Rubrique > recherche et innovation
Titre > Recherche française en Antarctique
M. Patrick Hetzel interroge Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur la recherche française en Antarctique. En cette année 2021 seront célébrés deux anniversaires d'évènements majeurs ayant contribué à une meilleure connaissance scientifique de l'extrême sud de la planète : le 60ème anniversaire de l'entrée en vigueur du traité sur l'Antarctique et le 30ème anniversaire de la signature du protocole de Madrid, dont la France est co-initiatrice avec l'Australie et qui ajoute un volet environnement au traité sur l'Antarctique. Du 14 au 24 juin 2021, la France présidera les deux conférences annuelles de négociations internationales adossées à ces évènements géopolitiques : la 43ème réunion consultative du traité sur l'Antarctique (RCTA XLIII) et la 23ème réunion du Comité pour la protection de l'environnement (CPE XXIII) mis en place par le protocole de Madrid. Depuis sa signature du traité en 1959, la France a présidé la RCTA à seulement deux reprises : en 1968 et en 1989. Au printemps 1989, lors d'une rencontre à Paris, le Premier ministre français Michel Rocard et son homologue australien Robert Hawke prenaient la décision historique de refuser de ratifier la convention dite « de Wellington » sur la réglementation des activités relatives à l'exploitation des ressources minérales de l'Antarctique. En octobre de la même année, en ouvrant la 15ème RCTA, Michel Rocard annonçait la négociation d'un nouveau cadre juridique en faveur de la protection de l'environnement du grand continent blanc, cadre qui allait devenir le protocole au traité sur l'Antarctique relatif à la protection de l'environnement, dit « protocole de Madrid ». Il sera adopté en 1991 et définira l'Antarctique comme « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». La stratégie polaire nationale édictée en parallèle par le Premier ministre va conduire à la création en 1992 de l'Institut français pour la recherche et la technologie polaires (IFRTP), qui deviendra en 2002 l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), agence nationale de moyens et de compétences chargée d'implémenter les recherches polaires françaises en organisant les expéditions et en assurant la maintenance et le développement des infrastructures dédiées. Cette stratégie aboutira également à la création en France du Comité de l'environnement polaire en 1993. Chaque année, la RCTA organise les négociations internationales autour du traité sur l'Antarctique. 54 États y prennent part actuellement (dont 29 parties consultatives au traité, ayant droit de vote). La France occupe une place particulière puisque la Nation appartient au cercle restreint des 7 États dits « possessionnés », c'est-à-dire qui ont émis des revendications territoriales en Antarctique, la France ayant ainsi revendiqué la Terre Adélie découverte en janvier 1840 par l'amiral Jules Dumont d'Urville. Depuis le traité sur l'Antarctique, la France peut continuer à y faire valoir des droits de juridiction en raison du « gel » des prétentions territoriales consacré en 1959. Le Comité pour la protection de l'environnement (CPE) se réunit en parallèle de la RCTA pour examiner des questions relatives à la gestion comme à la protection de l'environnement antarctique et pour donner des avis à la RCTA. Le système du traité sur l'Antarctique constitue un instrument géopolitique unique en son genre, voyant un collectif de nations gérer conjointement près de 7 % de la surface de la planète (tout l'espace au sud du 60ème parallèle sud). À ce jour, la France est considérée comme une nation polaire majeure. Sa voix est particulièrement écoutée dans le cadre du système du traité sur l'Antarctique. Cela tient en priorité à l'excellence et à la visibilité de sa recherche en Antarctique, reconnue au meilleur niveau international. Ainsi, la France se classe actuellement au 2ème rang mondial parmi les nations opérant des stations de recherche, pour les index de citations des articles scientifiques reposant sur des travaux de recherche conduits en Antarctique. Il faut noter par ailleurs que la France se classe même au 1er rang mondial pour les recherches conduites au sein des milieux subantarctiques. Sur les sujets ayant trait au