15ème législature

Question N° 792
de M. François Ruffin (La France insoumise - Somme )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Numérique

Rubrique > numérique

Titre > Censure réalisée par Facebook

Question publiée au JO le : 19/11/2019
Réponse publiée au JO le : 27/11/2019 page : 11552
Date de changement d'attribution: 26/11/2019

Texte de la question

M. François Ruffin interroge M. le ministre de l'intérieur sur la censure des militants sur Facebook. Fin aout 2019, durant le G7, Facebook censurait les pages de medias engagés ; engagés contre la mondialisation sauce G7, cela va sans dire. Sans explication, les publications de ces pages ont disparu du fil de leurs abonnés Facebook ; les audiences étaient divisées par 1 000. Sans autre explication, cette forme de censure a pris fin quelques jours plus tard. Deux mois plus tard, Facebook censurait à nouveau, les cheminots cette fois. Les pages Facebook de SUD Rail et d'un syndicat CGT ont été bloquées, empêchant les syndicats de publier du contenu à destination de leurs milliers d'inscrits. Au moment même où les syndicats appelaient les cheminots à exercer leur droit de retrait. Interrogé par Le Parisien sur le sujet, Facebook s'est contenté d'un commentaire laconique : « toute action prise à l'encontre d'une page ou d'un contenu est liée à la publication de contenus qui contreviennent à nos Standards de la Communauté », et a affirmé que « ces pages sont traitées comme n'importe quelle autre page, sans considération de leur orientation politique ou des idées qu'elles véhiculent ». M. le député en doute. Qu'y-a-t-il derrière ces affaires ? Qui y a-t-il ? Est-ce que le Gouvernement demande aux réseaux sociaux de fermer les robinets lors des mouvements sociaux ? Est-ce une demande expresse du ministre ? Ou est-ce que Facebook, par flagornerie ou par intérêt, ne devancerait-il pas les désirs du Gouvernement ? Surtout, le Gouvernement compte-t-il intervenir auprès de Facebook pour garantir la liberté d'expression ? Il lui demande s'il a interpellé la direction française de Facebook pour garantir la liberté d'expression, quelles réponses il a obtenues et quelles mesures il compte prendre.

Texte de la réponse

CENSURE RÉALISÉE PAR FACEBOOK


Mme la présidente. La parole est à M. François Ruffin, pour exposer sa question, n°  792, relative à la censure réalisée par Facebook.

M. François Ruffin. À la fin du mois d'août, j'étais encore en vacances dans le Tarn quand mon chargé de com m'a alerté : « Je ne comprends pas, ta page Facebook ne tourne plus. Il n'y a presque plus de visites. » Je ne m'en suis pas inquiété, je devais conduire ma fille au poney. Une semaine plus tard, grâce à un article de Mediapart, le mystère s'est éclairci : des tas de pages Facebook, toutes engagées – Lille insurgée, Bretagne noire, Collectif Auto Média énervé, Groupe Lyon Antifa, Nantes révoltée –, ont subi la même censure les 22 et 23 août, le même week-end que moi. La page « Cerveaux non disponibles », par exemple, est passée de 300 000 vues quotidiennes à moins de 1 000.

Coïncidence ? Au même moment se déroulait, à Biarritz, le sommet du G7 avec Emmanuel Macron, Angela Merkel et Donald Trump – un G7 dans une ville bouclée, avec une communication verrouillée et donc une contre-information bloquée.

Ces pages militantes ont protesté auprès de Facebook, mais c'est un algorithme qui leur a répondu : « Votre avis sera utilisé pour améliorer Facebook. Merci d'avoir pris le temps de nous envoyer votre signalement. » À son tour, Mediapart a interrogé Facebook, qui a délivré une novlangue algorithmique : « Les pages en question n'ont pas été censurées. Si leur visibilité a été réduite, c'est parce qu'elles ont publié un ou des contenus contrevenant aux standards de la communauté. »

En octobre, cette fois, relate Le Parisien, ce sont les cheminots de Sud-Rail et de la CGT qui ont vu leurs pages censurées, avec la même réponse : ils auraient contrevenu aux « standards de la communauté ». Mais quels sont ces standards ? Interdisent-ils la politique ? La polémique ?

