15ème législature

Question N° 30553
de Mme Danièle Obono (La France insoumise - Paris )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > discriminations

Titre > Mettre fin aux comportements discriminatoires des forces de l'ordre

Question publiée au JO le : 23/06/2020 page : 4328
Réponse publiée au JO le : 06/10/2020 page : 6892
Date de changement d'attribution: 07/07/2020

Texte de la question

Mme Danièle Obono interroge M. le ministre de l'intérieur sur les mesures prévues pour faire reculer les comportements discriminatoires et parfois racistes par des agents des forces de l'ordre. Lundi 27 avril 2020, le ministre de l'intérieur, Christophe Castaner, affirmait que le racisme n'avait « pas sa place au sein de la police républicaine ». La déclaration de M. Castaner a été faite en réaction à une vidéo publiée le dimanche 26 avril 2020 par le journaliste Taha Bouhafs, dans laquelle des policiers profèrent des insultes racistes à l'égard d'un homme qu'ils viennent d'interpeller. Cette situation n'est pas un cas isolé et fait écho à plusieurs vidéos qui témoignent de contrôles apparaissant abusifs, violents et discriminatoires, en lien avec le contrôle des mesures de confinement. Ces vidéos mettent en évidence la différence de traitement réservée aux habitants de quartiers populaires. En outre, le ministère de l'intérieur a rendu publiques des statistiques relatives aux taux de contrôles et de verbalisations pour faire respecter le confinement. Ils indiquent une concentration considérable et disproportionnée des contrôles et verbalisations dans les quartiers populaires. Ces tendances n'ont rien d'exceptionnel. Aujourd'hui les nombreux constats de l'existence de différences de traitement liées à l'apparence physique, à l'origine réelle ou supposée, au lieu ou mode d'habitat dans les relations police-population ne sont plus à présenter. De nombreux rapports et études établissent en effet l'existence de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires en France, démontrant une discrimination systémique. Dans plusieurs arrêts historiques du 9 novembre 2016, la Cour de cassation a affirmé qu'un contrôle d'identité discriminatoire constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l'État. Il est clair qu'il en va de même pour les verbalisations, abus, gardes à vue ou sanctions pénales discriminatoires. Plusieurs organisations et syndicats ont écrit une lettre ouverte à M. le Premier ministre le 13 mai 2020 demandant la mise en place d'un « examen, public et indépendant, associant les communautés affectées, visant à identifier les conditions structurelles (politiques, pratiques) favorisant des comportements racistes et discriminatoires, et leur tolérance, au sein de l'institution policière. Cette enquête peut par exemple s'inspirer de l'examen indépendant des contrôles de routine diligenté en Ontario en 2017, de l'enquête du fonctionnement de la police de Ferguson (États-Unis d'Amérique) par le département d'État de la justice ou de la Stephen Lawrence Inquiry diligentée au Royaume-Uni en 1999 ». Ils demandent aussi que l'on mette en place, « dans les plus brefs délais, un examen indépendant des amendes délivrées dans le cadre du contrôle du respect des mesures du confinement ». Mme la députée souhaiterait savoir s'il va mettre en place un tel examen, public et indépendant, visant à identifier les causes structurelles des pratiques discriminatoires et parfois racistes par les forces de l'ordre. Sinon, par quels autres moyens compte-t-il agir pour mettre fin à ces problèmes graves qui minent les relations entre police et population et mettent en danger la santé et la sécurité de tous ? Elle souhaiterait aussi savoir si, concernant le contexte particulier de la crise sanitaire, il va prendre des mesures immédiates contre ces pratiques, avec, par exemple, la mise en place d'un examen indépendant des amendes délivrées dans le cadre du contrôle du respect des mesures du confinement.

