15ème législature

Question N° 29779
de Mme Florence Provendier (La République en Marche - Hauts-de-Seine )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > crimes, délits et contraventions

Titre > Lutte contre la pédocriminalité en ligne

Question publiée au JO le : 26/05/2020 page : 3619
Réponse publiée au JO le : 22/09/2020 page : 6500
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

Mme Florence Provendier alerte M. le ministre de l'intérieur sur l'augmentation de la pédocriminalité en ligne durant le confinement. Pour maintenir le lien, de nombreux enfants utilisent plus que de coutume les réseaux sociaux. Une étude de l'IFOP montre que les plus de 15 ans y passent en moyenne 4 heures par jour depuis le début du confinement. Si ce lien avec l'extérieur est essentiel à la santé mentale des enfants, il augmente de facto le risque d'exposition à des contenus à caractère pornographique voir pédopornographique, à la cyberintimidation et à l'exploitation sexuelle. Début avril 2020, l'UNICEF et l'OMS ont alerté sur ces phénomènes, et un rapport d'Europol pointe l'augmentation des activités en ligne autour de l'exploitation sexuelle des mineurs. Ce même constat est fait en France par les associations de protection de l'enfance qui attestent d'une recrudescence des échanges entre pédocriminels, des phénomènes de sextorsion, de chantages sexuels à la webcam ou encore des tentatives d'entrées en contact sous pseudonymes sur les réseaux sociaux. Pour preuve, le numéro vert d'appel national a vu le nombre d'appels augmenter de 20 % en quelques semaines et les signalements de contenus pédopornographiques augmentent également. La France reste le quatrième pays au monde hébergeant des sites pédocriminels, le deuxième pays européen en matière de téléchargements de contenus pédopornographiques et chaque année près de 100 000 connexions depuis le territoire national y sont recensées, indiquant l'existence de réseaux développés. Cela est d'autant plus inquiétant qu'avec le déconfinement il y a un risque que cette criminalité ne soit plus uniquement virtuelle, et qu'elle implique des passages à l'acte. On peut craindre que les contacts noués sur internet par le biais de pseudonymes se transforment en guet-apens pour les enfants dans les prochains jours. Elle souhaiterait connaître les moyens mis en œuvre par la police nationale et la gendarmerie nationale pour lutter efficacement contre la pédocriminalité en ligne afin de d'alerter et de protéger les enfants.

