15ème législature

Question N° 28373
de Mme Claire O'Petit (La République en Marche - Eure )
Question écrite
Ministère interrogé > Numérique
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > Internet

Titre > Portée territoriale du droit à l'oubli sur Internet

Question publiée au JO le : 14/04/2020 page : 2775
Réponse publiée au JO le : 07/07/2020 page : 4784
Date de changement d'attribution: 12/05/2020

Texte de la question

Mme Claire O'Petit attire l'attention de M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, sur la portée territoriale du déréférencement des moteurs de recherche ou « droit à l'oubli ». Compte tenu des quantités phénoménales d'informations accessibles grâce à ces moteurs de recherche, il peut quelquefois être préférable de faire primer le respect au droit à la vie privée sur la liberté d'information. Par une décision du 27 mars 2020 (CE, sect., 27 mars 2020, Google Inc., req. n° 399922), le Conseil d'État vient préciser la portée territoriale du déréférencement suite à une réponse de la CJUE à une question préjudicielle qui lui était posée. Faute d'une mise en balance in concreto des intérêts en présence (respect de la vie privée et liberté d'information principalement), l'autorité de contrôle, en l'espèce la CNIL, ne peut ordonner un déréférencement à portée mondiale. Seule la promulgation d'une loi permettrait d'échapper à cette mise en balance difficile à établir dans chaque État. Aussi, elle souhaite connaître sa position sur le sujet de la portée territoriale du « droit à l'oubli » et, le cas échéant, s'il compte initier une mesure législative visant à rendre automatique le déréférencement à portée mondiale.

Texte de la réponse

Tout d'abord, il est important de rappeler que la décision du Conseil d'Etat du 27 mars 2020 que vous citez tire les conséquences de la décision rendue par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) dans son arrêt du 24 septembre 2019 (Affaire C-507/17 GOOGLE INC) concernant la portée territoriale du déréférencement. Dans cet arrêt, la CJUE a en effet limité l'effet du déréférencement au territoire européen, estimant que le législateur européen n'avait pas, en l'état actuel, entendu consacré un déréférencement mondial (point 62). Elle a néanmoins exigé que ce déréférencement soit effectif sur ce territoire (au besoin, au moyen de mesures techniques visant à empêcher, ou à décourager des internautes européens d'accéder aux liens déréférencés) (point 73). La Cour a également considéré que si le déréférencement devait, en principe, être limité au territoire européen, le droit de l'Union n'interdisait pas un déréférencement mondial. Elle a ainsi reconnu la compétence d'une autorité de contrôle ou d'une autorité judiciaire pour imposer un déréférencement mondial après qu'une mise en balance ait été effectuée entre, d'une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d'autre part, le droit à la liberté d'information (point 72). Ensuite, si dans sa décision, le Conseil d'état considère que l'exigence d'un déréférencement mondial doit être prévue par la loi, il précise également qu'indépendamment de cette loi, un tel déréférencement ne serait pas pour autant systématique. En effet, l'autorité de contrôle (la CNIL, au cas d'espèce) devrait, au cas par cas, mettre en balance, d'une part, l'atteinte particulièrement grave au droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles et, d'autre part, le droit à la liberté d'information. Cet examen implique de mesurer in concreto, pour chaque cas d'espèce, l'ampleur de l'atteinte aux droits des personnes dans l'hypothèse où le déréférencement mondial serait prononcé mais aussi, à l'inverse, dans le cas où il ne le serait pas. Cette mise en balance peut, en outre, appeler des réponses très diverses à travers le monde en fonction des traditions, des cultures et des législations nationales. Par ailleurs, si le législateur est seul compétent pour étendre la portée possible ou obligatoire du déréférencement au-delà de l'Europe en vertu de l'article 34 de la Constitution, il n'en a pour le moment, pas émis le souhait. Enfin, et afin d'éviter le risque de forum shopping qui serait lié à la possibilité offerte par la législation française d'obtenir un déréférencement mondial - les internautes européens risquant d'exercer leur droit au déréférencement systématiquement auprès de la CNIL - une concertation avec les partenaires européens sur ce sujet sera nécessaire.