15ème législature

Question N° 23671
de M. Bastien Lachaud (La France insoumise - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Éducation nationale et jeunesse
Ministère attributaire > Éducation nationale et jeunesse

Rubrique > enseignement

Titre > Risques professionnels dans l'éducation nationale

Question publiée au JO le : 15/10/2019 page : 8619
Réponse publiée au JO le : 24/03/2020 page : 2347

Texte de la question

M. Bastien Lachaud alerte M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur la prévention des risques professionnels et psychosociaux chez les personnels de l'éducation nationale. La situation actuelle est en effet extrêmement alarmante. De fait, l'éducation nationale est dépourvue des outils médicaux permettant de prévenir les risques et de garantir la bonne santé de ses agents, faute des personnels et des financements nécessaires. Il est ainsi constaté une pénurie aiguë de médecins de prévention. Selon le « Rapport annuel - Bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans les services et établissements du ministère de l'Éducation nationale », adopté par le CHSCT ministériel en juin 2017, 83 médecins de prévention seraient en poste dans les académies (60,8 ETP) pour un effectif de 946 903 agents, soit un taux de suivi de 1 médecin pour 11 408 agents. De source syndicale, certaines académies seraient même totalement dépourvues de médecins de prévention. Et là où ils sont présents, les conditions matérielles d'exercices de leurs fonctions sont trop souvent indigentes et ne permettent pas de remplir efficacement leurs tâches. Pire encore, l'éducation nationale semble même incapable de faire le diagnostic précis des dangers affectant ses personnels. Faute d'outils de mesure ou de volonté politique, l'on ne dispose d'aucun chiffre précis quant aux risques professionnels et psychosociaux. En 2015, le rapport du médiateur de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur constatait ainsi que « la souffrance ordinaire des enseignants reste largement invisible de l'institution scolaire et de la hiérarchie administrative ». Le chiffre de 39 cas de suicides pour 100 000, soit un taux 2,4 fois élevé parmi les enseignants que pour la moyenne des salariés, circule par exemple, mais l'étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à laquelle ce constat est attribué remonterait à 2002 et n'est plus disponible. La plus grande opacité règne, contraignant les syndicats et collectifs de personnels à faire appel à la solidarité et au volontariat pour tenter d'établir un état des lieux de la situation, qui ne peut, par nature, être suffisamment précis pour prendre la pleine mesure des risques et mettre en place une réponse adéquate. En laissant perdurer une telle situation dans l'éducation nationale, l'État contrevient à son obligation légale de garantir l'intégrité de ses personnels. Le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique prévoit ainsi, pour ce qui est de la médecine de prévention une surveillance médicale annuelle pour les agents à situation médicale particulière (article 24) et une visite médicale tous les cinq ans maximum pour l'ensemble des agents (article 24-1). Le code de l'éducation prévoit en outre que l'ensemble des personnels se trouvant en contact avec les élèves fasse l'objet, au moins tous les deux ans, à un examen médical de dépistage des maladies contagieuses, réalisé par le médecin scolaire. Dans l'état présent de sous-effectif et d'incurie de la médecine de prévention, ces dispositions se trouvent totalement bafouées : la plupart des agents de l'éducation nationale ne passent en réalité qu'une seule visite médicale au cours de leur carrière, au moment de leur recrutement, le suivi étant pratiquement inexistant. Plus largement, la question des risques médicaux, et en particulier psychosociaux auxquels sont exposés les personnels de l'éducation nationale ne peut être circonscrite au seul champ de la médecine de prévention. Elle met en question des évolutions plus larges de l'institution scolaire. Ainsi, le développement de la souffrance au travail est lié à la dégradation générale des conditions d'exercice du métier éprouvée par les enseignants et l'ensemble des personnels, et que pointent l'ensemble des organisations syndicales depuis des années. Le manque de moyens humains et matériels, la succession de réformes menées à marche forcée, les rythmes de travail intenables de personnels surchargés de tâches, la restriction de la liberté pédagogique de l'enseignant, l'absence de soutien de la part de la hiérarchie, l'introduction de techniques de gestion managériale d'une brutalité parfois inouïe, sont autant d'orientations qui doivent impérativement être revues si l'on veut réellement protéger les personnels. En l'absence de mesures allant dans ce sens, les conséquences de la situation actuelle ne manquent pas d'être dévastatrices. L'émotion générale qu'a soulevée en septembre 2019 le suicide de Christine Renon, directrice d'école à Pantin, qui a motivé son geste par l'extrême souffrance au travail à laquelle elle était exposée, et l'absence de soutien de la part de l'institution, devrait rappeler M. le ministre à la réalité : la souffrance au travail est un sentiment quotidien pour un très grand nombre de personnels de l'éducation nationale, au point qu'il pousse certains d'entre eux à bout, jusqu'au burn-out, voire à l'irréparable. Malgré l'absence de chiffres officiels, il est certain que le geste de Christine Renon n'est pas isolé : les syndicats et la presse se sont ainsi fait l'écho de plusieurs suicides au cours des derniers mois - le chiffre de 8 suicides depuis la rentrée 2019 a circulé. La souffrance au travail, à la fois aiguë et diffuse, est omniprésente. Les risques psychosociaux ne sont par ailleurs pas les seuls risques médicaux liés à l'activité professionnelle qu'encourent les personnels de l'éducation nationale : les troubles musculo-squelettiques, les problèmes liés à la voix, la vue, l'exposition à l'amiante, doivent également être pris en compte. Il ne saurait être question de nier ou de minimiser ces faits, comme l'institution cherche trop souvent à le faire. C'est pourquoi il souhaite apprendre de sa part les mesures qu'il compte prendre pour garantir enfin la sécurité au travail et le bien-être des agents de l'éducation nationale. Il demande au ministre de faire la lumière sur les suicides, la souffrance au travail et les risques médicaux parmi les personnels en mettant en place des outils de mesure des risques professionnels et psychosociaux au travail, et en assurant la publication régulière et transparente des données que ceux-ci auront permis d'obtenir. M. le député préconise encore de prendre dans les meilleurs détails toutes les dispositions nécessaires pour mettre un terme à la situation d'indigence et même d'illégalité qui prévaut actuellement dans le domaine de la médecine de prévention, et doter l'éducation nationale d'une médecine du travail digne de ce nom et des obligations de l'État envers ses agents. Il s'agirait notamment d'accélérer le recrutement de médecins de prévention, en intégrant les dispositions nécessaires au prochain projet de loi de finances, de telle sorte à engager un effort rapide et tangible - loin des annonces creuses et sans effet auxquelles l'action des gouvernements successifs s'est très largement limitée en la matière depuis une décennie. De source syndicale, 300 à 400 médecins de prévention devraient être recrutés aussi rapidement que possible afin de mettre en place un outil médical efficace au sein de l'éducation nationale. Il lui demande enfin d'entendre les revendications des personnels de l'éducation nationale qui dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail, et d'en tirer les conséquences en cessant de mettre en œuvre une politique qui les brutalise et en déployant au contraire tous les efforts nécessaires pour leur donner les moyens de travailler sereinement.

