15ème législature

Question N° 25963
de Mme Florence Provendier (La République en Marche - Hauts-de-Seine )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Receuil de la parole de l'enfant victime de violences sexuelles par la justice

Question publiée au JO le : 21/01/2020 page : 371
Réponse publiée au JO le : 23/06/2020 page : 4443

Texte de la question

Mme Florence Provendier interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le recueil de la parole de l'enfant victime de violences sexuelles. En France, un mineur se fait violer toutes les heures. Ce chiffre effroyable rappelle la nécessité d'être intransigeant à l'encontre des pédocriminels. L'arsenal pénal français a été renforcé, le délai de prescription allongé pour laisser à la victime le temps de prendre la parole, et pourtant agir contre ces criminels reste toujours un parcours du combattant. Pendant des années, les écrits d'un pédocriminel ont été publiés au travers d'ouvrages, d'articles de presse et défendus sur des plateaux télés en toute impunité. Peu de voix se sont élevées pour condamner celui qui faisait l'apologie de la pédophilie. Aujourd'hui, la justice se saisit sur la base du témoignage littéraire d'une victime devenue adulte, sans que celle-ci n'ait jamais déposé plainte. En effet, quand les victimes réussissent à parler de ce qu'elles ont subi, qu'il y ait médiatisation ou non, cela est rarement suivi d'un dépôt de plainte. Libérer la parole de l'enfant victime est un préalable essentiel pour lutter contre les violences sexuelles. Au-delà de la reconstruction de la victime, la condamnation judiciaire est indispensable pour mettre fin à ce sentiment d'impunité avec lequel vivent encore les auteurs. Une étude de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie réalisée par l'IPSOS en septembre 2019, montre que pour plus des deux tiers des victimes ayant parlé de leur agression, cette prise de parole « est restée sans conséquences ». En effet, seulement un quart des victimes portent plainte et en moyenne 12 ans après les faits. Ces plaintes aboutissent seulement à une condamnation dans un cas sur deux. Elle souhaite connaître les moyens mis en œuvre par son ministère pour que la parole de l'enfant soit encouragée et prise en compte lors des procédures judiciaires.