Le Gouvernement est le gardien de la liberté d'expression dans notre démocratie. Les atteintes, ici, sont manifestes. Avez-vous interpellé la direction de Facebook ? Quelle réponse avez-vous obtenue ? Au contraire, ces censures vous arrangent-elles ?

Au printemps de cette année, le président Macron a rencontré le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, pour, je cite, « lutter contre les contenus haineux ». La critique du Gouvernement et le soutien aux mouvements sociaux sont-ils rangés dans ces « contenus haineux » ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.

M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique. Je vous remercie, monsieur le député, pour votre question qui me permet de faire une mise au point salutaire. Si vous voulez savoir si le Gouvernement interagit avec Facebook pour que soient supprimées un certain nombre de pages de gilets jaunes ou de syndicats qui ne plaisent pas au Gouvernement, la réponse est non.

La puissance publique interagit avec Facebook dans deux cadres. En premier lieu, je pense que vous et moi serons d'accord pour trouver normal que la justice puisse demander à Facebook de supprimer un certain nombre de pages où sont proférées des insultes antisémites, des injures ou des menaces de mort. Le deuxième cadre est celui de PHAROS – plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements. Il s'agit alors de contenus terroristes, pédopornographiques ou d'appel à la haine. Mais jamais, jamais le Gouvernement ne demande à Facebook de supprimer des pages ou des comptes parce qu'ils ne lui plaisent pas.

Facebook est une plateforme privée, monsieur Ruffin : personne n'est obligé d'y aller. Il existe d'ailleurs des alternatives et c'est la raison pour laquelle votre groupe a soutenu l'interopérabilité lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Facebook peut donc décider d'inscrire dans ses conditions générales d'utilisation la possibilité de fermer tel ou tel groupe et si vous estimez que ces conditions n'ont pas été respectées, vous pouvez vous tourner vers la justice.

Plus généralement, vous posez la question de savoir comment on régule ces plateformes devenues les agoras du XXIe siècle : c'était tout l'enjeu de la proposition de loi Avia, dont nous avons débattu en juillet. Il s'agissait de trouver le moyen de concilier l'exigence de protection des Français, que la puissance publique doit assurer sur les réseaux sociaux comme partout ailleurs – j'imagine que vous avez été victime d'insultes, voire de menaces de mort, comme tous les hommes politiques et comme beaucoup de Français, au point qu'il s'agit aujourd'hui quasiment d'une question de santé publique – avec le respect de la liberté d'expression.

Je pense, monsieur Ruffin, que cela mérite plus qu'une question orale sans débat. Nous avons consacré plusieurs jours à débattre de cette question en juillet. Or, si je me souviens que vous étiez là au début de ces débats et que nous avons échangé, je ne vous ai pas beaucoup vu par la suite, quand il s'est agi d'entrer dans le détail des dispositions.

M. François Ruffin. Ma question, c'était : avez-vous interpellé Facebook ?

M. Cédric O, secrétaire d'État . L'honneur de la représentation nationale, ce n'est pas seulement de venir un mardi matin à neuf heures poser une question sans écouter la réponse.

M. François Ruffin. Vous ne répondez pas à ma question, monsieur le secrétaire d'État !

M. Cédric O, secrétaire d'État. L'honneur de la représentation et ce pour quoi vous êtes payé, c'est regarder dans le détail comment on écrit la loi.

Mme Mathilde Panot. Quel mépris ! C'est incroyable !

Mme la présidente. La parole est à M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Ma question était la suivante : face à une censure manifeste, une censure de nature politique, qu'a fait le Gouvernement ? Il est clair d'après votre réponse que le Gouvernement n'a rien fait et qu'il ne compte rien faire. Parce que ça l'arrange ! Et vous n'avez même pas besoin de donner des ordres à Facebook pour qu'il devance vos désirs.

Nous sommes là dans un cas d'atteinte à la liberté d'expression. Ma question s'adressait au ministre de la culture parce que c'est lui qui est supposé en être le garant. Et c'est un technicien de l'Internet qui me répond ! Ce n'est pas une réponse de technicien que je veux, c'est une réponse juridique à une question d'atteinte à nos libertés démocratiques. Or rien n'a été fait, je le répète, pour interpeller Facebook et l'obliger à garantir la liberté d'expression sur les pages Facebook.