicules. Ce qui exclut les hommes trans. La raison avancée est que l'Androtardyl a été mis sur le marché pour des patients hommes cisgenre ou personnes intersexes, que sa prescription pour des parcours de transition se fait « hors AMM (autorisation de mise sur le marché », donc sous la responsabilité du médecin traitant. Pourtant, l'Androtardyl est aujourd'hui la seule forme commercialisée de testostérone qui soit prise en charge par la sécurité sociale. C'est donc la double peine pour les hommes trans. D'une part avant commercialisation ils n'ont pas été considérés comme public cible du médicament et donc tout n'a pas été fait pour s'assurer qu'il soit adapté à leur corps. Ensuite ils font face au refus de certains médecins de leur prescrire le traitement puis de certaines pharmacies de leur délivrer les stocks restants, ce qui constitue une discrimination en fonction de l'identité de genre. Elle souhaite donc savoir ce que le Gouvernement compte mettre en place pour mettre fin à cette série d'aberrations médicales discriminatoires, afin de s'assurer qu'il soit proposé une testostérone véritablement adaptée aux parcours de transition et remboursée par la sécurité sociale, que l'État impose aux laboratoires un approvisionnement constant des produits existants et qu'en aucune circonstance, une directive discriminatoire ne soit envoyée aux acteurs de santé en cas de pénurie.
Réponse publiée le 15 octobre 2019
La spécialité ANDROTARDYL est indiquée dans le traitement substitutif des hypogonadismes masculins, quand le déficit en testostérone a été confirmé cliniquement et biologiquement. Toute utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM) est possible, sous la responsabilité du médecin, lequel doit notamment la justifier, la consigner dans le dossier médical et en informer son patient, conformément aux dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique. Par ailleurs, lorsque les conditions prévues au 1er alinéa de cet article sont remplies, et lorsque des données existent permettant de présumer d'un rapport bénéfice-risque favorable, l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) peut élaborer des recommandations temporaires d'utilisation (RTU) afin de sécuriser et d'encadrer des usages non conformes à l'AMM. Toutefois, il appartient aux firmes pharmaceutiques de développer des médicaments et des indications thérapeutiques adaptés aux besoins de la médecine et des patients. L'ANSM ne peut les contraindre à de tels développements. S'agissant de l'approvisionnement du marché, l'ANSM a été informée, en date du 10 décembre 2018 par le laboratoire Bayer, de ruptures de stock concernant ANDROTARDYL en raison d'une maintenance plus longue que prévue sur la ligne de production, limitant ainsi les capacités de production. Depuis le début du mois de février 2019, la situation s'est progressivement dirigée vers un retour à la normale et à ce jour, les besoins du marché sont couverts. De façon générale, les ruptures de stocks de médicaments ainsi que les tensions d'approvisionnement ont des origines multifactorielles susceptibles d'intervenir tout au long de la chaîne de production et de distribution. Dans ce cadre, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus de prévenir et de gérer les ruptures de stocks des médicaments et des vaccins qu'ils commercialisent. Ils doivent assurer un approvisionnement approprié et continu du marché national et prendre toute mesure utile pour prévenir et pallier toute difficulté d'approvisionnement. Pour autant, compte tenu de l'augmentation des signalements de ruptures et risques de ruptures de stock constatée ces dernières années, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et son décret d'application du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments ont apporté de nouvelles mesures de prévention et de gestion des ruptures de stock au niveau national afin de redéfinir les instruments à la disposition des pouvoirs publics et de renforcer les obligations qui pèsent sur les acteurs du circuit de fabrication et de distribution. En ce sens, pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) mentionnés à l'article L. 5111-4 du code de la santé publique et pour certains vaccins mentionnés par l'arrêté du 26 juillet 2016 pour lesquels du fait de leurs caractéristiques, la rupture ou le risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave et immédiat, les entreprises exploitant ces médicaments sont désormais contraintes d'élaborer et de mettre en place des plans de gestion des pénuries (PGP) dont l'objet est de prévenir et de pallier toute rupture de stock. Dans ce cadre, l'ANSM intervient lorsqu'une rupture de stocks ou un risque de rupture lui est signalé, afin d'assurer au mieux la sécurisation, au plan national, de l'accès des patients aux MITM ne disposant pas d'alternatives thérapeutiques, par l'accompagnement des laboratoires dans la gestion de telles difficultés (notamment par le biais de contingentement des stocks et de l'information des professionnels de santé et des patients). Pour autant, elle ne peut se substituer aux industriels en ce qui concerne la production ou le stockage de médicaments, ni imposer de contraintes précises en la matière à ce jour. De plus, il appartient à l'ANSM de publier, sur son site internet (www.ansm.sante.fr), la liste des MITM ne disposant pas d'alternatives thérapeutiques appropriées ou disponibles en quantité suffisante pour lesquels une rupture ou un risque de rupture de stock est mis en évidence. Cette liste est accompagnée d'un certain nombre de documents d'information à l'attention des professionnels de santé et des patients, sur la situation relative à l'approvisionnement de la spécialité concernée ainsi que sur les mesures mises en œuvre pour assurer le traitement des patients. Cette liste permet par ailleurs de signifier aux grossistes-répartiteurs l'interdiction d'export des médicaments concernés durant la rupture ou tension d'approvisionnement. Enfin, le fait pour un laboratoire pharmaceutique de ne pas respecter l'obligation d'information de tout risque de rupture de stock ou de toute rupture de stock qui lui incombe ou le fait de ne pas respecter son obligation de mettre en place des solutions alternatives ou des mesures prévues par les PGP et des mesures d'accompagnement des professionnels de santé et des patients, l'expose à des sanctions financières prononcées par l'ANSM, pouvant aller jusqu'à 30% du chiffre d'affaires réalisé en France par le produit concerné. Dans le même sens, la méconnaissance pour un grossiste-répartiteur de ses obligations de service public est également passible de sanction financière. Pour autant, et même si ces dispositions ne sont entrées en vigueur qu'en janvier 2017 et ont fait l'objet d'une mise en œuvre progressive par les industriels concernés, ces mesures n'ont pas suffisamment permis de pallier les ruptures de stocks de médicaments. En effet, le bilan dressé en 2018 montre une augmentation de plus de 40% de rupture de stock et permet de pointer les axes d'amélioration qu'il convient de renforcer, notamment au regard des propositions issues du rapport de la mission d'information du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool sur les pénuries de médicaments et de vaccins du 2 octobre 2018. Celles-ci ont fait l'objet d'un examen par les services du ministère chargé de la santé. Certaines de ces propositions ont été intégrées à la feuille de route 2019-2022 visant à lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France, présentée le 8 juillet 2019 par la ministre des solidarités et de la santé.
Auteur : Mme Danièle Obono
Type de question : Question écrite
Rubrique : Pharmacie et médicaments
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Dates :
Question publiée le 11 juin 2019
Réponse publiée le 15 octobre 2019