Question orale n° 531 :
Rapport de l'article 113 de la loi EROM

15e Législature

Question de : M. Moetai Brotherson
Polynésie Française (3e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine

M. Moetai Brotherson appelle l'attention de Mme la ministre des armées sur le rapport de la commission extraparlementaire née de la loi EROM. Pour de nombreux Polynésiens, c'est le chemin vers la réparation intégrale pour une partie des victimes des essais nucléaires alors que les générations d'aujourd'hui en souffrent aussi comme celles qui viendront par la suite. Mais, M. le député affirme à nouveau sa volonté d'écrire une histoire de vérité. Si la notion de « risque négligeable » a été éliminée de la« loi Morin », comment accepter les conclusions d'un rapport qui établit que les victimes auront à prouver qu'elles ont été exposées à un rayonnement supérieur à 1 mSv selon un décret ? N'est-ce pas là un dévoiement de la loi ? Un décret peut-il contrecarrer ce que la loi a fait ? Le Conseil d'État indique dans sa décision du 28 juin 2017 que la commission d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, pour refuser la réparation, doit prouver elle-même que « la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ». En d'autres termes, la loi dit que, sans une absolue certitude que la personne n'a subie aucune exposition aux radiations nucléaires, le CIVEN indemnise obligatoirement la victime. Il souhaite connaître son appréciation sur ce que les habitants, qui payent encore le prix du sang, ne manqueront pas d'appeler « le nouveau risque négligeable ».

Réponse en séance, et publiée le 30 janvier 2019

VICTIMES DES ESSAIS NUCLÉAIRES
M. le président. La parole est à M. Moetai Brotherson, pour exposer sa question, n°  531, relative aux victimes des essais nucléaires.

M. Moetai Brotherson. Il est encore temps de présenter les vœux de bonne année : 'Ia 'oa'oa outou i teie mätahiti äpï ! J'aimerais étendre ces vœux aux nombreux Polynésiens victimes des essais nucléaires, qui souffrent aujourd'hui comme d'autres demain. Ceux-là espéraient que la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin – après le retrait de la notion de « risque négligeable », en février 2017, et le rapport de la commission extraparlementaire née de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi EROM –, vienne enfin leur témoigner du respect.

Mais, depuis le début de l'année, je m'interroge sur la marche arrière inacceptable opérée en la matière. En effet, bien que la notion de « risque négligeable » ait été éliminée de la loi Morin, comment accepter qu'au-delà des conclusions de la commission présidée par Lana Tetuanui, sénatrice de Polynésie, les victimes doivent à nouveau prouver qu'elles ont été exposées à un rayonnement supérieur à 1 millisievert ? Comment accepter que le « risque négligeable », évacué en 2017 à grand renfort de communication, revienne en 2019 par la fenêtre, déguisé, par le biais d'un cavalier législatif ?

Avant la modification faite par votre gouvernement et Mme Lana Tetuanui, la loi disait que, sans une absolue certitude qu'une victime n'ait subi aucune exposition aux radiations nucléaires, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires – CIVEN –, était tenu de l'indemniser. Le Conseil d'État est allé dans ce sens en juin 2017. Aujourd'hui, par des manœuvres plus que douteuses sur les plans constitutionnel et moral, la formulation de la loi reprend précisément les arguments qu'utilisait déjà le CIVEN, depuis plusieurs années, pour refuser les indemnisations.

Dix dossiers, sur lesquels le rapporteur du tribunal administratif de Papeete avait donné raison aux requérants, sont aujourd'hui suspendus en raison d'amendements au projet de loi de finances pour 2019 adoptés au Sénat le 4 décembre 2018 et ici même durant la période des fêtes de Noël. Combien de dossiers en cours et à venir auront à souffrir de ces modifications ? On voudrait transformer le CIVEN en machine à ne pas indemniser que l'on ne s'y prendrait pas autrement, pour le plus grand bonheur des finances de l'État et au grand dam des victimes du nucléaire.

Madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, quelle est votre appréciation sur ce que les Polynésiens, qui paient encore le prix du sang, ne manqueront pas d'appeler « le retour du risque négligeable » ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le député, vous m'interrogez sur les conclusions du rapport de la commission créée par l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer, qui imposerait aux victimes de prouver qu'elles ont été exposées à un rayonnement supérieur à 1 millisievert, selon un décret.

En 2018, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a déterminé, à titre provisoire, la nouvelle méthodologie d'examen des demandes d'indemnisation, afin de tirer les conséquences de la suppression par la loi EROM de la notion de « risque négligeable ». Cette disposition permettait jusqu'alors d'inverser la présomption de causalité et de prendre en compte l'avis du Conseil d'État du 28 juin 2017.

La nouvelle méthodologie repose sur l'article R. 1333-11 du code de la santé publique, qui fixe à 1 millisievert par an la limite d'exposition pour le public, afin d'écarter les demandes fondées sur des doses d'exposition inférieures à ce seuil. La commission créée par la loi EROM a recommandé de consolider la méthodologie provisoire du CIVEN. L'article 232 de la loi de finances pour 2019 a modifié en conséquence l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Cet article dispose désormais que « Ce comité « examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3o de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique. »

Ainsi, les demandes d'indemnisation sont toujours instruites selon un régime de présomption légale, ce qui signifie que les victimes n'ont pas à prouver qu'elles ont été exposées à un rayonnement supérieur à 1 millisievert. La méthodologie résultant des nouvelles dispositions a déjà conduit le CIVEN à indemniser un plus grand nombre de demandeurs.

M. le président. La parole est à M. Moetai Brotherson.

M. Moetai Brotherson. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse mais, concrètement, les choses ne se passent pas ainsi : dix demandes déposées devant le tribunal administratif sont aujourd'hui suspendues en raison de cette modification et de l'introduction des nouvelles dispositions. J'encourage le Gouvernement à reprendre la réflexion sur ces modifications.

Données clés

Auteur : M. Moetai Brotherson

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Armées

Ministère répondant : Armées

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 22 janvier 2019

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