15ème législature

Question N° 21263
de Mme Valérie Boyer (Les Républicains - Bouches-du-Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Égalité femmes hommes et lutte contre les discriminations
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > femmes

Titre > Violences conjugales physiques et sexuelles

Question publiée au JO le : 09/07/2019 page : 6295
Réponse publiée au JO le : 10/12/2019 page : 10771
Date de changement d'attribution: 16/07/2019

Texte de la question

Mme Valérie Boyer attire l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, sur le nombre insupportable de femmes tuées depuis le 1er janvier 2019 en France dans le cadre de violences conjugales. En effet, depuis le début de l'année 2019, 71 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex) conjoint. La dernière victime, âgée tout juste de 20 ans, et enceinte de 3 mois, venait de déposer une main courante avant d'être tuée par son compagnon de 22 ans. Un nouvel appel au secours resté sans réponse qui témoigne des insuffisances et des manquements de la législation et du système judiciaire. Au total, une femme meurt tous les deux jours en France sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. En effet, les actes commis par le conjoint ou l'ex-conjoint représentent deux tiers des violences volontaires. Mais elles sont six par heure dans le monde à mourir dans les mêmes circonstances. Néanmoins, Mme la députée invite à ne pas oublier pour autant que les violences conjugales concernent également les hommes (21 hommes ont été tués en 2017 par leur conjoint ou ex-conjoint), et les enfants. En France, il est estimé qu'il y a, en moyenne, 225 000 femmes par an victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire : plus de 150 000 d'entre elles ont subi uniquement des violences physiques, plus de 30 000 uniquement sexuelles et plus de 30 000 ont subi des violences des deux ordres. 75 % des victimes déclarent avoir subi des violences répétées auxquelles s'ajoutent des violences psychologiques et verbales dans 80 % des cas. Cependant, moins d'une victime sur cinq déclare avoir déposé plainte. 50 % de ces victimes n'ont tout simplement jamais fait de démarche auprès des services de police ou d'une association. Mais, face à ces chiffres effarants, et relativement anciens, force est de constater que les réponses pénales ne suivent pas. En effet, près de 70 000 auteurs présumés ont été impliqués dans des affaires de violences entre partenaires en 2017 mais seuls 23 900 ont fait l'objet de poursuites et 2 300 ont accepté et exécuté effectivement une peine. Si 17 600 de ces auteurs ont été condamnés pour des violences sur leurs partenaires ou ex-partenaires, 16 300 ont bénéficié d'un classement sans suite dans le cadre d'une procédure alternative aux poursuites. Comment ces violences peuvent rester impunies ? De tels chiffres devraient déboucher sur une remise en question approfondie du système et inciter le Gouvernement à faire de la lutte contre les violences conjugales, à l'instar de François Fillon en 2009, une « grande cause nationale ». Les violences sexuelles ont également attiré l'attention de Mme la députée. D'autant plus qu'en 2018, les plaintes pour viols ont augmenté de près de 17 % et celles pour agressions sexuelles de 20 %. Les révélations de l'Affaire Weinstein et le mouvement « MeToo » ont généré une augmentation du nombre de plaintes. Effectivement, depuis octobre 2017, le nombre de victimes enregistrées sur une année par les forces de sécurité a augmenté de 23 %. Mais, si ces actualités ont permis de faire entendre les voix des victimes, elles ne rendent malheureusement pas plus efficace le système de sanctions et de protection. En moyenne, 94 000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols par an. Dans 91 % des cas, l'agresseur est connu de la victime et dans 47 % il s'agit du conjoint ou de l'ex-conjoint. Pourtant, seulement 1 femme sur 10 déclare avoir déposé plainte suite à un viol. En 2017, 42 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées par les services de polices et de gendarmerie. Ces victimes sont mineures dans la moitié des cas. Pour ces victimes mineures, ces agressions sexuelles surviennent dans le cercle familial de la victime dans un tiers des situations. Mais une fois encore, sur les 33 000 auteurs présumés impliqués dans ces affaires de violences sexuelles traitées par les parquets en 2017, seulement 9 100 ont fait l'objet de poursuites et seuls 50 de ces auteurs ont accepté et exécuté leur peine. Au total 5 700 auteurs ont été condamnés pour violences sexuelles mais 1 950 ont été classés sans suite, toujours dans le cadre d'une procédure alternative aux poursuites. De plus, Mme la députée rappelle que 80 % des affaires de viols font l'objet d'une correctionnalisation. Une requalification insupportable qui a pour objectif de désengorger les tribunaux. Pourtant, le viol est un crime depuis 1980 et doit être jugé en tant que tel. Elle regrette que ces données soient trop anciennes. Parues dans la lettre annuelle de l'Observatoire national des violences faites aux femmes de 2017, il serait intéressant de connaître précisément le nombre de violences physiques, de viols, d'agressions sexuelles ainsi que les âges des victimes de l'année 2018 et de ces derniers mois. Elle lui demande également combien de plaintes ont été déposées pour chacune de ces formes de violences et le nombre de condamnations. Enfin, elle l'interroge sur la nature de ces condamnations et des mesures punitives existantes. Un rapport complet sur ces violences conjugales serait bénéfique afin de pouvoir ensuite évaluer la pertinence et l'efficacité des mesures existantes et lutter efficacement contre ces violences conjugales.

