15ème législature

Question N° 8400
de M. Jean-Louis Masson (Les Républicains - Var )
Question écrite
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > alcools et boissons alcoolisées

Titre > Concurrence déloyale des multinationales brassicoles

Question publiée au JO le : 22/05/2018 page : 4134
Réponse publiée au JO le : 08/01/2019 page : 100
Date de changement d'attribution: 29/05/2018

Texte de la question

M. Jean-Louis Masson attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur la concurrence déloyale à laquelle doivent faire face les petits brasseurs artisanaux face aux multinationales qui dominent le marché de la bière. En effet, du fait de leur puissance financière ces grands groupes sont capables d'octroyer des prêts - qui sont en fait des avances sur remises - aux restaurants ou aux bars qu'ils démarchent bloquant ainsi l'accès de ces marchés aux entreprises artisanales qui, bien évidemment, n'ont pas la même assise financière. Cette pratique présente aussi l'inconvénient de placer les entreprises de restauration qui les acceptent sous la dépendance de ces grands groupes. Dans certains pays européens, cette pratique commerciale déloyale est interdite depuis peu. Les Pays-Bas en font partie. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures qu'il entend prendre afin de limiter au mieux cette pratique commerciale discutable qui pénalise les brasseurs artisanaux.

Texte de la réponse

La pratique commerciale évoquée s'inscrit dans le cadre des avantages stipulés dans les contrats dits "de bière" qui sont historiquement d'un usage courant dans le secteur brassicole vis-à-vis de la clientèle CHR (cafés, hôtels, restaurants). Ce type de contrat prévoit en effet que le professionnel CHR s'engage, en contrepartie d'un avantage financier ou matériel consenti par le brasseur, à s'approvisionner auprès de celui-ci, par l'intermédiaire d'un distributeur désigné, pour tout ou partie de ses bières pendant une certaine durée. Le contrat de bière constitue donc un accord d'achat exclusif susceptible de limiter les débouchés des fournisseurs concurrents et par conséquent de restreindre la concurrence. Cette restriction peut donc être examinée au regard du droit de la concurrence communautaire et national, au titre des ententes ou de l'abus de position dominante. S'agissant des ententes, les accords sont licites (exemption par catégorie prévue par le règlement général n° 330/2010, applicable aux accords verticaux, qui couvre toutes les formes d'obligations de non-concurrence directes ou indirectes dont les accords d'achat exclusif), pour autant que la part de marché du fournisseur et celle du distributeur ne dépassent pas 30 % et que la durée de cette obligation ne dépasse pas cinq ans. L'article 5 de ce règlement s'oppose à l'exemption par catégorie d'une clause de non-concurrence interdisant au distributeur d'acheter des produits concurrents ou l'obligeant à acheter plus de 80 % des produits contractuels auprès du fournisseur, si la durée de la clause est indéterminée ou supérieure à cinq ans et qu'aucun obstacle n'empêche l'acheteur de mettre un terme auxdites obligations à la fin de la période de cinq ans (par exemple, en cas de remboursement de prêt ou de mise à disposition de matériel). Par ailleurs, dans certains cas, l'accord d'achat exclusif ne doit pas être seulement apprécié au regard de ces dispositions ou de son contexte économique mais également à l'aune des autres contrats similaires affectant les conditions de concurrence du marché en cause (théorie de l'effet cumulatif précisée par la CJCE, 7 décembre 2000, affaire C-214/99, Neste). La Cour de justice dans l'arrêt Delimitis du 28 février 1991 a exposé comment calculer les effets cumulatifs des contrats de bière. Elle a estimé que la circonstance que le contrat en cause relevait d'un ensemble de contrats similaires ne constitue qu'un facteur parmi d'autres pour apprécier si un tel marché est effectivement d'un accès difficile. Elle a considéré que l'importance de la contribution du contrat individuel litigieux à l'effet de blocage produit par l'ensemble des contrats dépend de la position des parties contractantes sur le marché en cause et de la durée du contrat. S'agissant des abus de position dominante, les accords d'achat exclusifs conclus par une entreprise en situation de position dominante sont susceptibles de constituer des pratiques abusives de nature à entraîner l'éviction de ses concurrents. Ainsi, la Cour de justice a approuvé la Commission d'avoir considéré que constituait un abus le fait, pour un fournisseur en position dominante, d'accorder des rabais de fidélité en contrepartie de la conclusion d'un accord d'approvisionnement exclusif (CJCE, Hoffmann-La Roche, 13 février 1979, affaire 85/76). Par ailleurs, les clauses d'exclusivité sont régies en droit national par les dispositions de l'article L. 330-1 du code de commerce : « Est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis à vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur. ». L'article L. 330-2 du même code précise que : « Lorsque le contrat comportant la clause d'exclusivité mentionnée à l'article L. 330-1 est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d'autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d'exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celle figurant au premier contrat. ». S'agissant plus particulièrement de l'octroi de prêts aux cafetiers par les brasseurs, il est à souligner que la jurisprudence a rejeté la demande d'annulation d'un contrat de distribution fondée sur l'irrégularité d'un prêt délivré par un fournisseur de bières à un débit de boissons en application de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier relatif au monopole bancaire en retenant que ledit fournisseur « pouvait réaliser une opération de crédit dès lors que celle-ci n'était pas […] une opération purement financière mais constituait le complément indissociable d'un contrat d'approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle. » (Cf. CA Montpellier, 17 février 2015, RG n° 14/01926). Dans les faits, il apparaît que le marché de la bière est bien orienté en ce qui concerne les petites structures du fait de l'attrait de la clientèle pour les produits locaux et artisanaux. Bien que l'activité de fabrication de bières demeure très concentrée en France (les deux leaders réalisent près de trois quarts du chiffre d'affaires du secteur), il n'en demeure pas moins que les brasseries indépendantes et les micro-brasseries se développent et représentent désormais 5% de la production nationale en volume. Ainsi, le nombre de brasseries a considérablement augmenté ces dernières années en France : 1 200 brasseries, pour l'essentiel des microbrasseries, sont aujourd'hui recensées contre à peine une trentaine en 1980 (cf. étude Xerfi "Le marché de la bière", mai 2018). Les pouvoirs publics sont attachés à favoriser le libre exercice du jeu de la concurrence, notamment sur les marchés de la production et de la distribution de la bière, en progression sur les segments des bières artisanales et locales, en dépit des difficultés soulevées par l'auteur de la question. Celles-ci ne justifient donc pas, à ce stade, d'adopter de nouveaux textes spécifiques au secteur brassicole. En effet, le cadre juridique en vigueur exposé ci-avant permet d'appréhender, en tant que de besoin, les pratiques de nature à affecter la concurrence, notamment dans l'hypothèse d'un verrouillage du marché. A cet égard, les éventuelles victimes de telles pratiques peuvent prendre l'attache des services déconcentrés de la DGCCRF, chargés de veiller au bon fonctionnement concurrentiel des marchés.