15ème législature

Question N° 26782
de M. Christophe Lejeune (La République en Marche - Haute-Saône )
Question écrite
Ministère interrogé > Enseignement supérieur, recherche et innovation
Ministère attributaire > Enseignement supérieur, recherche et innovation

Rubrique > recherche et innovation

Titre > Réorganisation du temps de travail pour les praticiens-chercheurs

Question publiée au JO le : 18/02/2020 page : 1152
Réponse publiée au JO le : 08/12/2020 page : 8992
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

M. Christophe Lejeune interroge Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, sur la réorganisation du temps de travail pour les praticiens-chercheurs. Depuis plus de vingt ans, les écrits sur l'enseignement et la formation à l'enseignement soulignent l'importance de valoriser la capacité réflexive des praticiens de l'enseignement. L'expression « praticien réflexif » est aujourd'hui consacrée en éducation. De façon générale, il est admis que la capacité réflexive d'un praticien est un atout déterminant pour lui permettre de non seulement comprendre les gestes qu'il pose, mais également de les améliorer. La Charte pour bâtir l'école du XXIe siècle initiée par Claude Allègre, alors ministre de l'éducation nationale et Philippe Meirieu, directeur de l'INRP, proposait de développer un double processus d'innovation pédagogique et de recherche. Les résultats devaient aboutir à repenser le métier de professeur des écoles et faire évoluer la formation initiale et continue des enseignants, grâce à deux leviers essentiels : une plus grande autonomie dans l'organisation et les choix pédagogiques et le développement du travail en équipe. Dans ce contexte, un travail de recherche-action-formation a eu lieu dans toute la France; un rapport déposé en 2002 faisait déjà mention de la confiance à l'école et d'une règle : plus de maîtres que de classes. Le statut de praticien chercheur en pédagogie pourrait être confié aux enseignants qui publient et qui communiquent dans les congrès où il est question d'éducation. Tout praticien de l'enseignement qui se questionne sur ses pratiques de formation et sur l'apprentissage qui en résulte dans une perspective de recherche peut être considéré comme un praticien chercheur. Un tel statut implique donc de conduire des recherches. En théorie tout enseignant devrait être capable à partir d'un problème rencontré dans sa classe ou son cours, de le réduire à une problématique, d'émettre des hypothèses, d'y répondre en les validant ou les invalidant, de tester ces hypothèses, et de prendre appui sur la théorie, en un mot d'adopter une posture de praticien chercheur. La recherche est une construction qui donne du sens avec le temps et le cumul des connaissances. En effet, chaque résultat permet d'ajouter une brique à l'édifice. C'est à ce prix que les impacts seront les plus significatifs sur les pratiques. Sur le terrain, la formation et l'accompagnement pédagogiques devraient poursuivre le développement des capacités réflexives des enseignants - praticien réflexif - mais également induire une logique de recherche dans le questionnement qui en découle - praticien-chercheur -. Percevoir le milieu de pratique comme un lieu de résolution de problèmes constants apparaît comme une condition essentielle pour tout enseignant. Les INSPE doivent aujourd'hui se préoccuper de mettre en place une formation initiale à l'enseignement en prenant acte des pratiques du milieu de formation, mais également de la recherche. Cette recherche doit plus particulièrement favoriser et alimenter le développement d'innovations en pédagogie. À la formation au premier cycle, les étudiants cherchent souvent des vérités ; à la formation continuée, les enseignants cherchent souvent des solutions de type prêt-à-porter. Or la recherche ne peut livrer ni l'une ni l'autre. Celle-ci permet et devrait continuer de permettre de mieux cerner la réalité d'enseignement et d'apprentissage, de mieux la comprendre. Elle se doit de considérer les problématiques d'un point de vue multidisciplinaire, voire international. La recherche qui s'intéresse à l'enseignement et à l'apprentissage dans le domaine de l'enseignement fait face à des réalités complexes. Cette complexité implique qu'il existe de multiples dimensions à prendre en compte étant donné l'accès à des ressources limitées pour financer la recherche. De même que les similitudes que partagent certains milieux de formation, la recherche multidisciplinaire est une voie prometteuse pour l'avenir. Celle-ci apparaît donc comme essentielle pour assurer la pérennité d'une pédagogie résolument tournée vers la coopération et pour continuer à innover. La recherche scientifique en éducation, grâce à son existence même, devrait contribuer à la reconnaissance de la pédagogie comme objet légitime d'investigation et comme une composante reconnue. Aujourd'hui et pour exister, les recherches menées actuellement dans certaines classes par des praticiens avec l'appui de chercheurs doivent bénéficier de temps. Réorganiser le temps de travail pour les praticiens-chercheurs est un impératif pour que l'école puisse tenir sa place dans le domaine de la connaissance et du progrès. Ce problème concerne en particulier les mouvements pédagogiques dont les militants travaillent dans l'école, mènent des recherches et des innovations. Dans le domaine de l'innovation, nombreux sont les pays qui accordent du temps à des praticiens novateurs, depuis très longtemps, pour poursuivre leur action sur leur terrain et aussi pour la faire connaître. Il lui demande ce qu'il compte mettre en place pour libérer du temps indispensable aux praticiens de terrain dès lors qu'ils s'engagent dans une démarche d'innovation et de recherche en matière de pédagogie.

