Rubrique > outre-mer
Titre > Noms des rues et diversité
Mme Karine Lebon appelle l'attention de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur la liste de noms de personnalités proposée par le conseil scientifique au Président de la République. En décembre 2020, le Président Emmanuel Macron avait formulé le souhait de mettre à l'honneur 300 à 500 personnalités historiques issues de la diversité, et de les proposer aux mairies afin qu'elles puissent rebaptiser des rues ou des bâtiments publics à leur nom. Chaque commune pourrait ainsi avoir une représentation plus équilibrée et plus juste de l'histoire française dans son espace public. Un conseil scientifique composé de 19 membres et dirigé par l'historien Pascal Blanchard a donc établi une liste de 318 noms que Mme la députée ne remet pas en question, mais qui interroge tout de même par la singularité, dans toute l'acception du mot, réservée à La Réunion. Établir une liste de noms historiques est sans doute un exercice difficile pour certains, un numéro d'équilibriste pour d'autres, une gageure à coup sûr. Aussi sans vouloir renouveler l'exercice, et tout en notant que de nouveaux noms ont été proposés à l'initiative d'un collectif d'historiens réunionnais, Mme la députée souhaite a minima poser les questions suivantes. Le comité scientifique connaît-il l'esclave Furcy ? Il faut lui rappeler qui est Furcy. Furcy est un esclave réunionnais, fils d'une esclave affranchie qui a eu le courage d'intenter un procès à son maître pour retrouver la liberté. La procédure s'est étalée de 1817 à 1843 et le 23 décembre 1843, un arrêt de la Cour royale de Paris déclare après une longue bataille de 26 ans que Furcy est né en liberté. C'est une véritable prouesse, cinq ans avant l'abolition de l'esclavage. Sans vouloir créer une hiérarchie des esclaves, Mme la députée demande aussi si le comité scientifique connaît Edmond Albius. Il faut lui rappeler qui est Albius. Ici pas de procès, pas de bataille. Albius est ce jeune esclave de 12 ans qui, le premier, a découvert, en 1841, le procédé de pollinisation de la vanille, la seule technique en la matière qui existe à ce jour. Il a été affranchi en septembre 1848 et reçut pour nom Albius, qui signifie albâtre, autrement dit le blanc le plus immaculé. Chronologiquement, plus proche de 2021, le comité a-t-il seulement évoqué le nom d'Ambroise Vollard. Il faut lui rappeler seulement que ce galériste sera le plus grand marchand d'art contemporain de sa génération et qu'il lancera notamment les carrières de Cézanne, Picasso, Gauguin, Matisse. Mme la députée s'arrêtera là afin de laisser le travail des historiens aux historiens. Mais elle ne peut s'empêcher, avec bien d'autres, de se demander par quel cheminement de la pensée, un homme, qui par ailleurs a déjà un stade, un aéroport, des rues à son nom, est le seul Réunionnais à se trouver parmi ceux dignes d'avoir des bâtiments et des rues à leur nom. La réponse du conseil scientifique sur ce point est très attendue. Les hommes et les femmes qui font l'histoire n'ont pas demandé à rentrer dans la postérité. Comme l'a écrit Frantz Fanon, qui fait partie des 318, « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir ». L'immortalité s'impose aux véritables héros. Mais le Président de la République ayant fixé la limite à 500 personnalités, Mme la députée estime qu'il existe une marge qui permet encore de compléter cette liste par des hommes et des femmes qui font la fierté des Réunionnais et dont la mémoire mérite aussi de s'étendre au-delà des rives de l'océan Indien. Elle souhaite connaître son avis sur le sujet.