15ème législature

Question N° 23910
de M. Jean-Philippe Nilor (Gauche démocrate et républicaine - Martinique )
Question écrite
Ministère interrogé > Éducation nationale et jeunesse
Ministère attributaire > Éducation nationale, jeunesse et sports

Rubrique > outre-mer

Titre > Enseignement du créole

Question publiée au JO le : 22/10/2019 page : 9322
Réponse publiée au JO le : 03/11/2020 page : 7787
Date de changement d'attribution: 07/07/2020
Date de signalement: 06/10/2020

Texte de la question

M. Jean-Philippe Nilor alerte M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur les conséquences de la réforme de l'enseignement sur les langues régionales, notamment le créole. La communauté éducative ultramarine est inquiète. En Martinique, des voix s'élèvent pour dénoncer cette réforme prochaine qui consiste à abaisser de 4 à 2 le coefficient affecté aux langues régionales. Si elle devait se concrétiser, il s'agirait d'une grave menace sur l'enseignement du créole, langue vivante parlée dans la plupart des territoires insulaires qui composent l'ensemble français. En outre, il est le trait d'union qui lie les Antillais aux autres peuples de la Caraïbe, région à laquelle les Antilles appartiennent. Parmi les langues dites régionales, le créole occupe une place non négligeable. Ce sont 19 385 022 habitants qui le pratiquent dans la Caraïbe, l'océan Indien et en Amérique du Nord. Pour la seule région Antilles Guyane, ils sont 1 099 500. En Martinique, chaque année le CAPES créole attire un nombre significatif d'étudiants. Un engouement qui rend compte de la place grandissante de l'enseignement de cette langue dans le système éducatif et de son rôle dans l'épanouissement des jeunes Martiniquais et du corps enseignant. Dans ce contexte, le projet de réforme enverrait un mauvais signal à la société. Il risque de précariser des enseignants méritants et détourner de nombreux étudiants de l'apprentissage des langues dites régionales. Pour comprendre l'indignation de la communauté scolaire, il faut se rappeler que le droit à l'enseignement du créole a été conquis de haute lutte et a contribué à valoriser un pan entier du patrimoine immatériel qui prend ses racines dans l'histoire. Il est aussi nécessaire de rappeler que de nombreuses générations de Martiniquais sont restées sur le bord de la route pour ne pas avoir eu la possibilité - plutôt l'autorisation - de conceptualiser et de s'exprimer dans leur langue maternelle alors qu'ils fréquentaient les écoles de la République. Pour tous ceux qui, aujourd'hui encore, s'enlisent dans les dédales de l'exclusion sociale, la langue créole constitue le fil ténu de leurs interactions. L'artefact par lequel ils sont et demeurent au monde. Qu'en serait-il de leur sentiment d'appartenance à un groupe social de référence si leur filiation identitaire est remise en cause ? Cette mesure touche au fondement même des sociétés. Au demeurant, serait-ce une tentative pernicieuse d'inhibition des facultés linguistiques ? Ou alors, un recul social en totale opposition avec les valeurs républicaines ? Il conteste et s'oppose à cette réforme en ce qu'elle tend à stigmatiser des populations entières et - pire - discriminer des générations futures dans ce qui forge leur identité singulière. La fonction de la langue dans la construction de l'individu et son rôle dans le processus - sans cesse inachevé - de l'éducation citoyenne et du rapport au monde est un fait établi. En sous-tendant l'idée d'une hiérarchie entre les langues, cette réforme ne va-t-elle pas bafouer l'ambition partagée de sanctuarisation de l'éducation et de l'égalité des chances ? Car comment promouvoir de tels objectifs sans conserver, protéger et valoriser ce qui fait sens dans l'existence de chaque citoyen ? N'est-ce pas un droit fondamental que de reconnaître à l'individu la liberté d'user et d'abuser de sa langue maternelle, attribut consubstantiel de sa verticalité ? Si les réponses à ces interrogations s'imposent, elles révèlent cependant certaines limites de cette réforme qui, en réalité, met à l'index une langue mal connue et méconnue. En effet, la langue créole - car c'est une langue, avec d'être régionale - est l'instrument de communication à partir duquel les enfants ont appris à découvrir, comprendre et interagir avec l'environnement qui les entoure. C'est un ensemble de corpus représentationnels à partir duquel ils ont pu s'ériger au monde pour être et exister. Son apprentissage relève donc des droits fondamentaux du citoyen. Par conséquent, toute initiative tendant à réduire sa portée dans la construction identitaire aura pour finalité d'exacerber le sentiment d'injustice, voire de rejet. L'enseignement du créole ne saurait être la variable d'ajustement d'une politique éducative à géométrie variable. Le reléguer au rang de « sous-langue » n'aurait-il pas pour effet d'aiguiser le prosélytisme extrémiste dont on connaît les ressorts et que l'on voit prospérer à chaque scrutin ? Abaisser le coefficient des langues régionales est un non-sens qui stigmatise, divise, nourrit frustrations et exaspérations. En conséquence, il lui demande s'il entend assumer d'être inscrit devant l'Histoire comme étant celui qui a impulsé le recul des langues régionales en encourant le risque de véhiculer insidieusement des préjugés tenaces et des représentations que l'on croyait révolus, parce qu'indignes de la République. Enfin, entend-il l'indignation des citoyens ? Il lui demande si ce n'est pas une opportunité d'affirmer l'attachement à la diversité, à l'égalité de tous devant l'accès aux compétences linguistiques, élément majeur dans le devenir de la jeunesse martiniquaise.

