15ème législature

Question N° 32060
de Mme Catherine Osson (La République en Marche - Nord )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie, finances et relance
Ministère attributaire > Économie, finances et relance

Rubrique > finances publiques

Titre > Épargne et réussite du plan de relance

Question publiée au JO le : 08/09/2020 page : 5889
Réponse publiée au JO le : 08/12/2020 page : 8984
Date de signalement: 17/11/2020

Texte de la question

Mme Catherine Osson interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur la mobilisation de l'épargne pour permettre la réussite du plan de relance, par exemple par un grand emprunt national. En effet, s'ils ont bénéficié de mesures de soutien au pouvoir d'achat décidées par le Gouvernement, les Français ont consacré une large partie des revenus supplémentaires à épargner (et pas seulement à consommer), une tendance qui s'est confortée ces derniers mois dans le contexte de crise sanitaire. À 15,7 %, le taux d'épargne des Français est au plus haut depuis 10 ans (et hors l'Allemagne qui pour des raisons démographiques structurelles est à 4 points au-dessus, la France est au plus haut parmi les grands pays occidentaux). Nombre d'économistes (dont la Banque de France) estiment qu'à fin septembre 2020, les Français auront épargné près de 100 milliards d'euros sur leurs comptes (et même sur les dépôts à vue !) thésaurisant ainsi un argent qui, s'il n'était affecté en épargne de précaution, pourrait irriguer l'économie réelle en soutenant la reprise d'activité et la croissance, par la consommation. Ne serait-il donc pas opportun qu'une part de ces ressources soit mobilisée pour financer des investissements, et notamment le plan de relance gouvernemental ? Pour cela, le Gouvernement pourrait lancer un grand emprunt national (des précédents ont existé, tels en 1973, en 1977, en 1993 ou en 2009). Sans être un emprunt obligatoire ou « forcé », il pourrait être incitatif. Certes, l'intérêt payé par l'État serait plus coûteux pour les finances publiques que si celui-ci levait l'argent sur les marchés. Mais il y a d'autres avantages à un tel emprunt national : cela éviterait un excès d'offre d'emprunts français sur les marchés (car même si la dette française est appréciée, déjà la France va lever plus de 300 milliards d'euros en 2020 pour financer son déficit, croissant, et rembourser ses engagements antérieurs : les investisseurs internationaux pourraient voir avec bienveillance le recours à une autre source de financement des besoins publics) ; cela desserrerait la contrainte extérieure (du financement par les non-résidents) en mobilisant l'épargne nationale ; cela mobiliserait des liquidités qui seraient dormantes sinon (l'intérêt payé serait ainsi le prix du renoncement à la liquidité) ; et surtout cela pourrait assurer une meilleure rémunération de l'épargne des Français (supérieure au taux du Livret A, dont, en dépit d'un taux historiquement bas de 0,5 %, la collecte - près de 29 milliards d'euros sur les sept premiers mois de 2020 - atteint des records) qui accepteraient de souscrire cet emprunt. Aussi interroge-t-elle le Gouvernement sur son analyse du recours à un tel grand emprunt, lequel serait, à n'en pas douter, en termes de communication, une opportunité majeure de mobiliser les esprits en même temps que des fonds pour la relance.

Texte de la réponse

La France effectue de « grands emprunts » tous les quinze jours (environ 10 Mds€), de manière étalée sur tous les mois de l'année, afin d'optimiser ses coûts de financement. Les politiques monétaires accommodantes au niveau mondial, et l'accumulation de réserves en devises, conséquence des déséquilibres de balance de paiements courants dans un certain nombre de pays, se traduit par une demande massive d'actifs sûrs de la part des banques centrales (dont l'Eurosystème, via le programme d'achat d'actifs de la Banque centrale) et des banques (les dépôts à vue ne sont pas nécessairement « dormants » pour les banques). L'abondance de liquidité permet le financement de l'État à des taux très bas, autour de – 0,1 % à 10 ans en moyenne en 2020 [-0,12%], des taux très inférieurs à ceux des produits accessibles aux ménages, qui disposent par ailleurs d'avantages fiscaux. Les particuliers participent en général indirectement à ce marché, via les produits d'épargne réglementée ou d'assurance vie qui sont placés pour partie en obligation du Trésor à long terme (OAT). Par exemple, les fonds déposés sur des contrats d'épargne réglementée (livret A, LEP, PEL) sont en partie investis en OAT indexées à l'inflation. La France se finance dans d'excellentes conditions auprès d'une base d'investisseurs diversifiés. Elle bénéficie de la confiance des marchés. Aujourd'hui, le recours aux épargnants domestiques via une souscription directe s'observe en règle générale lorsqu'un État rencontre des difficultés de financement à travers ses canaux de financement classiques. Dans une telle situation, qui se traduit par une remontée des taux d'intérêt, une demande domestique spécifique peut être sollicitée avec une perspective de succès du placement. En dehors de cette situation très particulière, la construction d'un marché moderne du financement de l'État, permanent et liquide, a permis, avec la création il y a 36 ans du système des OAT (obligations « assimilables » du Trésor, c'est un dire un emprunt qui peut être réabondé selon des caractéristiques identiques sur la durée), d'abandonner la technique de l'appel direct de l'État par souscription nationale à l'épargne des particuliers, extrêmement coûteux. Il comprenait en effet des commissions de placement, des campagnes de communication, souvent des incitations fiscales et un taux supérieur au marché afin de rester attractif durant la campagne de placement. Le dernier grand emprunt sous la forme d'appel public à l'épargne (emprunt dit « Balladur » de 1993) qui s'inscrivait dans le cadre des privatisations s'est traduit par un surcoût de plusieurs milliards de Francs pour les finances publiques. À titre d'exemple, rémunérer à 10 ans 100 Mds€ à 1 % (sans qu'il y ait de certitude sur le fait qu'un tel taux permettra d'attirer l'épargnant particulier) contre un prix de marché actuel -0,1 %, c'est une différence de coût annuel de 1 100 M€ au détriment du contribuable, au détriment du financement d'une autre dépense publique ou d'une réduction du déficit.  Un « grand emprunt » signifierait en effet sur-rémunérer les souscripteurs : outre la question de l'opportunité politique de creuser le déficit pour créer l'illusion que les souscripteurs participent à l'effort national, ceci s'accompagnerait vraisemblablement d'une mesure fiscale en dépense ou en recette, nécessitant une modification de l'article 26 de la LOLF dans la mesure où celle-ci interdit de prévoir une exonération fiscale dans le cadre d'un emprunt émis par l'État. Cet emprunt susciterait, de surcroît, l'incompréhension des investisseurs habituels (méconnaissance de l'intérêt du contribuable, taux élevé pour garantir le succès de l'opération) qui pourraient s'interroger sur les raisons d'une telle politique, de nature à entretenir une suspicion (finances publiques et situation économique plus dégradé qu'anticipé) qui pourrait alarmer inutilement et inciter ces investisseurs à se tenir à l'écart de la dette française et ayant pour effet de renchérir le coût de nos opérations de financement. Enfin, les besoins sont sans commune mesure avec le potentiel d'une souscription directe, même soutenue fiscalement. Si l'emprunt dit « Barre » permettait de financer la totalité d'un déficit budgétaire et l'emprunt « Balladur » de couvrir un quart du besoin de financement de l'État en 1993, ce dernier, dont le volume est pourtant de loin le plus important de l'histoire, couvrirait aujourd'hui moins de 5% des besoins de financement de l'État. Il n'apparaît pas nécessaire dans ces conditions de changer une stratégie opérationnelle de financement qui a fait ses preuves.