15ème législature

Question N° 24789
de M. Bastien Lachaud (La France insoumise - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > politique extérieure

Titre > Guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine

Question publiée au JO le : 26/11/2019 page : 10223
Réponse publiée au JO le : 03/03/2020 page : 1708

Texte de la question

M. Bastien Lachaud appelle l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur les mesures à prendre relatives aux probables conséquences de la taxation par les États-Unis des produits en provenance de la Chine sur l'économie de l'Union européenne, et notamment l'économie française. En effet, les décisions récentes de M. Donald Trump de taxer les produits en provenance de Chine ne seront pas sans conséquence sur l'économie mondiale. En août 2019, il a décidé de relever encore de 5 % les droits de douane sur 550 milliards de dollars de produits importés de Chine, en réaction aux mesures de rétorsion contre l'augmentation des droits de douane déjà annoncés, qui toucheront au 1er septembre puis au 15 décembre 2019, environ 300 milliards de dollars de produits chinois qui n'étaient pas taxés jusqu'alors. Les droits de douane s'élèveraient alors à 30 % sur un montant de 250 milliards de dollars de produits provenant de Chine. Même si l'application de ces différentes mesures reste progressive, il n'est pas moins vrai qu'une augmentation subite des droits de douane a une conséquence sur les volumes de marchandises échangées. L'augmentation des droits de douane a pour but d'avoir un effet dissuasif sur le prix des marchandises, et de rendre plus difficile la vente des produits davantage taxés en augmentant le prix de vente, du coût de la taxe d'importation. À un certain point de taxation, qui pourrait arriver si l'escalade entre les États-Unis et la Chine ne poursuivait, les produits ne pourraient plus du tout rentrer sur le territoire, parce que leur désavantage concurrentiel du fait de cette taxation les rendrait quasiment invendables. Au vu des volumes concernés par cette guerre commerciale, on peut légitimement s'interroger sur ce que vont devenir ces produits chinois, invendus aux États-Unis du fait de l'augmentation des taxes douanières. Par exemple, ces invendus aux États-Unis pourraient se traduire par une arrivée plus grande sur les marchés européens, et notamment français, de ces produits, à un prix moindre, car ils seraient disponibles en quantité plus grandes et plus difficiles à vendre. Aussi, il souhaite savoir quelles mesures il compte prendre pour appréhender ce phénomène, s'il a été constaté une augmentation des importations en provenance de Chine attribuable à la guerre commerciale avec les États-Unis, et, en conséquence, ce qu'il compte faire pour protéger l'économie française de cette possible arrivée massive de marchandises à prix bradés.

Texte de la réponse

Les mesures protectionnistes bilatérales entre les Etats-Unis et la Chine pourraient entraîner une recomposition géographique du commerce à moyen terme via trois canaux [1] : - détournement de demande de biens étrangers (les importations américaines ou chinoises de produits « sanctionnés » en provenance du reste du monde augmenteraient) ; - détournement d'offre de biens étrangers (écoulement des produits chinois ou américains sur d'autres marchés) ; - dépression du commerce (écoulement des produits sur les marchés intérieurs). Les mesures restrictives prises par les Etats-Unis et la Chine vis-à-vis de leurs échanges commerciaux risquent en outre d'accroître les incertitudes relatives à la conjoncture économique mondiale, et partant de réduire les investissements des entreprises et la consommation des ménages. Ainsi, au-delà de l'effet commercial, l'Union européenne (UE) se trouve confrontée aux risques d'un ralentissement de la demande mondiale (notamment la demande chinoise adressée à ses partenaires) résultant en partie d'un choc d'incertitude mondial. A plus long terme, la guerre commerciale pourrait aboutir à une réorganisation plus profonde des chaines de production internationales pouvant théoriquement bénéficier au commerce de l'UE. Les estimations du FMI et des Nations Unies, qui présentent des effets agrégés bénéfiques au cours des cinq prochaines années pour l'activité européenne des mesures protectionnistes américaines et des mesures de rétorsion, supposent que la création de commerce européen ferait plus que compenser l'effet de la baisse de l'activité aux Etats-Unis et en Chine sur la demande étrangère adressée à l'Europe. A ce stade, les échanges européens de produits faisant l'objet de mesures tarifaires n'ont pas été particulièrement affectés par les tensions. Les importations européennes de produits chinois dont les droits de douanes ont été relevés par les Etats-Unis ont à peine plus augmenté que l'ensemble de ses importations en provenance de Chine. La dynamique ne permet pas d'identifier d'effet de détournement, sachant que la croissance des importations de l'UE de ces produits en particulier en provenance de Chine est historiquement plus élevée que celle du reste des importations en provenance de Chine. De même, les importations européennes de produits américains ont connu une hausse du même ordre selon que les produits aient été sanctionnés par la Chine ou non. Néanmoins, les importations européennes de soja américain ont nettement augmenté, absorbant environ le quart de la chute des importations chinoisesd de soja américain (environ 1 Md€ de hausse entre juillet 2018 et juillet 2019, un chiffre assez modeste rapporté au total des importations UE depuis les Etats-Unis). Les conclusions sont les mêmes concernant les exportations européennes : les exportations de produits européens aux Etats-Unis ou en Chine ne semblent pas avoir été favorisées par les tensions commerciales jusqu'à présent. L'administration française suit attentivement les éventuels détournements de produits frappés de droits de douane supplémentaires vers le marché européen et français ; si besoin des mesures de sauvegarde européennes pourraient alors être prises. Les outils de défense commerciale de l'UE prévoit la possibilité de mesures dites de « sauvegarde » en cas de hausse soudaine et prononcée des importations dans l'UE d'un produit dont les exportations en marché tiers sont affectées par des mesures tarifaires, conformément au droit de l'Organisation mondiale du commerce. C'est ce qui a conduit l'UE à adopter en février 2019 des mesures de sauvegarde définitives sur les importations d'acier, pour faire face au phénomène de redirection des flux commerciaux consécutifs à la fermeture du marché américain (imposition de droits de douane de 25 % sur l'acier en juin 2018). Par ailleurs, la direction générale du Trésor a récemment publié un Trésor-éco qui analyse les effets des premières tensions commerciales apparues entre la Chine et les Etats-Unis, disponible en ligne à l'adresse suivante : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/09/17/tresor-eco-n-244-effets-des-premieres-tensions-commerciales-apparues-entre-la-chine-et-les-etats-unis. [1] Trade Deflection and Trade Depression, C. Bown, M. Crowley, Fed de Chicago, 2003