Texte de la réponse

Le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports (MENJS) est attaché à la préservation et à la transmission des diverses formes du patrimoine linguistique et culturel des régions françaises, et la situation de l'enseignement des langues régionales fait l'objet de la plus grande attention dans les académies et territoires concernés. Au sein du pays, l'enseignement des langues vivantes se fait dans le strict respect des principes définis par la constitution, qui dispose notamment que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (article 75-1). L'article L. 312-10 du code de l'éducation précise que « les langues régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage ». Les modalités de cet enseignement facultatif, qui peut être dispensé tout au long de la scolarité sous deux formes - un enseignement de la langue et de la culture régionales, et un enseignement bilingue - sont « définies par voie de convention entre l'État et les collectivités territoriales ». L'article L. 312-11 du même code autorise en outre les enseignants du premier et second degrés à recourir aux langues régionales, dès lors qu'ils en tirent profit pour leur enseignement. Ils peuvent également s'appuyer sur des éléments de la culture régionale pour favoriser l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires. Par la circulaire n° 2017-072 du 12 avril 2017, le MENJS a rappelé d'une part, son attachement à la préservation et à la transmission des diverses formes du patrimoine linguistique et culturel des régions françaises, et d'autre part le cadre du développement progressif de l'enseignement des langues et cultures régionales. De nombreuses mesures visent à sécuriser le parcours linguistique de l'élève à travers sa scolarité. À l'école, l'avancement d'une année du début de l'apprentissage d'une langue vivante, dès le cours préparatoire et pour tous les élèves, bénéficie aussi aux langues vivantes régionales. Ainsi, durant les classes de l'école élémentaire, une langue régionale peut être enseignée sur l'horaire dévolu aux langues vivantes, étrangères ou régionales. L'enseignement de la langue régionale est éventuellement renforcé, selon le projet d'école, par la conduite d'activités en langue régionale dans différents domaines d'apprentissage. Cet apprentissage peut en outre être précédé par des actions de sensibilisation et d'initiation à l'école maternelle, sous la conduite d'un enseignant et/ou d'un intervenant extérieur. Une attention particulière est également prêtée à l'enseignement bilingue français / langue vivante régionale, modalité d'apprentissage spécifique explicitement mentionnée comme l'une des deux formes de l'enseignement de langue et culture régionales par l'article L. 312-10 dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013, dont elle encourage, dans son rapport annexé, la mise en place dès la petite section. Cet enseignement est régi par l'arrêté du 12 mai 2003 relatif à l'enseignement bilingue en langues régionales à parité horaire dans les écoles et les sections langues régionales des collèges et des lycées. À l'école, les classes bilingues français / langue vivante régionale proposent, dès la petite section lorsque c'est possible, un cursus spécifique intensif, dans lequel la langue régionale est à la fois langue enseignée et langue d'enseignement dans plusieurs domaines d'activité et d'apprentissage. Ce cursus peut proposer une parité horaire hebdomadaire dans l'usage de la langue régionale et du français en classe, sans qu'aucune discipline ou aucun domaine disciplinaire autre que la langue régionale soit enseigné exclusivement en langue régionale. Par ailleurs, le collège rénové offre également un cadre favorable à la présence et à la valorisation des langues et