Texte de la réponse

Entre le 17 mars et le 25 mai 2020, le nombre de victimes mineures de violences ou d'abus est en baisse par rapport à 2019 (- 46 %), essentiellement en raison de la réduction des interactions sociales durant le confinement. Il demeure toutefois une incertitude sur la part des abus et exploitations sexuelles d'enfants ayant effectivement donné lieu à l'établissement d'une procédure judiciaire. En effet, entre le 17 mars et le 10 mai 2020, le service d'appel 119 Enfance en danger a constaté une augmentation de 56,2 % du nombre d'appels, à savoir 97 542 contre 62 467 sur la même période en 2019. En tout état de cause, avec un déport des liens sociaux, des loisirs et de l'enseignement sur la sphère numérique, l'augmentation du temps passé devant les écrans a fait des enfants et des adolescents des cibles de choix pour les cyberdélinquants d'opportunité et les prédateurs. Outre les cybermenaces classiques, une recrudescence des phénomènes de sextorsion, de revenge porn et de chantage à la webcam a été enregistrée. Durant le confinement, les enfants ont passé beaucoup plus de temps en ligne, sur des systèmes plus ou moins sécurisés, et avec une supervision parentale parfois relâchée ou absente. Cours ou jeux en ligne, réseaux sociaux, groupes de discussion, etc., autant de vulnérabilités et d'opportunités pour les cyber-délinquants, quels que soient leurs objectifs. La gendarmerie a ainsi constaté une augmentation des atteintes en ligne aux mineurs selon le centre national d'analyse des images de pédopornographie rattaché au centre de lutte contre les criminalités numériques. Il a été notamment observé des cas d'intrusion dans les sessions de cours en ligne : perturbation des cours mais aussi diffusion de contenus pornographiques adultes à des mineurs. Les enquêteurs de l'office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP, rattaché à la direction centrale de la police judiciaire – DCPJ – de la police nationale), spécialisés dans la lutte contre la pédopornographie en ligne, ont également constaté, dans leur travail de veille sur internet, une augmentation des connexions et des téléchargements sur les réseaux P2P (peer to peer). Le nombre de procédures diligentées pour des faits de détention et diffusion d'images d'un mineur à caractère pédopornographique a donc augmenté durant et depuis le confinement. Sur le « darknet », les tchats étaient également encombrés et il a été constaté un changement significatif des comportements sur les forums (nouveaux membres ou présence plus fréquente d'internautes aux connexions jusque-là ponctuelles). Par ailleurs, il a été noté la résurgence d'un phénomène ancien, appelé « ficha », forme de revenge porn (diffusion sans le consentement de la victime d'images sexuelles obtenues volontairement) réalisé spécialement sur Snapchat et Telegram. Les auteurs de ces faits demandent à l'audience de leur compte Snapchat de leur transmettre via Telegram des images à caractère sexuel de jeunes filles de leur entourage et révèlent aussi des informations personnelles relatives à l'identité des victimes. Malgré les signalements, dès qu'un profil est suspendu, des dizaines d'autres apparaissent aussitôt sous de nouvelles appellations. Ce phénomène a été constaté dans tous les départements d'Ile-de-France. Toutefois il n'a pas été noté d'évolutions à la hausse des dépôts de plainte, sans doute par l'effet du confinement. La plate-forme PHAROS, placée au sein de l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité de la DCPJ, est par ailleurs restée disponible 24h sur 24 pour recevoir les signalements des infractions matérialisées sur internet, parmi lesquelles des atteintes faites aux mineurs comme la pédopornographie, les propositions sexuelles à mineur par voie de télécommunications, la diffusion d'images violentes ou pornographiques susceptibles d'être vue par des mineurs, etc. Durant la période de confinement (17 mars - 10 mai 2020), PHAROS a reçu 49 283 signalements, parmi lesquels plus de 5 800 signalements d'atteintes aux mineurs. En comparaison, la plateforme avait reçu 228 545 signalements en 2019, parmi lesquels plus de 18 000 signalements d'atteintes faites aux mineurs. Les signalements sont reçus via le site www.internet-signalement.gouv.fr, qui constitue le point d'entrée unique en la matière pour le ministère de l'intérieur. Ils sont exploités par les 28 policiers et gendarmes de PHAROS, qui identifient les auteurs des contenus illicites et transmettent le résultat de leurs investigations aux services de police et de gendarmerie territorialement compétents. En 2019, PHAROS a ainsi diligenté 487 procédures pour des faits d'atteintes faites aux mineurs. Parallèlement à ce traitement judiciaire et en application de l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, PHAROS adresse aux prestataires techniques de l'internet des demandes administratives visant notamment les contenus pédopornographiques qui lui sont signalés. En 2019, elle a ainsi adressé, pour de tels contenus, 8 470 demandes de retrait, 488 demandes de blocage et 5 087 demandes de déréférencement. Les mesures de retrait, exécutées par les hébergeurs des contenus, permettent la suppression des données illicites à la source. En moyenne, chaque mois, plus de 250 000 connexions sont comptabilisées sur la page d'information officielle vers laquelle les internautes sont renvoyés lorsqu'ils tentent de se connecter à un contenu pédopornographique bloqué. En revanche, les signalements de cyber-harcèlement sont directement orientés, pour prise de plainte, vers les services territoriaux compétents. Les victimes peuvent également s'adresser au numéro vert NET ECOUTE, plateforme téléphonique d'écoute et de conseil gérée par l'association