Conséquences de la transposition par le Gouvernement de la directive « Travel »
Question de :
M. Boris Vallaud
Landes (3e circonscription) - Nouvelle Gauche
M. Boris Vallaud attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur les conséquences pour les organismes d'accueil collectif de mineurs sans but lucratif de la transposition effectuée par le Gouvernement de la directive « Travel ». Les enfants sont-ils des touristes lorsqu'ils partagent une nuit à la belle étoile en camp ? Les parents auront-ils d'autres choix que des catalogues de séjours touristiques pour les vacances de leurs enfants ? Étranges questions. Et pourtant c'est la situation qui se prépare pour le 1er juillet 2018 avec l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 et du décret n° 2017-1871 du 29 décembre 2017 qui transposent la directive « Travel ». Ces textes de transposition soumettent les organismes d'accueils collectifs de mineurs (ACM) sans but lucratif, à une obligation d'immatriculation comme prévu au code du tourisme, et de dépôt de garantie financière. Ainsi les colonies de vacances, les mouvements scouts et les classes découvertes se retrouvent alignées sur le marché du tourisme, sans aucune prise en compte de leurs vocations : éducative, sociale, solidaire, militante. Quid de l'inscription de ces colonies, depuis plus d'un siècle, dans des finalités qui sont du ressort de politiques publiques, celles de d'éducation nationale ou de jeunesse et sports, et qui purent être, selon les époques, hygiénistes, sanitaires, sociales, éducatives, voire même sécuritaires ? Quid des mixités ? Du faire-ensemble des enfants et des jeunes ? Veut-on pour les enfants des activités assujetties à des logiques exclusivement marchandes, des options, des gammes de prestations, des plannings, ou bien du temps libre, de la découverte, des rencontres, l'apprentissage de l'autonomie ? Les colonies ne vendent pas des prestations, elles construisent des liens, des rencontres. Les colonies de vacances exercent une mission d'intérêt général, s'adressent non à des consommateurs mais à des enfants qui n'ont parfois pas la chance ou les moyens de partir. Elles ouvrent à des enfants et des jeunes adultes la possibilité de faire et d'apprendre ensemble. Il faut rappeler que chaque année ce sont 3 millions d'enfants qui ne partent pas en vacances, dont 2 millions ne quittent pas leur domicile, même une nuit. Et pourtant le Gouvernement, en réalité Bercy, qui a piloté cette transcription sans aucune concertation avec les acteurs concernés, a fait le choix d'une transcription ignorant totalement la mission d'intérêt général conduite par les colonies à but non lucratif. Et cela alors même que l'Allemagne n'applique ce texte qu'aux agences de voyage et tour-opérateurs. Le Portugal fait la distinction entre le marchand et le non marchand en appliquant les demandes de garanties aux agences de voyages et en prévoyant qu'elles ne s'appliquent pas aux « institutions portugaises qui œuvrent dans le secteur de l'économie sociale ». Le Luxembourg a conçu des possibilités de dérogation. L'Espagne a distingué entre entreprises et associations. Et il ne s'agit même pas avec cette directive d'améliorer les garanties éducatives, auxquelles les colonies de vacances répondent dans le cadre de leurs agréments « Jeunesse et éducation populaire » ou « Association complémentaire de l'enseignement public », ni d'améliorer la qualité des activités proposées, elle aussi garantie aujourd'hui par la réglementation ACM. Aussi, il lui demande ce qu'il compte faire pour remédier à cette démarche qui ressemble fort à une sur-transposition et rendre ainsi la pleine faculté aux colonies de vacances, partout sur le territoire national, souvent en zone rurale, de continuer à déployer les solidarités et le vivre ensemble pour tous les enfants de France.
Réponse en séance, et publiée le 16 mai 2018
CONSÉQUENCES DE LA TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE « TRAVEL »
M. le président. La parole est à M. Boris Vallaud, pour exposer sa question, n° 325, relative aux conséquences de la transposition de la directive « Travel ».
