15ème législature

Question N° 29640
de Mme Josiane Corneloup (Les Républicains - Saône-et-Loire )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Mise en œuvre DataJust

Question publiée au JO le : 19/05/2020 page : 3466
Réponse publiée au JO le : 18/08/2020 page : 5572
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

Mme Josiane Corneloup attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la publication au Journal officiel d'un décret posant les bases de la justice prédictive en matière de dommages corporels. Ce texte publié le 29 mars 2020 suscite beaucoup d'inquiétudes pour de nombreux juristes. Son objet, tel que décrit par l'article 1, est de permettre au ministère de la justice de concevoir un algorithme appelé DataJust sur la base des décisions rendues en matière de préjudice corporel par les cours d'appel et les cours administratives d'appel entre 2017 et 2019. On y voit quatre objectifs, à savoir procéder à des évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative ; élaborer un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels ; informer les parties pour favoriser un règlement amiable des litiges et informer les juges amenés à statuer sur ce type de contentieux. Or le projet initial de décret s'orientait dans deux directions, permettant une aide à la recherche afin de trouver les décisions les plus pertinentes et un référentiel sur le préjudice corporel à destination des victimes. Avec une telle rédaction, le décret n'autorise pas le référentiel mais la conception de l'algorithme. C'est un problème qui est source de nombreuses inquiétudes et questions. Ce décret suscite alors deux questions, la première est de savoir si l'on fait usage du numérique dans un objectif de qualité ou s'il s'agit de gérer la pénurie de moyens. La deuxième interroge sur la place de l'avocat dans le dispositif, car derrière la création d'un référentiel grâce à l'intelligence artificielle se profile la possibilité pour les compagnies d'assurance d'invoquer le barème pour régler les dossiers hors de tout processus judiciaire, autrement dit la déjudiciarisation. C'est d'ailleurs l'objectif poursuivi et il est précisé dans les quelques lignes de présentation du décret qu'il a notamment pour finalité « l'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges ». Or il faut rappeler que la Cour de cassation a réaffirmé le monopole de l'avocat dans la phase précontentieuse de la liquidation des préjudices corporels, un algorithme pourrait se substituer aux conseils d'un avocat. L'une des difficultés réside également dans le fait que cela va accentuer l'effet barème. On va se retrouver avec des moyennes, des écarts-type sans plus pouvoir traiter les cas exceptionnels qui nécessitent l'intervention d'un avocat. Nombreux sont les juristes qui affirment que les décisions de préjudice corporel sont très complexes. Même entre spécialistes, ils ont parfois du mal à les comprendre. Par ailleurs, il est annoncé que ce système va se fonder sur les décisions judiciaires et administratives, le problème c'est qu'elles n'utilisent pas nécessairement les mêmes références ni le même vocabulaire. En d'autres termes, la comparaison va être impossible ! En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer comment sera mis en place ce barème en matière de réparation des préjudices corporels, sur quelles bases. Elle la prie également de bien vouloir lui donner son avis sur la création d'un fichier comportant des données personnelles hors le cadre du RGPD.

Texte de la réponse

Madame la Députée, Le décret portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » autorise mes services à développer un algorithme informatique afin d'évaluer, pendant une durée limitée à deux années, la possibilité de bâtir un référentiel purement indicatif d'indemnisation des préjudices corporels, tels que les souffrances endurées ou le préjudice esthétique. Je tiens à rassurer les professionnels de la justice sur la teneur de ce décret, étroitement lié au projet de réforme de la responsabilité civile, lequel a fait l'objet d'une large consultation publique en 2016. Ce projet de réforme propose de créer un corpus de règles et d'outils méthodologiques dédiés à la réparation du dommage corporel, dans le souci de garantir l'accessibilité et la prévisibilité du droit ainsi que l'égalité des victimes devant la justice. Il s'agit là d'une attente de tous les justiciables et de leurs conseils. Ce projet de référentiel indicatif d'indemnisation répond à l'absence, pour l'heure, d'outil officiel, gratuit et fiable à disposition des publics concernés (victimes, avocats, magistrats, fonds d'indemnisation, assureurs). Rappelons que divers référentiels "officieux" sont aujourd'hui utilisés par les praticiens sans aucune transparence pour les personnes concernées. Ce projet propose de se baser sur l'observation des trois dernières années de jurisprudence des cours administratives et judiciaires. Loin de remplacer les professionnels du droit et en particulier les avocats, par des algorithmes, ce référentiel indicatif vise à mieux les informer, ainsi que les victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation que ces victimes sont susceptibles d'obtenir devant les tribunaux. L'avocat conserve toute sa place pour conseiller utilement ses clients afin qu'ils puissent être intégralement et rapidement indemnisés de leurs préjudices et ainsi se reconstruire. Loin de figer les indemnisations, ce projet vise in fine à permettre une plus juste indemnisation des victimes dans le respect total de l'indépendance du juge, qui pourra toujours s'écarter des indemnisations communément allouées eu égard à la situation des parties au litige. Enfin, je tiens à souligner que ce décret, pris après avis conforme de la CNIL, présente toutes les garanties en termes de pseudonymisation des données à caractère personnel, conformément au RGPD.