cultures régionales. Comme le rappelle la circulaire n° 2015-106 du 30 juin 2015 relative à l'organisation des enseignements au collège, toutes les modalités préexistantes d'apprentissage d'une langue vivante régionale sont maintenues ; seuls les intitulés des enseignements sont modifiés. En classe de sixième, les élèves peuvent suivre un enseignement de sensibilisation et d'initiation, qui se substitue à l'enseignement facultatif, pour débuter un apprentissage de langue régionale, dans la limite de deux heures hebdomadaires. Les élèves qui ont suivi un enseignement de langue vivante régionale à l'école primaire peuvent quant à eux poursuivre cet apprentissage grâce au dispositif bi-langue de continuité, tout en suivant un enseignement d'anglais ; l'apprentissage de ces deux langues se fait à hauteur de six heures hebdomadaires. Au cycle 4 (classes de cinquième, quatrième et troisième), les élèves peuvent choisir une langue vivante régionale au titre de l'enseignement d'une deuxième langue vivante ; l'avancement du début de cet apprentissage d'une année (dès le début du cycle 4) pour tous les élèves permet un renforcement des connaissances et compétences linguistiques à l'issue du collège. En outre, les élèves qui le souhaitent peuvent aussi suivre de la classe de cinquième à la classe de troisième un enseignement de complément de langue régionale, conformément aux dispositions de l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège ; cet enseignement se substitue à l'enseignement facultatif. Enfin, les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) sont propices à des projets traitant des langues et des cultures régionales ou les incluant, particulièrement grâce à la thématique « Langues et cultures étrangères ou, le cas échéant, régionales ». Ces projets prennent par exemple en compte le patrimoine et la vie culturelle locale, ou encore l'économie et les échanges à l'échelle de l'aire de diffusion d'une langue vivante régionale. Par ailleurs, au lycée général, technologique et professionnel, la pratique orale est accentuée. Le programme commun à l'ensemble des langues vivantes étrangères et régionales met en effet l'accent sur la communication orale et vise des niveaux de compétences à atteindre par les lycéens qui prennent appui sur le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Les textes réglementaires relatifs à l'enseignement des langues régionales au lycée constituent un cadre à la fois solide et souple, qui offre des garanties pour assurer leur pérennité et leur développement. Ainsi pour l'année 2020, ce sont 7 092 élèves qui étudient le créole au lycée général.  Dans le cadre de la réforme, l'enseignement de spécialité "langues, littératures et cultures étrangères et régionales" (LLCER), proposé dans la voie générale, présente la possibilité de choisir une langue vivante régionale (notamment le créole et le tahitien) à l'instar des langues vivantes étrangères, avec une valorisation très importante à l'examen. La spécialité bénéficie d'un enseignement à hauteur de 4 heures hebdomadaires en classe de première, puis de 6 heures en classe de terminale, en plus des heures de l'enseignement commun en langues vivantes. Elle est évaluée dans le baccalauréat pour un coefficient 16 sur un coefficient total de 100. Ceci correspond à un réel progrès par rapport à la situation précédente où la langue vivante régionale approfondie ne pouvait être choisie que par une minorité d'élèves, ceux de la série L. La réforme du baccalauréat conforte le poids des langues vivantes régionales dans l'examen. Ainsi, la langue vivante régionale choisie au titre de la langue vivante B constitue l'un des six enseignements communs ayant exactement le même poids dans l'examen, c'est-à-dire que tous ces enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 30 % de la note finale, et en y incluant les notes de bulletin, la note de langue régionale compte pour environ 6 % de la note finale. S'agissant de la LVR choisie au titre d'enseignement optionnel comme langue vivante C, tous les enseignements optionnels ont exactement le même poids et les notes de bulletin de tous les enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 10 % de la note finale de l'examen. La disposition précédant la réforme, dans laquelle seules les notes au-dessus de la moyenne étaient prises en compte dans l'examen, disparaît. La valorisation des langues régionales dans le système éducatif s'opère également grâce à l'accent mis par la réforme sur l'enseignement des disciplines non linguistiques en langue vivante, notamment régionale. Dans l'objectif de développer les compétences des élèves en langues vivantes régionales, l'arrêté du 20 décembre 2018 relatif aux conditions d'attribution de l'indication section européenne ou section de langue orientale (SELO) et de l'indication discipline non linguistique ayant fait l'objet d'un enseignement en langue vivante (DNL) sur les diplômes du baccalauréat général et du baccalauréat technologique, publié au JORF du 22 décembre 2018, prévoit ainsi que, hors des sections européennes ou de langue orientale, les disciplines autres que linguistiques (DNL) peuvent être dispensées en partie en langue vivante donc en langue régionale, conformément aux horaires et aux programmes en vigueur dans les classes considérées. Par exemple, sur 3 heures d'histoire-géographie, 1 heure peut être dispensée en langue vivante régionale. Dans ce cas, et cela est nouveau, le diplôme du baccalauréat général et du baccalauréat technologique comporte l'indication de la discipline non linguistique (DNL) ayant fait l'objet d'un enseignement en langue vivante étrangère ou régionale, suivie de la désignation de la langue concernée, si par ailleurs le candidat a obtenu une note égale ou supérieure à 10 sur 20 à une évaluation spécifique de contrôle continu visant à apprécier le niveau de maîtrise de la langue qu'il a acquis. Quant aux territoires d'outre-mer, le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est particulièrement attentif à leurs situations linguistiques spécifiques, qui nécessitent des réponses adaptées, singulières et différenciées. L'article L.321-4 du code de l'éducation stipule notamment que « dans les académies d'outre-mer, des approches pédagogiques spécifiques sont prévues dans l'enseignement de l'expression orale ou écrite et de la lecture au profit des élèves issus de milieux principalement créolophone ou amérindien ». Enfin, s'agissant des ressources humaines consacrées à l'enseignement des langues vivantes régionales, le ministère veille à répondre aux besoins d'enseignement à moyen et long termes tout en garantissant le maintien de viviers universitaires de qualité. La ressource enseignante est ainsi pérennisée. L'enseignement des langues régionales dans le second degré dispose de professeurs titulaires du CAPES langues régionales (basque, breton, catalan, créole, occitan-langue d'oc, langues kanak) et du CAPES section tahitien, ainsi que du CAPES section corse. Une agrégation « Langues de France » vient compléter le mode de recrutement des langues régionales depuis la session 2018. En ce qui concerne le créole, sur les 5 dernières sessions (2014-2019), 31 postes ont été offerts au CAPES externe. Pour la session 2020, 7 postes ont été offerts en créole : 5 postes au CAPES externe et 2 postes pour la 1ère fois à l'agrégation externe. L'ensemble des différents dispositifs et mesures évoqués ci-dessus témoigne des actions de valorisation des langues régionales, dont d'outre-mer, mises en place par le ministère et les académies.