M. Boris Vallaud. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, les enfants sont-ils des touristes lorsqu'ils partagent une nuit à la belle étoile en colonie de vacances ? Les parents auront-ils d'autres choix que des catalogues de séjours touristiques pour les vacances de leurs enfants ?
Drôles de questions… Mais c'est pourtant la situation qui se profile pour le 1er juillet prochain, avec l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 20 décembre 2017 et du décret du 29 décembre 2017 qui transposent la directive européenne « Travel ». Ces textes de transposition, tels qu'ils ont été rédigés par le Gouvernement, soumettent les organismes d'accueils collectifs de mineurs – ACM – sans but lucratif à l'obligation d'immatriculation prévue au code du tourisme et au dépôt d'une garantie financière.
Ainsi, les colonies de vacances, les mouvements scouts et les classes découvertes se retrouvent alignés sur le marché du tourisme, sans aucune prise en compte de leur vocation éducative, sociale et solidaire. Quid de l'inscription de ces colonies, depuis plus d'un siècle, dans des finalités qui sont du ressort des politiques publiques, celles de l'éducation nationale ou de la jeunesse et des sports, et qui purent être, selon les époques, hygiénistes, sanitaires, sociales, éducatives voire sécuritaires ? Quid des mixités ? Du faire-ensemble des enfants et des jeunes ? Voulons-nous pour nos enfants des activités assujetties à des logiques exclusivement marchandes ou bien du temps libre, de la découverte, des rencontres, l'apprentissage de l'autonomie ?
Les colonies exercent une mission d'intérêt général. Elles s'adressent non pas à des consommateurs, mais à des enfants, qui n'ont parfois pas la chance ou les moyens de partir. Elles ouvrent à des enfants et à de jeunes adultes la possibilité de faire et d'apprendre ensemble. Rappelons que chaque année ce sont 3 millions d'enfants qui ne partent pas en vacances, dont 2 millions ne quittent pas leur domicile, même une nuit.
Pourtant, monsieur le ministre, le Gouvernement, ou plutôt Bercy sans doute, qui a piloté cette transcription sans aucune concertation avec les acteurs concernés, a fait le choix d'une transposition ignorant totalement la mission d'intérêt général des colonies à but non lucratif, alors même que dans d'autres pays cette différence a été prise en considération.
L'Allemagne n'applique ce texte qu'aux agences de voyage et aux tour-opérateurs. Le Portugal fait la distinction entre le marchand et le non-marchand en appliquant les demandes de garanties aux agences de voyages et en prévoyant qu'elles ne s'appliquent pas aux institutions portugaises qui œuvrent dans le secteur de l'économie sociale. Le Luxembourg a conçu des possibilités de dérogation. L'Espagne a distingué entre entreprises et associations.
Et il ne s'agit même pas, avec cette directive, d'améliorer les garanties éducatives, auxquelles les colonies de vacances répondent déjà dans le cadre de leurs agréments « Jeunesse et éducation populaire » ou « Association complémentaire de l'enseignement public », ni d'ailleurs d'améliorer la qualité des activités proposées, elle aussi garantie aujourd'hui par la réglementation ACM.
Aussi, monsieur le ministre, nous ne comprenons pas la réponse du Gouvernement à une question écrite de notre collègue sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, Denise Saint-Pé. Comment comprendre, en effet, une transcription aussi restrictive, qui impose aux associations agréées, ainsi qu'aux collectivités territoriales et aux ACM organisant des séjours à la journée sans hébergement, de répondre à ces nouvelles obligations, comme le prévoit la réponse écrite qu'a reçue la sénatrice ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le député, je comprends la préoccupation qui inspire votre question. Je pense que ma réponse dissipera une partie, voire la totalité de vos inquiétudes. Il me semble en effet que vous avez été imparfaitement informé sur ces sujets.
