Capacités de la France à lutter contre des « méga-feux »
Question de :
M. François Jolivet
Indre (1re circonscription) - La République en Marche
M. François Jolivet interroge M. le ministre de l'intérieur sur les capacités de la France à lutter contre des incendies de grande ampleur. Les incendies qui ravagent l'Australie depuis quelques mois, malgré une amélioration de la situation ces derniers jours, sont d'une gravité exceptionnelle. De tristes records sont battus : plus d'un milliard d'animaux sont morts, des millions d'hectares sont décimés, des milliers de maisons sont en cendres, des fumées toxiques parcourent des milliers de kilomètres. Au moins 26 personnes sont décédées. La population australienne s'interroge sur le niveau de réaction des autorités. Le pays semble connaître des difficultés en matière de moyens humains et logistiques, et a sollicité dans ce cadre l'aide internationale. Le Président de la République a répondu à cet appel, en proposant l'aide opérationnelle de la France. L'été 2019, en France, a été émaillé de nombreux incendies. Dans l'Indre, des centaines d'hectares sont partis en fumée autour des communes de Chalais, de Lignac et de Migné. Si ces incendies sont maîtrisés par les forces d'intervention, on constate une évolution dans l'intensité des feux qui gagnent en durée, en dimension et en conséquences. Ils sont de plus en plus incontrôlables, toujours plus nombreux, et se déclarent dans des zones géographiques autrefois épargnées. Ces évolutions sont inquiétantes, et peuvent faire craindre à la France des incendies qui s'apparentent à des « méga-feux » aux conséquences désastreuses. Dans ce contexte, il lui demande de préciser si la France est préparée à affronter des « méga-feux ».
Réponse publiée le 2 juin 2020
Le phénomène des « méga-feux » est suivi avec une particulière vigilance par les acteurs français de la défense de la forêt contre l'incendie. Caractérisés par leur puissance et les dégâts qu'ils engendrent, ils nécessitent la convergence de deux facteurs : le potentiel calorifique d'une forte densité de combustible et des conditions météorologiques extrêmes continues et répétées (sècheresse et températures élevées sur de longues périodes). Même s'ils ont, jusqu'à présent, eu lieu dans des contextes particuliers, la France a connu dans un passé assez lointain des épisodes de très forte activité (en Gironde en 1949, 82 morts – 52 000 ha dont 28 000 ha de forêts ; dans le Var entre 1940 et 1944 avec 20 000 ha par an en moyenne) dont les bilans catastrophiques sont assimilables à ceux des mégas-feux qui frappent plusieurs pays, notamment en Amérique du nord. Depuis le début des années 1990, la France a construit sa stratégie de défense des forêts contre les incendies en s'appuyant notamment sur ces évènements tragiques et, malgré un contexte climatique défavorable, maintient une décroissance des superficies brûlées (moyenne décennale 1975-1985 supérieure à 50 000 ha par an contre 11 500 ha environ sur la dernière décennie). Un seul feu a dépassé 10 000 ha depuis 1973 (Vidauban, 29/09/1990, 11 580 ha). Plus récemment, l'incendie de Rognac (Bouches-du-Rhône, en août 2016), bien que d'une superficie plus modeste (2500 ha) montrait une cinétique particulière, rarement rencontrée sur la dernière décennie. Au regard de l'extrême puissance de ce genre de phénomène, l'adaptation toujours croissante de moyens de lutte directe n'est pas réaliste. Ainsi, même si les conditions météorologiques nécessaires aux « méga-feux » ne sont pas encore réunies aujourd'hui, la France prend en compte cette problématique et poursuit ses efforts sur quatre objectifs principaux afin de s'en prémunir. 1/ Réduire le nombre de feux, notamment (et entre autres mesures) par des actions de surveillance dissuasive et le traitement des interfaces forêts-habitat (principales zones d'éclosions) afin que les mises à feu accidentelles ne se propagent pas aux massifs forestiers. A ce titre, le respect des obligations légales de débroussaillement permet de réduire les propagations dans les deux sens (du massif forestier vers l'habitat et inversement). 2/ Maitriser l'éclosion au stade initial, par un maillage dense de moyens aéroterrestres sur les secteurs où le danger d'incendie est le plus fort. A ce titre, le suivi permanent et l'amélioration des indicateurs de danger ont pour effet d'accroitre la mobilité des moyens judicieusement positionnés. Entre le 28 juin et le 31 août 2019, les dispositifs préventifs ont permis de traiter plus de 700 départs de feux en phase initiale en zone méditerranéenne. Lors des périodes où le danger était le plus haut, le renforcement des services départementaux d'incendie et de secours par l'équivalent de 12 000 hommes-jour a été coordonné par les états-majors de zone et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. 3/ Limiter la propagation des incendies par l'aménagement des massifs et en rendant le territoire plus résilient aux incendies. L'objectif est d'éviter que des feux non traités en phase initiale se transforment en incendies qui auront des conséquences désastreuses. L'évolution des feux en France étant principalement guidée par les facteurs aérologiques et orographiques, le compartimentage ciblé des massifs visant à limiter leur élargissement est recherché par les services en charge de l'aménagement ou de l'exploitation des massifs. L'information et l'alerte des populations ainsi que le déploiement de différents plans (plan de prévention des risques naturels, plan de prévention des risques incendies de forêt, plan communal de sauvegarde) dans les zones à risque, sont également susceptibles de limiter l'augmentation des bilans (sécurité des personnes et des biens). 4/ Restaurer les espaces incendiés par une réhabilitation ayant pour objectif de les rendre moins vulnérables au feu par une gestion accompagnée des essences mais surtout par une occupation appropriée des sols. Il s'agit de réaménager l'espace en prenant en compte l'élimination des causes ayant entrainé la catastrophe. Ceci étant, la mise en œuvre des mesures concrètes guidées par ces objectifs n'est pas sans difficultés. La déprise agricole et l'abandon de certains terrains (friches) constituent de nouveaux risques de propagation, et les nouvelles pratiques agricoles (non traitement de la strate herbacée) rendent certaines cultures moins pyro-résistantes (vigne, olivier). La planification de l'urbanisme dans des formes tenant compte des risques d'incendies et le respect des obligations légales de débroussaillement, se heurtent à l'urbanisation rapide des massifs forestiers. Par ailleurs, cette volonté croissante de vivre au plus près de la nature se double souvent d'une méconnaissance des dangers auxquels les riverains sont soumis et des comportements à adopter pour s'en préserver. Au-delà du concept des « méga-feux », qui nécessite une attention particulière au regard des évolutions climatiques, c'est l'ensemble des feux de végétation que la stratégie française s'attache à prendre en compte. Ainsi, même si l'Etat accroit son effort, notamment par l'acquisition d'avions bombardier d'eau de plus grande capacité, la lutte contre les incendies repose sur un maillage étroit d'actions coordonnées du ministère de l'intérieur, du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et du ministère de la transition écologique et solidaire. La prise en compte de la dimension interministérielle de cette problématique est une composante fondamentale de la réussite dans le contexte actuel. L'extension de pratiques efficientes à l'ensemble du territoire national et leurs adaptations face aux changements climatiques fait l'objet d'une vigilance permanente et de travaux concertés, gages d'efficacité.
Auteur : M. François Jolivet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Sécurité des biens et des personnes
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 28 janvier 2020
Réponse publiée le 2 juin 2020