Répartition des surcoûts dûs au covid-19 dans le BTP
Question de :
Mme Delphine Bagarry
Alpes-de-Haute-Provence (1re circonscription) - Non inscrit
Mme Delphine Bagarry attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur la situation économique des entreprises du BTP. En cette période de confinement, les entreprises du BTP sont appelées à maintenir ou à reprendre leurs activités. Dans le respect des règles sanitaires fixées par le Gouvernement et toutes les contraintes liées au contexte, elles se plient à cette injonction et elles travaillent. Le surcoût estimé concernant le poste de la main-d'œuvre de tous les travaux en cours par les représentants du secteur s'élève à 20 %. Les retards, les difficultés d'approvisionnement, les mesures barrières à installer, l'absence d'apprentis font que les coûts qui avaient été envisagés avant le confinement ne peuvent plus être les mêmes. Dans l'ordonnance n° 2020-319, sont prévues plusieurs mesures concernant les marchés publics pour assurer un rééquilibrage : l'adaptation des marchés à la période de confinement, la neutralisation des pénalités de retard et l'indemnisation de l'entreprise pour le surcoût. Les représentants du BTP demandent que les mêmes mesures puissent être appliquées dans la cadre des marchés privés. Dans l'esprit où l'ensemble de la filière doit supporter la participation à l'effort général, ne serait-il pas envisageable de répartir également les surcoûts sur la maîtrise d'ouvrage ? Les acteurs du BTP ne dégagent pas aujourd'hui les marges nécessaires sur son activité pour pallier les pertes de 20 % liées à la main d'œuvre. Les commandes privées représentent la majorité de leurs chantiers. Cela implique que les entreprises vont travailler à perte. Cela est difficilement envisageable, pour une quelconque entreprise, comme pour ce secteur clé de l'économie française. Elle lui demande si M. le ministre de l'économie et des finances envisage de faire supporter aux maîtres d'ouvrage une partie des surcoûts occasionnés par l'épisode de covid-19 que la France subit actuellement.
Réponse publiée le 8 septembre 2020
Les entreprises du bâtiment et des travaux publics sont essentielles à la vie économique du pays et à son fonctionnement, en contribuant à des besoins du quotidien des Français tels que le logement, l'eau ou les infrastructures de transport. Le Gouvernement mesure les difficultés que peuvent rencontrer ces professions face à la crise sanitaire du Covid-19 : mise en place des gestes barrières, dépenses supplémentaires engendrées par l'achat d'équipements de protection individuelle et contraintes pour s'approvisionner en matériaux et matériels. Mais il est nécessaire d'œuvrer à la poursuite de leur activité dans des conditions de sécurité optimale, pour éviter une mise à l'arrêt totale des chantiers, qui déstabiliserait non seulement les entreprises concernées mais aussi l'ensemble de la chaîne économique. Afin d'éviter que les entreprises du bâtiment et des travaux publics ne soient trop impactées par la situation, le Gouvernement a adopté l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 qui prévoit plusieurs mesures permettant un rééquilibrage des relations contractuelles impactées par les mesures sanitaires entre les fournisseurs, les entreprises du bâtiment et les maîtres d'ouvrage publics pendant l'état d'urgence sanitaire. Dans le cas des chantiers de travaux publics, comme par exemple les infrastructures de transport ou les travaux de voirie, les grands maîtres d'ouvrage au niveau national et les préfets au niveau local coordonnent et priorisent les chantiers à poursuivre ou à relancer. Pour l'instant, il n'est pas envisagé d'adopter une nouvelle ordonnance qui intégrerait des dispositions équivalentes s'appliquant aux marchés privés. Dans le cas des relations entre personnes privées, les difficultés liées à l'épidémie de Covid-19 pourraient dans certains cas, sous le contrôle du juge civil, relever du régime de la force majeure, qui exonère de sa responsabilité la partie qui se prévaut d'un évènement de force majeure l'empêchant d'exécuter ses obligations contractuelles. Est en effet constitutif d'un cas de force majeure, quelle que soit la nature du contrat, public ou privé, l'événement qui n'a pu être prévu par les parties au moment de la conclusion du contrat, qui échappe au contrôle des parties et qui a pour effet d'empêcher une partie d'exécuter son obligation. Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue par l'événement de force majeure à moins que le retard qui en résulte ne justifie la résolution du marché. Si l'empêchement est définitif, la reconnaissance de la force majeure entraîne de plein droit la résolution du contrat et les parties sont libérées de leurs obligations. L'impossibilité d'exécution doit être appréciée au cas par cas pour déterminer si l'exécution de ses obligations contractuelles par une entreprise est absolument impossible et pas seulement rendue plus difficile ou plus onéreuse. L'inexécution ne doit pas pouvoir être surmontée par des mesures appropriées. Par conséquent, pour pouvoir valablement invoquer la force majeure, le titulaire devra démontrer qu'il ne dispose d'aucun autre moyen pour exécuter la prestation (adaptation des conditions de travail, source d'approvisionnement alternative, etc.) et qu'il existe un lien de causalité entre l'inexécution et l'épidémie. Toutefois, les dispositions du code civil relatives à la force majeure ne sont pas d'ordre public et les parties peuvent avoir fait le choix dans leur contrat, soit de les écarter par l'insertion d'une clause de garantie au terme de laquelle les parties s'engagent à exécuter leurs obligations même en cas de force majeure, soit de retenir une définition plus stricte ou plus extensive de la notion de force majeure. Dans les deux cas, en application du principe de liberté contractuelle, c'est alors la stipulation du contrat relative à la force majeure qui devra s'appliquer, sauf pour les parties à renégocier sur ce point. De même, le titulaire du marché pourrait se prévaloir de la théorie de l'imprévision, prévue à l'article 1195 du code civil, applicable aux contrats privés conclus après le 1er octobre 2016. Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour le titulaire alors qu'il n'avait pas accepté d'en assumer le risque (par le biais d'une stipulation contractuelle notamment), il peut demander une renégociation de son contrat à son cocontractant. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat dans les conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin dans les conditions qu'il fixe. L'applicabilité de l'imprévision aux contrats impactés par les surcoûts liés à la crise du Covid 19 est cependant incertaine. En effet, il n'y a pas à ce jour de jurisprudence de la Cour de cassation ni de jurisprudence significative des juges du fond sur les modalités d'appréciation du caractère excessivement onéreux de l'exécution par rapport aux stipulations initiales du contrat. Cette appréciation devra en tout état de cause être réalisée au cas par cas en considération des stipulations contractuelles en cause, des conditions matérielles d'exécution du contrat et du surcoût effectif, objectivement chiffré et confronté au coût global du contrat, engendré par les mesures sanitaires prises par le titulaire du marché. De surcroît, à l'instar des dispositions relatives à la force majeure, l'article 1195 du code civil introduisant l'imprévision dans le droit français des contrats est un texte supplétif de volonté qui ne s'applique qu'à défaut de stipulations contractuelles contraires. Compte tenu de ces éléments, il a particulièrement été recommandé aux entreprises du bâtiment et des travaux publics de privilégier une négociation à l'amiable entre les parties. En complément, les professionnels peuvent faire valoir la garantie « perte d'exploitation sans dommage matériel » ou « carence de fournisseurs » lorsque leur contrat d'assurance en dispose – seule clause capable à ce jour de couvrir les pertes liées à l'épidémie de Coronavirus. Le 15 avril 2020, la présidente de la fédération française de l'assurance a annoncé que près de 3,2 Mds € ont été débloqués dont 1,75 Md € de mesures de solidarité en faveur des entreprises et des assurés les plus fragiles. Des discussions se poursuivent entre le Gouvernement et la fédération française de l'assurance afin d'améliorer la protection dont pourront bénéficier les entreprises les plus touchées.
Auteur : Mme Delphine Bagarry
Type de question : Question écrite
Rubrique : Bâtiment et travaux publics
Ministère interrogé : Économie et finances
Ministère répondant : Économie, finances et relance
Dates :
Question publiée le 12 mai 2020
Réponse publiée le 8 septembre 2020