Texte de la réponse

Le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) prend les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé et pour l'amélioration des conditions de travail de ses personnels. Il applique les principes généraux de prévention définis dans le code du travail et met en place une organisation permettant de mener des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation. Parmi celles-ci : - une circulaire destinée à cadrer les actions prioritaires à mettre en œuvre en matière de prévention des RPS sur l'ensemble du territoire a été élaborée par la DGRH en 2016. Elle était accompagnée d'outils méthodologiques sur lesquels les académies peuvent s'appuyer pour conduire leurs propres actions (des outils d'aide au diagnostic et un vademecum en matière de prévention des RPS) ; - les orientations stratégiques ministérielles annuelles du CHSCTMEN (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel de l'éducation nationale), rappellent que la prévention des RPS est une priorité nationale dans le cadre de la prévention des risques professionnels particuliers ; - une convention de partenariat a été conclue avec l'ANACT (agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) sur la mise en œuvre de la politique de prévention des RPS du MENJ ; - des dispositifs permettant de préserver la santé et assurer le bien-être des personnels ont été développés par le MENJ en partenariat avec la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN). Il s'agit d'actions de promotion de la qualité de vie au travail et de prévention des risques professionnels dans le cadre des Réseaux académiques de Prévention d'Aide et de Suivi (Réseaux PAS). Il s'agit d'actions collectives et/ou individuelles, mises en place en complémentarité avec les services de l'Éducation nationale et de la jeunesse comme la prévention des TMS, des formations sur la voix ou encore la mise à disposition d'un espace d'accueil et d'écoute pour les personnels qui souhaiteraient un entretien avec un psychologue ;  - un séminaire national dédié à la prévention des RPS avec le concours de l'ANACT et de la MGEN afin de poursuivre l'accompagnement méthodologique des académies en matière de prévention des RPS et d'initialisation de démarche de qualité de vie au travail est organisé chaque année par le ministère depuis 2016 ; Enfin, un CHSCTMEN extraordinaire, présentant le recensement des actes suicidaires et des moyens de prévention, s'est tenu le 6 novembre 2019. Lors de ce CHSCT, les travaux de l'inspection générale menés à la demande du ministre ont permis de présenter le recensement des actes suicidaires au plan national. Sur l'année 2018-19 cela représente 58 suicides sur les 992.600 membres du personnel du ministère (hors personnel de l'enseignement privé sous contrat). Pour l'année scolaire en cours 2019-2020, 11 agents ont mis fin à leurs jours à la date du 6 novembre 2019. Les travaux en cours sur les métiers et les missions des directeurs d'école ont également été rappelés et de nouveaux axes de travail ont été discutés et retenus : - l'ouverture d'un groupe de travail dédié à la prévention de l'alerte suicidaire et sur une offre de formation à destination des acteurs de la prévention et des encadrants dans les prochaines semaines ; - le lancement d'une campagne nationale de recrutement des médecins de prévention.