15ème législature

Question N° 6695
de Mme Clémentine Autain (La France insoumise - Seine-Saint-Denis )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > transports aériens

Titre > Privatisation Aéroports de Paris

Question publiée au JO le : 20/03/2018 page : 2242
Réponse publiée au JO le : 15/10/2019 page : 8833

Texte de la question

Mme Clémentine Autain interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur les futures privatisations annoncées par le Gouvernement, notamment celle d'ADP (Aéroport de Paris). L'État a en effet décidé de vendre la totalité de sa participation de 50,6 % dans le gestionnaire de Roissy et Orly, soit une participation valorisée à hauteur de 8,2 milliards d'euros. Dans une volonté de garder un semblant de contrôle sur le site, le Gouvernement a immédiatement annoncé que l'entreprise qui reprendra les participations de l'État le fera dans le cadre d'une licence d'exploitation de 70 ou 90 ans, censée permettre au Gouvernement de garder le contrôle des 6 600 hectares de Roissy et Orly mais surtout des 412 hectares de réserves foncières. Cependant, malgré ces promesses, de grands doutes persistent sur l'utilisation qui pourra être faite d'un des plus grands domaines aéroportuaires d'Europe. Par ce choix, le président Macron révèle une nouvelle fois le vrai visage de sa politique ultralibérale, alors que l'État envisage également de vendre ses participations dans d'autres entreprises publiques stratégiques, comme la Française des jeux (FDJ) ou Engie. Les conséquences d'une telle décision politique sont extrêmement importantes sur la vie quotidienne des usagers du service privatisé. Ces privatisations ne sont pas indolores : elles s'accompagnent généralement de hausses de tarif significatives pour les usagers, de baisses d'investissement dans les infrastructures, de dégradations des conditions de travail des salariés, de baisses des effectifs et donc in fine d'une hausse du chômage pour l'ensemble de la société. De telles décisions participent donc à la dégradation du service public. Depuis l'ouverture du capital d'ADP, ce sont déjà 1 500 postes qui ont été supprimés, réduisant d'autant la taille du groupe, alors que les dividendes versés aux différents actionnaires ont crû de manière exponentielle : 1,8 milliard d'euros en 10 ans La décision du Gouvernement aura un impact considérable sur l'emploi, sur les investissements aéroportuaires, à l'heure où le doublement du trafic mondial est prévu pour les deux prochaines années, mais aussi sur la définition des différentes redevances. Même le très libéral président de l'IATA (association du transport aérien international) M. Alexandre de Juniac a récemment expliqué que « pour parler franchement, aucune privatisation d'aéroport ne s'est déroulée de façon satisfaisante (...). À l'inverse les meilleurs aéroports sont tous publics ». Le vice-président de l'IATA M. Rafael Schvartzman ne dit pas autre chose quand il annonce que « les entreprises abusent de leur position dominante en faisant payer le prix fort à leurs clients ». Une nouvelle fois, les usagers paieront le prix fort des politiques de privatisation injuste. Le choix du Gouvernement entre en contradiction complète avec l'esprit même de la constitution de 1946, héritée du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), qui stipulait que « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Localement, sur les territoires concernés, cette décision portera un coup aux possibilités de développement local, notamment en matière d'emploi. D'après le cabinet BIPE, les aéroports parisiens représentent 1,7 % du PIB national et 2 % de l'emploi en France. Les conséquences de la privatisation pourraient être terribles pour l'ensemble des entreprises présente sur ce bassin d'emploi. Mme la députée réclame qu'avant toute prise de décision, un état des lieux précis des conséquences économiques, sociales et environnementales de la privatisation d'ADP soit réalisé. Elle lui demande ses intentions sur cette question.

