15ème législature

Question N° 29424
de M. Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise - Bouches-du-Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > patrimoine culturel

Titre > Menaces sur l'archéologie préventive

Question publiée au JO le : 12/05/2020 page : 3300
Réponse publiée au JO le : 08/09/2020 page : 5961
Date de changement d'attribution: 07/07/2020
Date de signalement: 28/07/2020

Texte de la question

M. Jean-Luc Mélenchon attire l'attention de M. le ministre de la culture sur un décret menaçant les procédures d'archéologie préventive. L'archéologie préventive est un pilier du savoir historique et de la préservation du patrimoine du passé dans le pays. Cette procédure permet aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) de prescrire un diagnostic archéologique lorsqu'un projet de travaux ou d'aménagement est programmé sur un terrain à fort potentiel de vestiges. Ce diagnostic permet ensuite d'ordonner une fouille préalable au commencement des travaux pour l'étude des vestiges. Dans de rares cas, les vestiges en question peuvent être classés au titre des monuments historiques, et donc sauvés. Cette méthode facilite la progression de la connaissance historique et archéologique. Elle empêche que des traces du passé des êtres humains en France soient définitivement effacées sans que l'on ait pu les étudier. Le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet menace cette manière de fonctionner. Il généralise des dispositions prises à titre expérimental à la fin de l'année 2017 dans une vingtaine de départements. Il autorise les préfets de département et de région à déroger aux normes réglementaires des codes de l'urbanisme, du logement ou en matière de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel. Autrement dit, les préfets pourront passer outre les obligations de l'archéologie préventive. D'ailleurs, à Saint-Barthélemy, en vertu de l'expérimentation citée, les travaux de reconstruction suite au passage de l'ouragan Irma en 2018 ont totalement éliminé toute archéologie préventive. Peut-être peut-on comprendre de telles dérogations dans le contexte de reconstruction après une catastrophe naturelle. Mais généraliser ce régime pour tout le territoire et en permanence risque de faire disparaître tout un pan de l'archéologie dans le pays. La relance économique qui se dessine ne doit pas se faire au détriment de toutes les normes et à n'importe quel prix. Au contraire, elle devra être résolument tournée vers des objectifs d'intérêt général humain, dont le progrès des connaissances fait partie. Ainsi, il lui demande quelles mesures il est prêt à prendre pour garantir la pérennité de l'archéologie préventive et de son caractère obligatoire.

Texte de la réponse

Le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 pérennise une expérimentation qui permet aux préfets de région ou de département de déroger aux normes arrêtées par l'administration de l'État dans certaines matières limitativement énumérées, et notamment dans le domaine de la protection et de la mise en valeur du patrimoine culturel. L'usage de la faculté de dérogation est strictement encadré par des conditions prévues par le décret qui prévoient en particulier que : - la dérogation doit être justifiée par deux conditions cumulatives : un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ; - la dérogation ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé et doit être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ; - la dérogation doit poursuivre un des objectifs suivants : alléger les démarches administratives, réduire les délais de procédure ou favoriser l'accès aux aides publiques. À titre liminaire, il convient de préciser qu'il n'a pas été fait usage de ce pouvoir de dérogation dans le domaine de l'archéologie, dans le cadre de l'expérimentation de ce pouvoir entre 2017 et 2019. Ainsi, à Saint-Barthélemy, si les opérations archéologiques ont été interrompues pendant sept mois après le passage de l'ouragan Irma, c'est en raison des difficultés d'accès aux sites et aux difficultés d'hébergements sur place pendant cette période. Pour autant, les services du ministère de la culture ont été régulièrement saisis par les services de l'urbanisme de la collectivité des projets de reconstruction, le plus souvent à l'identique et sans impacts sur le sous-sol, sans qu'il ait été nécessaire de mettre en œuvre des procédures dérogatoires aux dispositions du code du patrimoine dans le domaine de l'archéologie. En outre, le pouvoir de dérogation du préfet généralisé dans le cadre du décret du 8 avril dernier lui permet de ne pas appliquer, à une situation individuelle, une ou plusieurs dispositions nationales fixées par décret ou arrêté. Or, les principes qui régissent l'archéologie préventive ont été définis par le législateur. Il en est notamment ainsi du principe même de l'exercice du pouvoir de prescrire des mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique dans le cadre de l'instruction d'un projet d'aménagement, dont le fondement est législatif (article L. 522-1 du code du patrimoine). Ainsi, le préfet ne saurait renoncer à faire instruire les dossiers par les services de la direction régionale des affaires culturelles, ou encore renoncer à prescrire des mesures d'archéologie préventive sur des espaces dans lesquels la présence de vestiges archéologiques est présumée ou avérée, sans contrevenir à la volonté du législateur. Compte tenu de ces éléments, le décret du 8 avril dernier ne constitue pas une menace pour l'exercice de l'archéologie préventive dans sa finalité, consacrée par la loi, de conservation ou de sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique. Par ailleurs, pour favoriser la reprise d'activité des opérations d'archéologie préventive, un guide a été conjointement élaboré par les opérateurs privés d'archéologie, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et les services des collectivités territoriales habilités, avec le soutien des services du ministère de la culture, afin de définir les meilleures conditions de sécurité sanitaire pour l'ensemble des personnels de la filière. Ce document, partagé par l'ensemble de la filière de l'archéologie préventive, contribue à la relance des chantiers identifiés par les pouvoirs publics comme prioritaires, puis plus largement, de l'ensemble des opérations archéologiques en cours et à venir. C'est d'ailleurs dans cette démarche de reprise que s'inscrit l'INRAP, qui entretient des liens constants avec les organisations professionnelles d'aménageurs, afin de permettre la mise en œuvre des opérations archéologiques qui lui incombent dans le strict respect des prescriptions et des règles sanitaires définies pour prévenir la contamination par l'épidémie de Covid-19.