15ème législature

Question N° 31082
de Mme Emmanuelle Ménard (Non inscrit - Hérault )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > crimes, délits et contraventions

Titre > Les dangers du phénomène d'exploration urbaine.

Question publiée au JO le : 14/07/2020 page : 4841
Réponse publiée au JO le : 08/06/2021 page : 4779
Date de changement d'attribution: 04/08/2020

Texte de la question

Mme Emmanuelle Ménard attire l'attention de Mme la ministre de la culture sur les dangers du phénomène d'exploration urbaine. L'urbex ou exploration urbaine consiste à visiter « physiquement » des lieux dits « insolites » recensés sur des blogs, forums ou réseaux sociaux, à les prendre en photo puis à médiatiser cette visite sur internet. Cette activité est particulièrement louée sur la toile alors même qu'elle nuit gravement au patrimoine. En effet, la pratique de l'urbex va à l'encontre de la notion même de propriété privée : les coordonnées géographiques des propriétés privées, ainsi que les photos aériennes et intérieures de celles-ci, sont souvent diffusées en ligne sans l'accord des propriétaires. Attirés par cette publicité, des visiteurs peuvent alors se succéder dans ces lieux de façon clandestine, sans l'accord des propriétaires. Et si un code de conduite tacite impose à ceux qui pratiquent l'exploration urbaine de ne rien abîmer, de ne rien toucher, force est de constater que c'est la porte ouverte à toutes sortes de dégradations (graffitis, vols, tags, incendies, etc.). De ce fait, l'urbex encourage des pratiques condamnables. Cette activité très lucrative pour les forums s'est organisée en secteurs : les fermes, les églises et chapelles, les résidences secondaires, les châteaux, les chantiers en cours, etc. Toutes sortes de bâtiments sont ainsi visées et c'est l'ensemble du patrimoine qui est de plus en plus menacé. Pour les propriétaires dont le bien a été recensé sur un site, les visites peuvent se succéder les unes aux autres sans qu'ils puissent réagir car leurs coordonnées ont été diffusées et, sauf à être sur place pour surveiller les lieux, les protéger à distance est très compliqué. À ce jour, aucune condamnation judiciaire de ce phénomène n'a été prononcée. La plupart des faits dénoncés font l'objet de simples mains courantes dans les services de police ou de gendarmerie sans poursuites judiciaires, alors même qu'il s'agit d'un problème de taille. Elle lui demande si elle envisage de condamner fermement cette activité et de mettre en place des dispositifs pour protéger les propriétés privées.

Texte de la réponse

Le droit de propriété, ainsi que le droit au respect de la vie privée, constituent des principes à valeur constitutionnelle. Les personnes s'introduisant à l'intérieur de propriétés privées à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte sont susceptibles de faire l'objet de poursuites pour violation du domicile en application de l'article 226-4 du code pénal, si ces faits sont portés à la connaissance de la justice. En effet, si la notion de domicile n'est pas définie par le code pénal, la Cour de cassation considère qu'il n'y a pas lieu d'effectuer de distinction entre l'habitation effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout habitant. A cet égard, la jurisprudence assimile au domicile d'autrui au sens de l'article 226-4 du code pénal, un local industriel ou commercial, des sites industriels clos dont l'accès est interdit à toute personne non expressément autorisée et gardés. En conséquence, dès lors que la pratique dénoncée consiste à visiter des bâtiments, historiques ou non, qui ne sont nullement abandonnés, mais bien habités régulièrement, les intéressés sont susceptibles d'être poursuivis sur ce fondement. Par ailleurs, indépendamment des dégradations pouvant être commises sur ces sites, l'introduction dans ces locaux implique fréquemment la commission de dégradations, notamment pour altérer les dispositifs de fermeture interdisant l'accès. Dès lors, les faits de dégradations de biens privés, le cas échéant aggravées si elles sont commises sur un bien classé ou inscrit au titre des monuments historiques, en application de l'article 322-3-1 du code pénal, sont également susceptibles d'être poursuivis. Enfin, la lutte contre la diffusion des contenus illicites sur internet et les réseaux sociaux est une préoccupation essentielle du ministère de la justice. L'article 6 I 8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique permet ainsi à l'autorité judiciaire de prescrire aux hébergeurs ou, à défaut, aux fournisseurs d'accès à internet, en référé ou sur requête, « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ». Le texte permet ainsi d'enjoindre aux fournisseurs d'accès à internet, le blocage à partir du territoire national des accès aux sites internet et autres contenus susceptibles de faire naître un dommage ou occasionnant un dommage. A ce titre, le fait de propager des contenus tendant à inciter à la commission d'infractions, telles que des atteintes aux biens ou à la propriété est susceptible de caractériser le dommage visé par le texte précité. Si la seule mention des coordonnées GPS des bâtiments visités, sans autres éléments de nature à provoquer à la commission d'infractions, semble, en tant que telle, difficilement tomber sous le coup de la loi pénale réprimant la provocation à commettre une infraction, il convient toutefois de rappeler que seule l'autorité judiciaire saisie par les parties intéressées est compétente pour déterminer si les conditions de retrait de ces contenus litigieux sont réunies. Les différentes évolutions législatives ayant permis de faciliter la poursuite des auteurs de violation de domicile, les propriétaires sont incités à porter systématiquement ces faits à la connaissance de l'autorité judiciaire afin qu'une réponse soit apportée à ces faits. Néanmoins, l'utilisation des réseaux sociaux par les auteurs pour diffuser les adresses des lieux et inciter des personnes à les visiter, rendant difficile leur identification, constitue un obstacle majeur aux poursuites. Ainsi, les dispositions légales existantes permettant déjà de lutter contre ce phénomène, le ministre de la justice n'envisage pas en l'état de proposer une modification du droit existant.