Recensement des terres agricoles à l'abandon pour réguler l'enfrichement
Question de :
M. Philippe Chassaing
Dordogne (1re circonscription) - La République en Marche
M. Philippe Chassaing appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur le phénomène d'enfrichement des terres agricoles, qui tend à prendre de l'ampleur dans les espaces ruraux sans être pour autant suffisamment documenté. Conséquence de la déprise agricole et du morcellement du foncier, mais aussi de la négligence de certains propriétaires ou de successions en déshérence, l'enfrichement non maîtrisé soulève plusieurs problèmes majeurs, que ce soit en termes de sécurité civile (intensification du risque incendie), de salubrité publique (prolifération de gibiers nuisibles) ou d'aménagement du territoire dans une double perspective écologique (dégradation du paysage, modification des biotopes) et économique (frein à l'activité agricole). C'est la raison pour laquelle de nombreux élus ruraux et organisations professionnelles appellent de leurs vœux une réhabilitation de ces réserves foncières pour en préserver la finalité agricole. Si, à cet effet, il existe déjà une palette d'outils zonaux (ZAP, PPEANP, SCOT, PLUi), juridiques (procédures de mise en valeur des terres incultes ou des biens vacants et sans maître, obligation légale de débroussaillement, obligation d'entretien « pour motifs d'environnement ») et contractuels (baux ruraux tels que le commodat, conventions de mise à disposition avec la SAFER, associations foncières agricoles ou pastorales, obligations réelles environnementales), force est de constater qu'ils sont, pour certains d'entre eux, méconnus par les acteurs locaux et donc sous-utilisés, tant et si bien que la politique publique peine à réguler la multiplication des parcelles laissées à l'abandon. Cette difficulté découle de deux causes principales. La premiére est d'abord le flou définitionnel autour de la notion de « friche agricole », qui désigne aujourd'hui un état transitoire entre la terre inexploitée (depuis au moins trois ans) et le boisement (à partir de trente ans). La deuxiéme est , corollairement, l'inégale avancée des inventaires quinquennaux des friches par les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Bien qu'elles disposent d'une pluralité d'instruments pour appréhender la réalité de l'enfrichement dans chaque territoire (imagerie satellitaire, logiciels géomatiques comme « ID Friches », registre parcellaire graphique issu des déclarations PAC, fichiers fonciers « MAJIC » de la DGFiP, sans oublier les indispensables vérifications sur site), la plupart de ces instances n'ont semble-t-il pas encore entamé le travail de recensement par manque de temps et d'effectifs, mais aussi faute d'une méthodologie claire et harmonisée. Au total, si l'on peut saluer certaines initiatives locales, à l'instar de l'application collaborative « Open Friche Map » en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, il demeure néanmoins impossible, à ce stade, de mesurer avec précision l'étendue de l'enfrichement des terres agricoles en France. Or l'identification rigoureuse des friches est un préalable nécessaire à l'application de plusieurs dispositions du code rural et de la pêche maritime, à commencer par la procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées (articles L. 125-1 à L. 125-15). C'est pourquoi il conviendrait de pouvoir quantifier le phénomène d'enfrichement à l'échelle nationale. Aussi, il l'interroge sur la possibilité de donner un véritable statut à la friche agricole qui serait ancré dans le droit rural. Il lui demande également la position du ministère sur l'opportunité de mettre en place un observatoire national du foncier chargé de dresser un état des lieux global de l'enfrichement et d'en suivre l'évolution sur la base des remontées des CDPENAF. À défaut, il souhaiterait connaître les propositions alternatives du Gouvernement pour piloter le travail de recensement des friches dans un souci d'efficacité et de cohérence entre les différents territoires. Enfin, il sollicite des éléments concrets permettant d'évaluer la pertinence et les limites des différents dispositifs existants en matière de prévention et de lutte contre l'enfrichement à outrance des terres agricoles.
Réponse publiée le 6 avril 2021
La problématique de la lutte contre le développement des friches en matière agricole est une préoccupation prise en compte de longue date par le Gouvernement, conjointement avec les collectivités territoriales et les organisations professionnelles du monde agricole. Dans le cadre de l'inventaire quinquennal des friches prévu à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), il appartient aux commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) de proposer une définition de la notion de friches, ainsi qu'une méthodologie de détection, dès lors que la perspective de leur restauration en vue de la production agricole ou forestière peut être envisagée. Le législateur n'a pas défini précisément la friche agricole et ne lui a pas conféré un statut juridique. Cette approche permet de laisser une latitude aux territoires pour adopter une définition qui tient compte de leurs contextes, de leurs problématiques et de leurs objectifs. Si la réalisation de l'inventaire départemental a bien été globalement engagée, toutes les CDPENAF ne sont pas en mesure de présenter un résultat complet pour le département. Les départements les plus avancés ont utilisé des méthodes convergentes en croisant des informations géographiques de sources diverses (notamment Teruti Lucas, Corine Land Cover, des photos aériennes, le registre parcellaire graphique de la politique agricole commune). Dans certains cas, en prenant appui sur les acteurs de terrain que sont les collectivités territoriales et les professionnels agricoles, des CDPENAF ont pu effectuer des déplacements pour confirmer le statut des parcelles. Par ailleurs, les réseaux d'acteurs des territoires à l'instar du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité, l'aménagement ou des opérateurs fonciers comme les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural sont sollicités pour apporter leur expertise et leurs données. Compte tenu de l'inégale avancée des démarches des CDPENAF, il n'est pas envisagé, à ce stade, de créer un observatoire des friches agricoles au niveau national. Néanmoins, afin de faciliter et coordonner la mise en œuvre des inventaires, les services du ministère de l'agriculture et de l'alimentation au niveau national diffusent depuis plusieurs années les expériences mises en place par certains territoires auprès du réseau des services déconcentrés et ce dans l'objectif de faciliter l'approche méthodologique pouvant être envisagée. Ces inventaires peuvent potentiellement servir de source d'information pour déclencher, le cas échéant, les procédures de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées qui est, à ce jour, l'instrument privilégié de lutte contre le développement des friches (articles L. 125-1 et suivants et R. 125-1 à 14 du CRPM). L'inventaire réalisé par les CDPENAF n'est cependant pas un préalable indispensable à la mise en œuvre de cette procédure. Il s'agit de deux outils dont l'objectif et la portée sont distincts. La mise en œuvre de la procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées touche très directement au droit de propriété, ce qui justifie que la procédure, qui peut être d'initiative individuelle ou collective, prévoit des mécanismes très encadrés, qui permettent au propriétaire de réagir avant de se voir éventuellement retirer l'exploitation de ses terres. La durée de la procédure est de trois ans en moyenne. Par conséquent, le dispositif est encore peu utilisé, bien que plusieurs exemples récents de son utilisation en métropole et en outre-mer sont encourageants et invitent à en faire un usage plus volontariste.
Auteur : M. Philippe Chassaing
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et alimentation
Ministère répondant : Agriculture et alimentation
Dates :
Question publiée le 2 février 2021
Réponse publiée le 6 avril 2021