Texte de la réponse

Face à l'épidémie de covid-19, les forces de l'ordre se sont mobilisées pour faire respecter les règles du confinement décidé par le Président de la République et les mesures induites par l'état d'urgence sanitaire. En moyenne, 100 000 policiers et gendarmes ont ainsi été déployés en permanence pour contrôler le respect de ces règles par nos concitoyens. Les policiers comme les gendarmes ont accompli en la matière un travail remarquable, qui n'était pas simple. Si le strict respect des règles était indispensable, il était tout aussi important que les forces de l'ordre procèdent aux contrôles avec discernement et en privilégiant la pédagogie. Le contrôle devait donc être réalisé dans le dialogue et l'échange, expressément prônés dans les instructions adressées aux effectifs. Des erreurs d'appréciation ont pu être commises, notamment dans l'interprétation de règles nouvelles pour la mise en œuvre desquelles les personnels ne disposaient pas du recul nécessaire. Pour préciser ces points, des instructions, régulièrement mises à jour, ont été données sur la manière dont ces règles devaient être interprétées et mises en œuvre. Dans l'ensemble, les Français ont très largement respecté les règles et les contrôles exercés n'ont pas soulevé de difficultés particulières. Les règles du confinement avaient vocation à s'appliquer et à être contrôlées de la même façon partout sur le territoire, sans aucune exception. Tel a été le cas. Il n'y a évidemment eu aucune « différence de traitement réservée aux habitants des quartiers populaires », où le confinement a pu être plus dur compte tenu de conditions d'hébergement souvent plus difficiles que dans d'autres parties du territoire. Par ailleurs, il doit être noté que si la question écrite dénonce une « concentration considérable des contrôles et verbalisations dans les quartiers populaires », cette perception est loin de faire l'unanimité puisqu'il a aussi été reproché aux forces de l'ordre de ne pas suffisamment intervenir dans ces mêmes quartiers populaires. En tout état de cause, dans ces quartiers comme ailleurs, la population a manifesté un civisme qui doit être salué. Pour autant, des réfractaires se sont obstinés à sortir sans attestation de déplacement dérogatoire et, parfois, notamment dans certains quartiers sensibles, des groupes d'individus ont retrouvé leurs réflexes d'occupation de la voie publique. Il est arrivé également que la verbalisation pour non-respect des mesures de confinement donne lieu à des provocations, des rébellions ou des outrages commis au préjudice des forces de l'ordre, parfois à des guets-apens ou à des violences urbaines. Ces situations ont pu conduire à des contrôles accrus de la part des forces de l'ordre, qui ne sauraient être interprétés comme une quelconque stigmatisation de tel ou tel secteur, mais comme la nécessité de faire respecter le droit et de protéger la population en veillant à ce que le comportement irresponsable et illégal de certains ne mette pas en danger les habitants de ces quartiers. Entre le 17 mars et le 10 mai 2020, plus de 21 millions de personnes ont été contrôlées par les forces de l'ordre en France (dont un peu plus de 2 millions dans la zone de compétence de la préfecture de police, soit à Paris et en petite couronne). Durant cette même période, 1,17 million de personnes ont été verbalisées (dont un peu plus de 180 000 dans la zone de compétence de la préfecture de police). Concernant ces données chiffrées, il doit être souligné que, dans la période exceptionnelle que le confinement a constitué pour la France, notamment sur le plan juridique, il était légitime que l'Etat soit en mesure de rendre compte précisément de son action, pour en informer la population mais aussi ses représentants et, donc, le Parlement. Les services de police et de gendarmerie nationales se sont donc organisés pour comptabiliser les contrôles exercés, par exemple dans le cadre des comptes rendus de patrouilles. Ces chiffres, fréquemment agrégés au niveau départemental et zonal, étaient ensuite centralisés au niveau du ministère de l'intérieur. Il va de soi qu'ils n'ont donné lieu à aucune forme de traitement centralisé ou déconcentré de données à caractère personnel et que sont donc sans objet les craintes sur les « moyens par lesquels les données liées à la vie privée sont […] protégées ». Sauf incident ou procédure judiciaire, les contrôles ne donnaient évidemment lieu à aucun enregistrement quel qu'il soit de données personnelles dans des « bases de données [ou] fichiers ». Il doit aussi être rappelé que ces données sont sans lien aucun avec les contrôles d'identité. Ceux-ci relèvent d'un cadre juridique distinct, qui recouvre plusieurs situations fixées par le code de procédure pénale (contrôles judiciaires, contrôles administratifs, etc.). La France étant un Etat de droit, quiconque peut contester une infraction relevée à son encontre. Il en est ainsi des verbalisations qui ont pu être établies dans le cadre du contrôle du respect du confinement. Les particuliers qui estimaient leur verbalisation infondée ou la légalité matérielle des conditions concrètes des contrôles discutable pouvaient ainsi contester la contravention dont ils avaient fait l'objet. Aussi, le délai de recours devant un juge a été porté de 45 à 90 jours. Ce recours pouvait être précédé d'une demande d'indulgence auprès de l'officier du ministère public. Il doit être souligné que le nombre de verbalisations problématiques a été extrêmement faible. Après vérification, la plupart des contrôles polémiques allégués sur les réseaux sociaux n'ont d'ailleurs pas été confirmés. Peu d'incidents ont été portés à la connaissance des services par la plate-forme de signalement de l'inspection générale de la police nationale. La moitié de ces signalements portaient sur des contestations de verbalisation et ont fait l'objet d'une orientation vers l'officier du ministère public, seul compétent pour les traiter. Les autres portaient sur le comportement des agents, leur courtoisie ou le degré de contrainte exercée. Ces signalements ont été orientés vers les directions actives de police, chargées d'exercer le contrôle interne sur la mise en application des mesures de police liées au confinement et sur les conditions générales de contrôle et de verbalisation. Par ailleurs, et comme c'est le cas tout au long de l'année dans un Etat de droit, les usages de la force ressentis comme illégitimes, ainsi que les contrôles qui auraient pu revêtir un caractère discriminatoire, pouvaient être dénoncés dans les conditions de droit commun. Tout usager pouvait ainsi déposer plainte auprès d'un service de police ou de gendarmerie ou directement auprès du procureur de la République. Comme c'est le cas tout au long de l'année, les personnes concernées pouvaient aussi signaler les faits auprès de l'inspection générale de la police nationale par l'intermédiaire de sa plate-forme de signalement en ligne ou auprès de l'inspection générale de la gendarmerie nationale via un formulaire de contact accessible sur internet.