Question de : M. Bastien Lachaud (Ile-de-France - La France insoumise)

M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur la politique française vis-à-vis de la monnaie digitale Libra envisagée par le géant américain Facebook. En effet, l'entreprise envisage de lancer cette monnaie au premier semestre 2020, pour pouvoir servir à échanger entre les 2,3 milliards d'utilisateurs du réseau social, mais plus largement en dehors : l'ambition affichée est d'inciter les commerçants à proposer des paiements directement dans cette monnaie. Le conseil d'administration de Libra ambitionne d' « ajouter d'autres services pour les gens et les entreprises, comme payer des factures en appuyant sur un bouton, régler un café en scannant un code, ou prendre les transports en commun sans avoir de liquide ou de titre de transport sur soi ». Plus encore, il s'agit de toucher des personnes qui n'ont pas de compte bancaire, pour qu'ils puissent transférer de l'argent via des applications détenues par l'entreprise comme Messenger ou Whatsapp. Ce projet doit particulièrement inquiéter le Gouvernement, tout comme la représentation nationale, car il menace directement la souveraineté monétaire des pays. M. le ministre s'est déjà exprimé sur les risques que faisait courir cette nouvelle monnaie à la souveraineté. En effet, si un nombre significatif de personnes adoptait cette monnaie, elle ferait concurrence aux monnaies des États, en étant contrôlée uniquement par des intérêts privés. Les organisations multinationales, qui ont déjà un pouvoir exorbitant, peuvent déjà menacer les législations souveraines des États via les tribunaux d'arbitrage, pourraient acquérir ce nouveau pouvoir économique exorbitant. Le principe de délibération démocratique des actions économiques serait ainsi subordonné à la capacité des entreprises de décider d'une politique différente, voire contradictoire. La notion même de souveraineté deviendrait discutable dans de telles conditions. Plus encore, la Cour de justice européenne a statué en 2015 sur le bitcoin, autre crypto monnaie, et déclaré que les prestations d'échange de bitcoins contre une devise sont une acticité de prestation de services, et que ces opérations sont exonérées de TVA. Qu'en serait-il de cette nouvelle monnaie ? Celle-ci remettrait-elle en cause le paiement de cette taxe à l'État ? Étant donné le fiasco de la taxe européenne sur les GAFAM, et la démonstration faite, selon les mots de M. le ministre, que l'Europe est inutile, pour réguler ces entreprises, il souhaite apprendre de sa part quelles mesures protectionnistes il compte prendre pour préserver la France de cette menace directe sur sa souveraineté.

Réponse publiée le 4 février 2020

La France a affirmé avec le Président de la République sa détermination à faire la course en tête sur les technologies financières. Elle est à la pointe de l'innovation et compte bien le rester. C'est pourquoi elle a défini un cadre novateur pour la Blockchain avec la loi Pacte. Ainsi, le cadre créé par la loi Pacte relatif aux « actifs numériques » prévoit pour les prestataires de services de conservation d'actifs numériques et d'achat/vente d'actifs numériques contre de la monnaie légale un enregistrement obligatoire auprès de l'AMF. La loi Pacte prévoit également que ces entreprises devront respecter les obligations classiques de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). L'ensemble des textes d'application ont été publiés, rendant le dispositif dès à présent opérationnel. Des acteurs innovants manifestent déjà leur intérêt pour ces nouvelles dispositions. Cependant, ce cadre n'a pas été conçu pour des projets comme Libra, porté par Facebook et plusieurs multinationales partenaires, qui soulèvent des enjeux et des risques majeurs et inédits. En effet, des questions spécifiques d'un tel global stablecoin se posent par rapport aux autres cryptoactifs en raison de son possible déploiement à grande échelle (près de 2,5 milliards d'utilisateurs des plateformes de Facebook, Messenger et Whatsapp), qui pourrait effectivement mettre en péril la prérogative fondamentale qu'est la souveraineté monétaire des États. Il faut absolument qu'un équilibre soit trouvé entre les nouvelles technologies et le respect de la souveraineté monétaire et fiscale des États. Nulle entreprise ne saurait nuire à l'intérêt souverain de la nation, sous quelque prétexte que ce soit. Dès lors, la France, en qualité de présidente, a initié une mobilisation avec ses partenaires du G7 en demandant à M. Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, de piloter un groupe de travail chargé d'étudier les enjeux et risques des global stablecoins, dont Libra ferait partie. Ce travail est aujourd'hui approfondi au sein du Conseil de stabilité financière et du Groupe d'action financière qui rapportera dans les prochains mois au G20 des propositions d'encadrement dédiées à des actifs numériques de grande ampleur et de coordination internationale. En tout état de cause, le projet Libra tel qu'il apparait à ce stade, n'est pas acceptable, car au-delà des problèmes de sécurité et de stabilité financière qu'il soulève, Libra demande en réalité aux États de partager leur souveraineté monétaire avec une entreprise privée. Néanmoins, le projet Libra a le mérite de pointer certaines difficultés en matière de transactions financières, notamment de paiements transfrontaliers, auxquelles nous tâchons activement de remédier. À cet égard, l'amélioration des paiements intra-européens, via l'investissement dans des infrastructures de paiement instantané, et l'amélioration des paiements internationaux, via une coopération internationale accrue, sont des vecteurs d'avancées importantes. L'émergence et le développement de solutions innovantes sont susceptibles d'améliorer le système international des paiements et ainsi favoriser l'inclusion financière des zones isolées – deux des principales vocations de Libra –, voire de totalement remodeler le paysage des paiements.

Données clés

Auteur : M. Bastien Lachaud (Ile-de-France - La France insoumise)

Type de question : Question écrite

Rubrique : Moyens de paiement

Ministère interrogé : Économie et finances

Ministère répondant : Économie et finances

Dates :
Question publiée le 1er octobre 2019
Réponse publiée le 4 février 2020

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