Encadrement des achats de terres agricoles françaises par les investisseurs étrangers
Question de :
M. Jacques Marilossian
Hauts-de-Seine (7e circonscription) - La République en Marche
M. Jacques Marilossian interroge M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur un meilleur encadrement des achats de terres agricoles françaises par des investisseurs étrangers. La crise sanitaire de la covid-19 a remis sur la table les priorités en matière de secteurs stratégiques pour le pays. Le foncier agricole en fait partie et ne peut pas être soumis aux investissements étrangers, en particulier non-européens. En 2016 et 2017, le groupe chinois Reward a pu acheter des terres agricoles dans l'Indre (1 700 hectares), puis dans l'Allier (900 hectares) pour produire de la farine destinée aux boulangeries chinoises. Or le 13 mai 2019, ce groupe chinois a fait faillite. Cette faillite a été annoncée dès janvier 2019 par l'agence Fitch. Celle-ci a mis en doute la bonne santé financière du groupe Reward, soulignant l'opacité des comptes des firmes chinoises et leur refus de donner des informations pertinentes. Les audits de ces firmes sont ainsi incomplets. Le manque de fiabilité des investisseurs chinois interroge également leur capacité à acquérir des terres agricoles sur le territoire national. Ces investisseurs profitent de l'incapacité juridique des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) à préempter des cessions partielles de parts sociales de sociétés dont l'activité est basée sur l'agriculture. Les SAFER ne peuvent préempter ainsi que des cessions totales, ce qui permet en conséquence aux investisseurs étrangers comme Reward d'acheter des terres agricoles dans leur quasi-totalité sans qu'elles ne rencontrent d'obstacles. Cette incapacité juridique résulte d'une censure du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-748 DC du 16 mars 2017 sur la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. C'est notamment l'article 3 de cette loi qui a été censurée : le dispositif prévoyait que les SAFER puissent exercer leur droit de préemption en cas de cession partielle des parts ou actions d'une société dont l'objet principal est la propriété agricole, lorsque l'acquisition aurait pour effet de conférer au cessionnaire la majorité des parts ou actions, ou une minorité de blocage au sein de la société. Bien que le Conseil constitutionnel ait relevé que l'article 3 était motivé par la volonté d'éviter tout contournement du droit de préemption des SAFER, il a jugé que le dispositif allait trop loin en portant atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre. Entre la conformité constitutionnelle et les investissements par des groupes étrangers non-européens et peu fiables, il apparaît urgent de redonner aux terres agricoles françaies une pleine valeur stratégique. Il souhaite ainsi savoir ce qu'il advient des terres agricoles françaises rachetées par le groupe Reward. Il souhaite aussi connaître les intentions du Gouvernement sur un nouveau dispositif de préemption des terres agricoles par les SAFER en cas de cession partielle et qui soit conforme à la Constitution.
Réponse publiée le 8 septembre 2020
Les outils de régulation du foncier sont en partie inadaptés face au développement des phénomènes de concentration conduits sous forme sociétaire quelle que soit la nationalité de la société se portant acquéreuse. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a permis aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) d'exercer leur droit de préemption pour l'acquisition de la totalité des parts sociales d'une société dont l'objet principal est la propriété agricole. Néanmoins, force est de constater que des cessions partielles peuvent être organisées pour contourner ce dispositif. Des initiatives ont été engagées pour protéger les terres agricoles contre ces phénomènes de financiarisation et de concentration conduits sous forme d'exploitations agricoles mais elles se sont avérées infructueuses. En effet, une proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles avait été déposée le 21 décembre 2016 visant à instaurer une plus grande transparence dans l'achat de terres par des sociétés et à étendre le droit de préemption des SAFER aux parts sociales ou aux actions en cas de cession partielle. Cette dernière disposition a cependant été censurée par le conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-748 DC du 16 mars 2017. Pour appréhender de manière globale ce phénomène de fond, il est nécessaire d'en évaluer la portée à l'heure actuelle. À cet égard les données disponibles sur les années 2016 à 2018 font apparaître que les acquisitions de parts sociales réalisées par des étrangers sont au nombre de 257 pour une valeur de 491 millions d'euros en cumul, soit respectivement 1,3 % du nombre et 14,4 % du montant des acquisitions observées au cours de cette même période. Plus précisément et au titre de 2018 par exemple, les transactions ont concerné avant tout des sociétés d'exploitation (dans un cas sur deux des société civiles d'exploitation agricoles), pour 49 % en nombre et 95 % en valeur. Elles ont également concerné des sociétés de portage (pour les deux tiers des groupements fonciers agricoles), pour 38 % en nombre et 2 % en valeur. L'origine des acquéreurs est d'abord européenne (Union européenne et pays européens n'appartenant pas à l'Union). Les européens représentent 76 % des acquéreurs et réalisent 97 % de la valeur des transactions. Les autres acquéreurs viennent principalement d'Amérique du Nord (10 %), d'Asie (6 %) et autres provenances (8 %). Le Gouvernement reste extrêmement attentif à cette question du foncier agricole, en particulier à la transparence du marché et au contrôle du risque de son accaparement. Il a déjà pris des initiatives au niveau réglementaire. Ainsi le Gouvernement a pris le décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019, en application de la loi PACTE, pour étendre le contrôle préalable des investissements étrangers en France à la sécurité alimentaire et donc à la surveillance des acquisitions de foncier agricole. La réflexion se poursuit en vue de compléter le dispositif de régulation du marché des parts sociales de sociétés détenant et/ou exploitant du foncier agricole.
Auteur : M. Jacques Marilossian
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et alimentation
Ministère répondant : Agriculture et alimentation
Dates :
Question publiée le 16 juin 2020
Réponse publiée le 8 septembre 2020