Bien entendu, je partage avec vous la volonté d'un développement continu, voire d'un rebond des organismes qui permettent aux enfants de tous les milieux sociaux de bénéficier de vacances, notamment en plein air. C'est évidemment un but d'intérêt général qu'il faudra atteindre au cours des prochaines années.
Les fameuses « colonies de vacances » sont principalement le fait d'associations et, dans une moindre mesure, de collectivités publiques. Chaque année, il y a 900 000 départs de mineurs, au sein de 28 000 séjours. Cependant, on enregistre depuis sept ans une baisse continue du nombre de séjours et de mineurs accueillis : - 22 %, ce qui est considérable. Il faut changer cela.
La directive européenne du 25 novembre 2015 a notamment pour objectif d'assurer un niveau élevé de protection des voyageurs au regard des risques physiques et pécuniaires liés aux activités de voyages et de séjours. On comprend aisément son inspiration, compte tenu des enjeux notamment de prévention des risques.
Sa transposition par l'ordonnance du 20 décembre 2017 a conduit à supprimer, à l'article L. 211-18 du code du tourisme, les associations et organismes sans but lucratif organisant des ACM de la liste des organismes exclus de l'obligation d'immatriculation, les obligeant notamment à justifier d'une garantie financière suffisante et d'une assurance garantissant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle.
Pour autant, cette suppression ne conduit pas à faire entrer dans le champ de l'immatriculation touristique par Atout France et des diverses obligations prévues par la directive tous les organisateurs d'ACM définis aux articles L. 227-4 et R. 227-1 du code de l'action sociale et des familles. Plusieurs cas semblent devoir être distingués.
N'entrent pas dans le champ de la directive les associations agréées auxquelles vous avez essentiellement fait référence, qu'il s'agisse d'agréments de jeunesse et d'éducation populaire, du secteur du sport ou d'associations éducatives complémentaires de l'enseignement public, qui organisent des ACM sur le territoire national.
Ces associations, qui remplissent une mission d'intérêt général éducative et sportive, contribuent au renforcement du lien social et œuvrent en faveur de l'accès aux vacances et aux loisirs de tous les enfants, en particulier des trois millions qui n'ont pas la chance de partir en vacances. Étant donné leur but non lucratif et compte tenu du régime particulier auxquelles elles sont soumises, offrant un haut niveau de protection, elles ne sont pas tenues de justifier d'une garantie financière nouvelle par rapport au régime existant.
Deuxièmement, les personnes morales de droit public, dont les collectivités locales, qui n'interviennent pas dans le domaine industriel ou commercial, peuvent organiser de nombreux ACM en France. Ce faisant, elles agissent également dans l'intérêt général à des fins éducatives ou sportives. Elles sont donc également, pour les mêmes raisons que les associations agréées, hors du champ d'application de la directive.
Les ACM sans hébergement – accueils de loisirs, accueils de jeunes, accueils de scoutisme sans hébergement – n'entrent pas non plus dans le champ de cette directive dès lors que leur période de fonctionnement couvre moins de vingt-quatre heures et qu'ils ne comprennent pas de nuitées.
Enfin, ne sont pas tenus de satisfaire aux conditions de l'immatriculation les associations et organismes sans but lucratif appartenant à une fédération ou une union déclarée qui s'en portent garantes, à la condition que ces dernières soient immatriculées.
Dans un contexte marqué par la baisse continue de la fréquentation des colonies de vacances au sens large ces dernières années, l'application de la directive du 20 novembre 2015 ne méconnaît pas la valeur ajoutée dans le champ éducatif ou sportif de ces associations. J'accompagnerai avec volontarisme la bonne mise en œuvre de ces dispositions, dans un esprit de soutien à ces organismes.
Auteur : M. Boris Vallaud
Type de question : Question orale
Rubrique : Enfants
Ministère interrogé : Éducation nationale
Ministère répondant : Éducation nationale
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 mai 2018