Texte de la réponse

Le ministère chargé de l'éducation nationale et le ministère chargé de l'enseignement supérieur attachent une importance particulière à la recherche en éducation et à la capacité réflexive des enseignants et futurs enseignants. La visée de l'activité scientifique des enseignants est la compréhension de phénomènes. En effet, comprendre ce qui se joue vise à permettre aux enseignants de développer de nouvelles solutions face aux problèmes rencontrés, et non à seulement puiser dans des solutions existantes. En premier lieu, la formation initiale des enseignants, dispensée au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE), est articulée entre formation académique, recherche et pratique professionnelle. L'arrêté fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters « métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » définit le contenu de ces formations à partir du référentiel de formation annexé. Cette annexe spécifie le profil d'un enseignant au XXIème siècle reposant sur cinq dimensions dont celle d'un praticien réflexif. Le référentiel indique que le praticien réflexif « entretient un rapport critique et autonome avec son travail et s'inscrit dans une dynamique de développement professionnel continu. Il actualise régulièrement ses savoirs et interroge ses pratiques. En coopérant avec les membres de son équipe ou d'un collectif plus large, il les fait évoluer au bénéfice du renforcement de la qualité de son action et de son impact sur les élèves. Accompagné par un tiers (tuteur, inspecteur, formateur, référent RH) ou de sa propre initiative, il organise sa formation tout au long de sa carrière (en lien avec l'offre institutionnelle, en auto-formation …). » Les INSPE valorisent donc, depuis plusieurs années, les pratiques du milieu de la formation et de la recherche au travers de différents outils pédagogiques : stages en milieu professionnel, mémoire de recherche, colloque du printemps de la recherche organisé chaque année par le réseau des INSPE etc. Le développement d'équipes composées d'enseignants chercheurs et de praticiens des deux degrés est par ailleurs favorisé, dans le cadre, par exemple des Lieux d'éducation associés (LEA), dispositif de l'Institut français de l'éducation (IFE), composante de l'Ecole normale supérieure de Lyon. Depuis une dizaine d'années, les LEA se développent dans des lieux (établissements scolaires, associations, réseaux, etc.) où des équipes de terrain travaillent avec des chercheurs sur un projet de recherche. Ce projet peut concerner des sujets variés comme les potentialités du numérique dans l'apprentissage ou encore l'évolution de la professionnalité enseignante. L'objectif est ici de prendre en compte, à l'échelle de l'établissement, les véritables besoins et problèmes des praticiens de l'éducation, et construire avec eux des solutions, des ressources et des savoirs scientifiques, pour ensuite partager ces résultats avec le monde éducatif. Ensuite, le gouvernement a lancé en 2017 un nouveau programme d'investissements d'avenir. L'action « Pôles pilotes de formation des enseignants et de recherche pour l'éducation » vise à répondre à l'enjeu majeur de la formation et, plus largement, du développement professionnel des enseignants du premier et du second degrés, des personnels d'éducation et des « formateurs de formateurs », en faisant émerger des pôles de recherche, de formation et de transfert des meilleures pratiques pédagogiques portés par des universités, en lien étroit avec des établissements scolaires et les services académiques concernés. Ces pôles auront pour mission d'améliorer la qualité et l'efficacité du système éducatif en concevant, en expérimentant et en déployant sur le terrain des approches pédagogiques adossées à la recherche et fondées sur les meilleures pratiques. L'implication dans des recherches collaboratives concerne également et nécessairement les formateurs d'enseignants, les corps d'inspection, et de manière générale le personnel d'encadrement de l'éducation nationale. A cet effet, le Conseil scientifique de l'éducation nationale (CSEN) et la Conférence des recteurs, conscients de la nécessité de faire progresser le passage du « labo à la classe » et vice-versa « de la classe au labo », mais aussi du labo à tous les niveaux du pilotage et d'animation du système scolaire, ont conduit pour l'année scolaire 2018-2019 une action expérimentale, d'intérêt stratégique et d'accompagnement national de la politique du ministre chargé de l'éducation nationale en matière d'appel à la recherche pour éclairer la politique éducative, en appui aux dispositifs existants : “la fabrique des ateliers académiques recherche/pratiques/formations/ressources”. La stratégie consiste à tisser trois dynamiques et leur mise en synergie systémique : l'appui institutionnel, l'apport des chercheurs et les pratiques/formations/ressources nécessaires à l'évolution des projets disciplinaires, pédagogiques, évaluatifs et administratifs dans les académies. Enfin, les professeurs exerçant en école ou en établissement disposent d'un environnement propice à l'investigation du champ de la recherche et de l'innovation. En ce sens, la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a clarifié et mieux articulé la recherche et l'expérimentation pédagogiques en école et en établissement scolaire. L'article L. 314-1 du code de l'éducation prévoit désormais que « des travaux de recherche en matière pédagogique peuvent se dérouler dans des écoles et des établissements publics ou privés sous contrats ». Ces travaux de recherche peuvent impliquer des expérimentations dont le cadre est prévu par l'article L. 314-2 du même code. Les professeurs disposent donc des outils leur permettant d'articuler recherche et pratique, au bénéfice de la réussite des élèves. En outre, le cursus de préparation des certificats conduisant aux fonctions de maîtres formateurs (CAFFA et CAFIPEMF) constitue un moment privilégié, à l'occasion de l'élaboration du mémoire professionnel, pour mettre en place une action de recherche en pédagogie. Enfin, les professeurs peuvent intervenir dans différents travaux au niveau académique, notamment en faisant partie de groupes de recherche et de production disciplinaires ou inter-disciplinaires. A ce titre, l'indemnité pour missions particulières créée par le décret n° 2015-475 du 27 avril 2015 instituant une indemnité pour mission particulière allouée aux personnels enseignants et d'éducation exerçant dans un établissement public d'enseignement du second degré peut permettre de valoriser l'investissement de professeurs accomplissant des missions à l'échelon académique dans divers domaines où leur expertise est nécessaire à la conception et à la mise en place des politiques académiques. En fonction de la charge effective de travail que l'accomplissement de la mission exige, le recteur peut également octroyer un allégement de service d'enseignement.