E-Enfance, partenaire de PHAROS depuis 2007. Les services de la DCPJ entretiennent en outre des contacts suivis avec différentes sociétés de stockage de données afin d'obtenir le retrait des contenus pédopornographiques et de prévenir la diffusion de nouveaux contenus. Malgré l'impact du covid-19 sur leur organisation et leurs missions, la gendarmerie nationale et les services de la sécurité publique et de police judiciaire de la police nationale sont restés pleinement mobilisés sur le traitement des procédures impliquant des mineurs victimes, s'appuyant sur un réseau et des moyens dédiés. La police nationale est notamment dotée de brigades de protection de la famille dans les services territoriaux de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP – 61 unités départementales et 135 groupes locaux de protection de la famille ainsi que 165 référents) et de la DCPJ (l'OCRVP dispose d'un « groupe central des mineurs victimes »). Depuis le début du confinement, les 5 300 gendarmes du réseau CyberGEND se sont mobilisés sur toute la France pour prévenir et lutter contre ces atteintes aux mineurs en ligne, notamment via la diffusion de directives opérationnelles à l'attention des unités territoriales, la diffusion de documents de prévention communiqués au grand public par plusieurs vecteurs et enfin la mobilisation des enquêteurs sous pseudonymes. Pendant la crise, les 210 enquêteurs sous pseudonyme de la gendarmerie se sont focalisés sur la protection des personnes vulnérables, en particulier les mineurs, en veillant activement les réseaux sociaux et le « darknet » pour détecter les infractions susceptibles d'y être commises. Par ailleurs, la gendarmerie a renforcé son offre de service au grand public au travers de la brigade numérique, joignable sur internet 24h/24 et 7j/7. Ses effectifs ont depuis le début de la crise été multipliés par 5 pour atteindre 100 militaires mobilisés. Pour les affaires nécessitant des investigations sur internet ou la recherche de preuves sur des supports numériques, les services de la police nationale s'appuient sur un réseau d'enquêteurs spécialisés, aux compétences graduées, parmi lesquels : près de 2 400 enquêteurs sur internet et les réseaux sociaux, 543 premiers intervenants en cybercriminalité et 521 investigateurs en cybercriminalité. L'OCRVP, grâce à ses enquêteurs spécialisés dans les techniques d'investigation sous pseudonyme et disposant d'outils et logiciels spécifiques en la matière, a pu continuer son travail de veille et de surveillance sur le « clearnet » et le « darknet », amenant notamment à l'identification de plusieurs agresseurs physiques et producteurs d'images. Ce groupe spécialisé, en sa qualité de point de contact unique au niveau international en matière d'exploitation sexuelle des mineurs, a été également destinataire pendant cette période d'un grand nombre de signalements provenant de l'étranger. Après localisation ou identification du mis en cause, les enquêteurs transmettent le résultat de leurs investigations aux services de police et de gendarmerie territorialement compétents pour les dossiers de détention et de diffusion d'images pédopornographiques. Les enquêteurs de l'OCRVP traitent en revanche l'intégralité de la procédure lorsqu'il s'agit des producteurs d'images. Par ailleurs, l'OCRVP a été partenaire d'une initiative de l'association « L'enfant bleu » et de l'agence Havas, mise en œuvre pendant le confinement pour permettre aux enfants victimes de signaler les faits de manière discrète par le biais d'un personnage dédié, créé au sein du jeu en ligne « Fortnite ». Cette initiative ayant pris fin avec le déconfinement, un groupe de travail, auquel va participer la DCPJ, devrait à compter de septembre 2020 étudier la mise en place d'un dispositif pérenne et plus efficace. Enfin, il convient de rappeler que les services de police et de gendarmerie s'inspirent, depuis 2016, du protocole canadien National institute of child health and human development pour les auditions de mineurs victimes. L'objectif de ce protocole est de diminuer la suggestibilité des enquêteurs, d'adapter leurs questions en fonction des capacités des enfants et de les aider à fournir un récit aussi détaillé qu'exact. A ce jour, près de 1 900 gendarmes sont formés à l'audition de mineurs victimes et répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin. Au sein de la police nationale, un peu plus de 2 600 enquêteurs ont été formés à l'audition des mineurs victimes ou témoins. De plus, le guide relatif à la prise en charge de mineurs victimes, élaboré par le ministère de la justice, ainsi que le livret « Le 119 au service des droits de l'enfant », sont accessibles à tous les agents sur le site intranet de la DCSP. Ces services fondent leur action sur le dispositif des « salles Mélanie » spécialement aménagées, elles visent à faciliter le recueil de la parole de l'enfant dans le respect des obligations légales et réglementaires, notamment d'enregistrement audiovisuel de ces auditions. La gendarmerie nationale dispose de près de 200 salles sur l'ensemble du territoire national, pour la majorité hébergées au sein des brigades de recherches et des brigades territoriales. Les services territoriaux de la DCSP disposent pour leur part de 31 « salles Mélanie » (et 5 sont en projet). Les policiers de la sécurité publique peuvent également bénéficier de l'accès à 71 « salles Mélanie » installées en dehors de leurs locaux (généralement au sein d'établissements hospitaliers). De plus, certains commissariats disposent d'un système de visio-confrontation lié à une « salle Mélanie » située au sein d'un établissement hospitalier. Chaque commissariat dispose en tout état de cause d'un lieu avec une borne d'enregistrement vidéo pour les auditions.