changement climatique et à la biodiversité, la France brille plus particulièrement par la qualité et la renommée de ses recherches. La présidence française de la RCTA et du CPE à Paris en juin 2021 offre une occasion rare (la prochaine présidence française se tiendra en 2050) d'affirmer en coordination interministérielle une nouvelle ambition nationale pour ces milieux, ainsi que de mettre en avant les problématiques polaires à l'échelle de la Nation (valeur de la recherche scientifique polaire et particulièrement antarctique, changement climatique, développement du tourisme, enjeux environnementaux plus généralement mais aussi enjeux économiques et géostratégiques). Quatre mois seulement séparent de l'événement. Une question légitime se pose alors : quelle volonté politique le Gouvernement souhaite-t-il exprimer à cette occasion, connaissant l'impact mondial de la précédente présidence française en 1989 ? Est-ce que la France souhaite demeurer une puissance polaire et montrer l'exemple dans son positionnement ? Ou bien entrera-t-elle dans le rang des rares nations se désintéressant de la géopolitique antarctique et des enjeux scientifiques majeurs y prenant place ? Lorsqu'on interroge les chercheurs investis dans ces environnements extrêmes et membres du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques (CNFRA), ceux-ci indiquent qu'ils sont fermement convaincus que la France peut demeurer une puissance polaire et montrer la voie. Mais cela ne se concrétisera pas sans volonté politique forte ni sans moyens à la hauteur des ambitions. Aujourd'hui, on constate que l'opérateur polaire, l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, dispose de beaucoup moins de moyens que des nations comme la Corée du Sud, l'Australie, l'Allemagne ou encore le Royaume-Uni, en matière d'investissements en Antarctique au service de la recherche. Ces dernières investissent annuellement trois fois plus que la France pour remplir les mêmes missions logistiques et opérationnelles dans les milieux polaires. Même l'Italie, qui a débuté son investissement en Antarctique seulement en 1984, presque 40 ans après la France, fournit plus de moyens à son opérateur antarctique que la France. Plus grave, les chercheurs observent que l'Institut polaire français voit une réduction importante de ses ressources humaines depuis au moins 15 ans, alors même que la pression scientifique s'accroît. Les enjeux pratiques sont pourtant là. La France dispose de deux stations de recherche en Antarctique : Dumont d'Urville sur la côte et Concordia au cœur du continent, celle-ci étant gérée à parité de moyens avec l'Italie. Ces deux stations nécessitent urgemment un plan de rénovation modernisation. La première a en effet vu ses derniers investissements matérialisés au cours des décennies 1960 et 1970. La deuxième, construite en 2005 pour une durée de vie de 30 ans, parvient à mi-vie. Est-ce que juin 2021 ne pourrait pas être l'occasion d'affirmer une politique ambitieuse de modernisation de ces deux stations opérées par la France en Antarctique, en s'appuyant sur l'approche la plus responsable possible sur le plan environnemental ? L'objectif ultime consisterait à ce que les stations de recherche françaises en Antarctique soient « zéro carbone » à l'horizon de la RCTA 2050, la Nation montrant alors la voie à suivre au cœur du continent antarctique afin de répondre aux objectifs fixés par la COP 21. La France pourrait aussi doter son Institut polaire des moyens de conduire des campagnes océanographiques récurrentes dans l'océan circumantarctique, soit en adaptant son navire brise-glace ravitailleur L'Astrolabe, soit en se dotant d'un navire de façade de petite capacité, permettant en particulier d'étudier de manière plus approfondie la zone maritime que la France souhaite inscrire dans le réseau de nouvelles aires marines protégées. Pour rappel, la Nation est la seule au sein du G7 à ne pas posséder de brise-glace en soutien à la recherche océanographique. Par la présente, M. le député souhaite connaître les intentions du Gouvernement en la matière. En effet, la compétitivité maintenue de la science française en Antarctique dépendra de facto des orientations prises par l'exécutif dans les tous prochains mois. Il souhaite connaître son avis sur le sujet.