Texte de la réponse

S'agissant du foncier, ADP dispose en effet d'une réserve de 400 ha en Île-de-France. Dans le cadre d'une privatisation, les terrains comme tous les actifs d'ADP en Ile de France seraient transférés à l'État dans 70 ans. Pendant cette période, ADP ne pourrait céder ces terrains sans autorisation de l'État. En cas de cession, la loi prévoit qu'ADP doit partager les gains avec l'État. Ce partage s'explique par le fait que l'État aura déjà indemnisé ADP de la perte de ces terrains à l'issue des 70 ans. Il est donc logique que l'État perçoive le produit de cession. Cependant comme ADP aurait dû avoir l'usage de ces terrains pendant 70 ans, il est normal qu'il perçoive une partie du produit de cession correspondant aux revenus qu'il aurait générés avec ces terrains pendant cette période. L'État contrôle également l'usage de ces terrains pendant 70 ans (octroi de droits réels, projets d'investissements). En matière de tarifs, le système de régulation garantit que des hausses des redevances payées par les compagnies aériennes ne peuvent être liées qu'à des investissements sur les plateformes aéroportuaires et donc à une augmentation de la capacité ou de la qualité de service, ce qui bénéficiera aux compagnies. Par ailleurs, comme aujourd'hui, les compagnies aériennes continueront d'être associées aux discussions pour fixer les redevances dans le cadre du contrat de régulation économique. En cas de désaccord entre l'État et ADP, l'État fixera unilatéralement les tarifs ce qui constitue une garantie de modération tarifaire pour les compagnies. Concernant la qualité de service,  une privatisation s'accompagnerait d'un aménagement du cadre régulatoire qui se traduit par l'inscription dans la loi des pouvoirs de contrôle dont dispose aujourd'hui l'État. Celui-ci pourrait ainsi s'assurer que les investissements et les travaux nécessaires au bon fonctionnement du service public aéroportuaires sont bien réalisés. Il pourrait imposer à l'opérateur de maintenir une qualité de service aux meilleurs standards des aéroports internationaux. En cas de désaccord avec ADP, c'est l'État qui fixerait les objectifs de qualité de service à atteindre. On peut noter qu'il a été observé une amélioration de la qualité de service offerte par l'aéroport quand celui-ci a été repris par un opérateur privé (Rome ou Londres). A l'inverse, les aéroports américains, détenus par des personnes publiques, sont mal classés en terme de qualité de service selon le classement skytrax : le 1er, Cincinnati, est 34ème, Atlanta (50ème), Dallas (56ème), NY-JFK (69ème), Los Angeles (72ème). Pour ce qui est des employés d'ADP, la loi ne modifie pas les statuts du personnel et la modification de ces statuts reste soumise à l'approbation de l'État. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2019-781 sur la loi PACTE, a jugé que le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui interdit de privatiser une entreprise ayant le caractère d'un monopole de fait ou d'un service public national, n'était pas méconnu. Pour écarter la qualification de monopole de fait, le Conseil constitutionnel a relevé que, si la société Aéroports de Paris est chargée, à titre exclusif, d'exploiter plusieurs aérodromes civils situés en Île-de-France, il existe sur le territoire français d'autres aérodromes d'intérêt national ou international. En outre, si elle domine largement le secteur aéroportuaire français, la société Aéroports de Paris est en situation de concurrence croissante avec les principaux aéroports régionaux, y compris en matière de dessertes internationales, ainsi d'ailleurs qu'avec les grandes plateformes européennes de correspondance aéroportuaire. Enfin, le marché du transport sur lequel s'exerce l'activité d'ADP inclut des liaisons pour lesquelles plusieurs modes de transport sont substituables. Aéroports de Paris se trouve ainsi, sur certains trajets, en concurrence avec le transport par la route et le transport ferroviaire, en particulier pour ce dernier du fait du développement des lignes à grande vitesse. Quant à l'existence d'un service public national, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle, si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, en revanche la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire selon les cas, en fixant leur organisation au niveau national. Comme il l'avait fait par sa décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, il a jugé que l'aménagement, l'exploitation et le développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget ne constituent pas un service public national dont la nécessité découlerait de principes ou de règles de valeur constitutionnelle. En l'état de la législation, il relève par ailleurs que non seulement aucune disposition en vigueur ne qualifie Aéroports de Paris de service public national mais que, comme le prévoit le code des transports, l'État est compétent pour créer, aménager et exploiter les « aérodromes d'intérêt national ou international », dont la liste, fixée par décret en Conseil d'État, comporte plusieurs aéroports situés dans différentes régions. Ainsi, le législateur n'a pas jusqu'à présent entendu confier à la seule société Aéroports de Paris l'exploitation d'un service public aéroportuaire à caractère national. Certains de ces aérodromes régionaux, exploités par des sociétés également chargées de missions de service public, sont d'ailleurs en situation de concurrence avec ADP. Il en a déduit que la société Aéroports de Paris ne présente pas, en l'état, les caractéristiques d'un service public national au sens du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.