Texte de la réponse

La lutte contre les violences conjugales est une priorité d'action majeure du ministère de la justice comme en atteste la circulaire relative à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes du 9 mai 2019. Celle-ci donne des directives de politique pénale aux procureurs de la République afin que la protection des victimes de violences conjugales soit mieux prise en compte. Ainsi, elle propose de favoriser le recours accru au dispositif civil de l'ordonnance de protection notamment en invitant les procureurs de la République à solliciter d'initiative la délivrance d'une telle ordonnance, spécialement lorsque la victime est en grande difficulté pour effectuer une telle démarche comme par exemple en cas d'hospitalisation ou encore en cas d'emprise forte de l'auteur des violences. D'autres outils actuellement en cours d'élaboration par les services du ministère de la justice viendront accompagner cette circulaire conformément aux annonces faites lors du Grenelle contre les violences faites aux femmes qui a débuté le 3 septembre. Parmi ces outils figure un guide pratique de l'ordonnance de protection destiné non seulement aux magistrats mais aussi aux victimes et à tous les professionnels impliqués dans la lutte contre les violences conjugales. Par ailleurs, la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique avait prévu l'expérimentation pour une durée de trois ans du « dispositif électronique de protection anti-rapprochement », visant à améliorer la protection des victimes de violences conjugales et à garantir le respect de l'interdiction faite à l'auteur de violences conjugales d'entrer en contact avec la victime. Pour autant, le cadre légal permettant de recourir à ce dispositif, qui a pour objet de créer une zone de protection autour de la victime, dans laquelle le conjoint violent à l'interdiction de pénétrer, est actuellement trop limité. Le placement d'une personne sous surveillance électronique mobile suppose en effet qu'elle soit déjà mise en examen ou qu'elle soit condamnée, cela dans des conditions très restrictives. Plutôt qu'une nouvelle expérimentation sur la base légale existante, une proposition de loi sera donc votée à l'automne afin de pouvoir étendre le plus rapidement possible les conditions juridiques permettant le prononcé du bracelet anti-rapprochement (BAR). Chaque année, dans le cadre de l'élaboration du rapport annuel du ministère public, le ministère de la justice recueille les rapports des parquets sur la mise en œuvre de la politique pénale en matière de violences conjugales, permettant ainsi de recueillir les bonnes pratiques et de nourrir les analyses effectuées dans le cadre des projets de réforme en la matière. Ainsi, en 2017, l'ensemble des parquets a été interrogé sur la mise en œuvre des dispositifs d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Dans le cadre du questionnaire relatif au rapport pour l'année 2019, des questions spécifiques portent sur la mise en œuvre de la loi du 3 août 2018 et de la circulaire du 9 mai 2019 relative à l'amélioration du traitement des violences conjugales et la protection des victimes. Concernant la répression des violences sexuelles, les réformes législatives récentes ont permis de renforcer les réponses existantes. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a permis de préciser la définition du viol, d'allonger les délais de prescription pour les infractions de nature sexuelle commises au préjudice de mineurs de 20 à 30 ans, et a créé de nouvelles infractions telles que l'administration de substances en vue de commettre un viol. Désormais, un écart d'âge important entre l'auteur et la victime d'une infraction sexuelle ou l'existence d'une relation d'autorité peuvent permettre de caractériser la contrainte ou la surprise dans le cadre d'une agression sexuelle ou d'un viol. La loi de réforme et de programmation pour la justice du 23 mars 2019 a, quant à elle, permis l'expérimentation, pendant une durée de trois ans, d'une cour criminelle départementale, qui a pour objectif, dans les sept ressorts sélectionnés, d'accélérer le traitement d'affaires criminelles habituellement correctionnalisées, en les faisant juger par des magistrats professionnels. Le ministère de la justice ne dispose pas du nombre de plaintes déposées pour ces infractions, lequel relève du ministère de l'Intérieur, et ne peut fournir de données pertinentes que sur les seules parties civiles. Concernant les infractions commises par le conjoint ou ex-conjoint [1], les condamnations inscrites au Casier judiciaire national [2], en matière criminelle, permettent d'observer que l'emprisonnement ferme ou la réclusion est prononcée de façon quasi systématique, la moyenne des peines prononcées sur la période 2013-2017 étant d'environ 12,5 ans. En matière délictuelle, la sévérité des peines prononcées s'accroît sensiblement depuis 1998. Pour les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 8 jours, le taux d'emprisonnement ferme atteint 36,9 % sur la période 2013-2017, pour un quantum moyen de 11,5 mois sur l'ensemble de la période. De même, concernant les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours, le taux d'emprisonnement ferme augmente de manière sensible, passant de 15,8 % entre 1998 et 2002 à 26,6 % entre 2013 et 2017, tandis que le quantum ferme croît également, de 5,6 mois entre 1998 et 2002 à 7,1 mois entre 2013 et 2017. Les violences n'ayant entraîné aucune ITT présentent un recours à l'emprisonnement ferme en hausse régulière et sensible (de 20 % à 30 % sur la période 1998-2017), le quantum moyen étant stable depuis 2003 autour de 6,8 mois. Parmi la très grande variété des mesures pouvant être prononcées lors d'une condamnation pour une infraction entrant dans le champ des violences conjugales, on note le développement rapide du stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, prononcé 682 fois en 2017 contre 207 fois en 2016 (compositions pénales inclues). Ces affaires, qui impliquent en matière criminelle une information judiciaire et une audience devant la cour d'assises, ne permettent pas de disposer d'un nombre de victimes exact pour l'année en cours.