Texte de la réponse

Le recueil de la parole de l'enfant est effectivement un enjeu essentiel dans le cadre de la répression des infractions de violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Elle permet de caractériser l'infraction dénoncée et de recueillir des éléments d'informations nécessaires à l'identification et l'incrimination de l'auteur de ces faits. Elle est un préalable indispensable à la répression de l'infraction. Ainsi, au-delà du renforcement de l'arsenal répressif évoqué dans la question, des dispositions juridiques existent et des moyens humains et matériels sont mis en œuvre afin, d'une part, d'assurer la prise en compte de la parole de l'enfant victime et, d'autre part, d'encourager et faciliter cette parole par le biais de modalités spécifiques de recueil et d'un meilleur accompagnement de ce dernier au regard de ses besoins tout au long de l'enquête et de la procédure judiciaire. S'agissant de la prise en charge de la parole de l'enfant victime, il convient d'indiquer, qu'en matière de protection de l'enfance, le repérage et le traitement des situations de danger ou de risque de danger sont organisés, au niveau départemental, au travers du recueil et du traitement des informations préoccupantes (IP). Chaque conseil départemental dispose ainsi d'une CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes) chargée de centraliser toutes les IP, c'est-à-dire tout élément d'information, y compris médical, susceptible de laisser craindre qu'un enfant se trouve en situation de danger ou de risque de danger. Ainsi, lorsqu'une personne ou une institution a connaissance ou soupçonne une situation de danger, elle doit en aviser la CRIP, qui centralise l'ensemble des IP. Le cas-échéant, la CRIP peut adresser un signalement au procureur de la République en vue d'une saisine du juge des enfants en assistance éducative. Si la situation de danger résulte d'une infraction pénale, tout officier public ou fonctionnaire qui en a connaissance dans le cadre de l'exercice de ses fonctions a l'obligation, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, d'en aviser le procureur de la république lequel pourra décider de l'ouverture d'une enquête. En outre, l'article 434-3 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende la non-dénonciation de mauvais traitement ou d'atteintes sexuelles infligées à un mineur de quinze ans. De même, l'article 226-14 du code pénal prévoit, par dérogation à l'article 226-13 qui sanctionne l'atteinte au secret professionnel, la levée du secret professionnel, en cas de privations ou de sévices, en ce compris les infractions de nature sexuelle, infligées à un mineur, dès lors que l'information est donnée aux autorités judiciaires, médicales ou administratives et ce, sans avoir à obtenir préalablement l'accord du mineur victime. Il ne s'agit toutefois pas d'une obligation de dénonciation telle que l'impose la loi lorsque le crime ou le délit est susceptible de se produire (223-6 CP). S'agissant des modalités concrètes de recueil de la parole du mineur dans le cadre d'une procédure pénale, des moyens humains et matériels visent à mieux tenir compte de sa particulière vulnérabilité et adaptent en conséquence son audition. Ainsi, les enquêtes relatives à des infractions commises à l'encontre de mineurs sont confiées, dans la mesure du possible, à des services d'enquête ou des enquêteurs spécialisés (brigades de protection de la famille et brigade de protection des mineurs de Paris pour les services de police, enquêteurs spécifiquement formés pour la gendarmerie nationale). S'agissant des magistrats, les informations judiciaires relatives à des mineurs victimes sont prioritairement confiées à un juge d'instruction spécialement habilité sur le fondement de l'article R. 213-13 du code de l'organisation judiciaire. De même, les procédures concernant des mineurs victimes de faits graves sont confiées en priorité aux magistrats du parquet spécialement chargés des affaires concernant les mineurs, sur le fondement de l'article R. 212-13 du même code. Ces pratiques garantissent que le recueil de la parole de l'enfant soit réalisé par un professionnel spécialement formé. Les services d'enquête peuvent en outre avoir recours à des lieux d'audition spécifiquement aménagés pour les mineurs : les salles d'audition dites "Mélanie" de la gendarmerie nationale permettent d'entendre le mineur victime dans de meilleures conditions et de le filmer ; au sein de la police nationale, une cinquantaine de salles sont spécifiquement équipées pour l'audition des mineurs victimes. En outre, des dispositions spécifiques visent à tenir compte de l'épreuve que constitue, pour un mineur, plus que pour toute autre victime, l'évocation des faits. Une procédure judiciaire comprend en effet plusieurs étapes au cours desquelles le témoignage de la victime sur les faits est nécessaire, alors même qu'elle aura eu les plus grandes difficultés à les révéler. Les résultats sur le comportement de l'enfant et les dangers de ces répétitions sont multiples. Au-delà de la résurgence du traumatisme, l'enfant peut acquérir le sentiment que sa parole est mise en doute, en concevoir une grande culpabilité, et finir par douter de la sincérité de son témoignage. Par conséquent, l'article 706-52 du code de procédure pénale prévoit l'enregistrement audiovisuel obligatoire des auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles. Cet enregistrement est de nature à limiter le nombre d'auditions de la victime, mais aussi à faciliter l'expression de l'enfant tout en permettant d'y déceler les éléments non verbalisés et de les mémoriser pour la suite de la procédure. Par ailleurs, plusieurs dispositions garantissent que les droits du mineur victime soient protégés et qu'il soit accompagné. L'article 706-51-1 du code de procédure pénale impose que le mineur victime d'infractions sexuelles soit assisté d'un avocat lors de toute audition par le juge d'instruction. L'article 706-50 du même code impose la désignation d'un administrateur ad hoc au profit d'un mineur victime lorsque la protection de ses intérêts n'est pas assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux. Cet administrateur ad hoc est chargé d'assurer la protection des intérêts du mineur et d'exercer en son nom les droits reconnus à la partie civile. Sa mission consiste également à accompagner le mineur à tous les actes de la procédure. Il peut être désigné parmi les proches de l'enfant ou sur une liste établie dans le ressort de chaque Cour d'appel. Enfin, l'article 706-53 prévoit la possibilité de la présence d'un tiers lors de l'audition du mineur sur autorisation de l'autorité judiciaire. Ce tiers a vocation à rassurer le mineur et à améliorer le recueil de sa parole. Enfin, un guide de bonnes pratiques relatif à la prise en charge des mineurs victimes a été élaboré par la direction des affaires criminelles et des grâces en 2015. Il reprend les dispositions juridiques encadrant le recueil de cette parole et énumère les bonnes pratiques à adopter par les services d'enquête et en juridiction pour assurer la protection des droits du mineur et tenir compte de ses besoins.