Question écrite n° 9340 :
Risque de radicalisation en prison

15e Législature
Question signalée le 24 septembre 2018

Question de : Mme Pascale Fontenel-Personne
Sarthe (3e circonscription) - La République en Marche

Mme Pascale Fontenel-Personne interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le risque de radicalisation en prison. À l'heure où le tourisme reprend des couleurs en France selon tous les acteurs du secteur, on peut craindre un nouveau risque terroriste. En effet, le 29 mai 2018 à Liège, un homme a tué par balles trois personnes, dont deux policières, avant de prendre un otage dans un établissement scolaire, et d'être finalement abattu par les forces de l'ordre. Cette tuerie s'apparente à un acte terroriste selon la justice belge. L'homme bénéficiait d'une permission de sortie de prison en vue de préparer sa réinsertion. La police belge indique que cet individu, multi récidiviste, est passé du trafic de stupéfiants à l'acte de terrorisme et qu'il s'est radicalisé lors de ses incarcérations successives. On sait que la radicalisation intervient souvent au cours d'une détention parce que c'est un moment propice au développement spirituel, à des idéologies fortes, les conditions sont propices, l'individu étant déstabilisé et ayant beaucoup de temps libre. Les attentats survenus sur le territoire national depuis 2015 ont mis en lumière les liens que nouaient les détenus radicalisés et les autres prisonniers. S'ajoute à ce phénomène la saturation numérique des prisons françaises où le taux d'occupation avoisine en moyenne les 142 % et l'imperfection des procédures d'évaluation, jaugeant de la dangerosité des détenus à placer à l'isolement. Le nombre limité de places dans ces quartiers spéciaux et le manque de personnels qualifiés ne permettent pas de faire un diagnostic de qualité. Actuellement, plus de 1 200 personnes écrouées pour des faits de droit commun sont radicalisées tandis que plus de 500 sont en prison pour terrorisme. Le milieu carcéral peut être qualifié sur ce point de dangereux. Lundi 28 mai 2018, le procureur de Paris François Molins annonçait qu'une vingtaine de détenus radicalisés vont être libérés en 2018 et une vingtaine en 2019. Il a été très clair, les détenus radicalisés qui s'apprêtent à sortir de prison après avoir exécuté leur peine constituent selon lui « un risque majeur », avec un risque de voir sortir de prison des personnes qui ne se seront pas repenties voire plus endurcies. Lutter contre ce danger nécessite un travail collégial entre l'administration pénitentiaire, les services de renseignements, les préfectures, les acteurs judiciaires et le parquet. La possibilité pour les maires de savoir si un individu recensé au sein du Fichier des signataires pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) habite leur ville a été évoquée par le chef de l'État. Où en est-on de la réflexion ? Près de 20 000 personnes figurent dans ce fichier, fichier plus restrictif que la fiche S et regroupant les suspects judiciarisés ou incarcérés et ceux présentant des signes de radicalisation. Il semble légitime qu'un maire ait connaissance de ces situations. Ces questions méritent d'être posées et traitées par la société française, il s'agit de sécurité nationale. Face à ce constat très inquiétant, elle lui demande comment elle compte lutter efficacement contre le fléau de la radicalisation dans les prisons, et les conditions de mise à l'isolement des détenus radicalisés. Surtout, elle lui demande comment les parlementaires peuvent contribuer à cette lutte.

Réponse publiée le 22 janvier 2019

Le ministère de la justice contribue activement et durablement aux politiques de lutte contre la menace terroriste et la prévention de la radicalisation. Dès 2015, la direction de l'administration pénitentiaire a expérimenté des modalités spécifiques de prise en charge spécifiques des personnes détenues radicalisées, terroristes ou de droit commun, qui ont été généralisées sur l'ensemble du territoire. Ces actions sont aujourd'hui développées à travers plusieurs dispositifs cohérents consacrés notamment par le plan national de prévention de radicalisation arrêté par le Gouvernement le 23 février 2018 : l'administration pénitentiaire a élaboré des grilles de détection de la radicalisation, défini des programmes de prévention de la radicalisation violente et créé des quartiers d'évaluation (QER) et de prise en charge des personnes radicalisées (QPR). L'organisation d'un maillage territorial d'agents dédiés (90 binômes de soutien en 2017 composés d'un psychologue et d'un éducateur, conseillers d'insertion et de probation, officiers, etc.) et la mise en place d'un plan de formation spécifique par la formation initiale et continue des personnels pénitentiaires sur les thématiques liées à l'islam radical, la formation spécialisée des personnels en contact avec les détenus radicalisés, ainsi que la mise en place de référents sur cette même thématique, sont autant de premières mesures qui ont permis de faciliter la détection précoce des processus de radicalisation et de renforcer les capacités pénitentiaires d'évaluation des différents niveaux de radicalité. En 2016, des unités de prévention de la radicalisation (UPRA) destinées à accueillir des terroristes islamistes ont été ouvertes au sein d‘établissements situés en Ile-de-France. Des études-actions sur la radicalisation en prison, dans différentes disciplines, ont été confiées à des chercheurs reconnus, en lien avec les services pénitentiaires, permettant d'enrichir la connaissance des phénomènes d'endoctrinement comme celle des processus de désengagement. Les services d'insertion et de probation ont développé sur l'ensemble du territoire des programmes de prévention primaire axés sur la laïcité, le renoncement à la violence à l'attention de l'ensemble des détenus, tandis que des programmes secondaires de désengagement ont également été déployés pour toucher les publics radicalisés. Entre 2012 et 2018, le nombre des aumôniers musulmans a cru de 53 % (231 à ce jour), montrant l'effort significatif du ministère pour accompagner et aider les détenus religieux qui pourraient être tentés par un discours radical. Les personnels de l'éducation nationale, les personnels soignants travaillant en détention ont également été invités à participer aux formations pénitentiaires spécifiques et à développer leurs propres axes de prévention de la radicalisation, quelle qu'en soit la cause. En février 2017, le service du renseignement pénitentiaire a intégré le deuxième cercle de la communauté française du renseignement. Poursuivant notamment la finalité de prévention du terrorisme (L.811-3 4° CSI), il dispose de pouvoirs d'investigations très étendus, notamment le recours possible aux technologies de recueil de renseignement. Les effectifs du bureau central du renseignement pénitentiaire ont quadruplé depuis 2 ans pendant qu'un réseau territorial de renseignement pénitentiaire était développé dans chaque établissement, chaque direction interrégionale et dans chaque service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP). Aujourd'hui, ce service dont les progrès et la maîtrise sont reconnus des services partenaires avec lesquels ils collaborent étroitement pendant et après le temps d'incarcération, est en voie de devenir un service à compétence nationale. Ainsi, forte de son expérience et de ses partenariats institutionnels, l'administration pénitentiaire a adopté une stratégie globale face au défi de la radicalisation violente : la détection et l'évaluation des publics en sont le cœur, avec pour finalité la dispersion sur le territoire et l'individualisation de la prise en charge des détenus radicalisés, qu'ils soient terroristes ou de droit commun. Une démarche d'évaluation pluridisciplinaire renforcée est mise en œuvre au sein des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER, ex-UPRA), dont l'objectif est de mesurer pendant des sessions de 19 semaines le niveau de radicalité des terroristes islamistes (évaluation systématique) et des détenus radicalisés de droit commun, mais aussi d'apprécier leur dangerosité. 5 QER sont aujourd'hui ouverts en région parisienne (Fresnes, Fleury-Mérogis, Osny) et près de Lille (Vendin-le-Vieil). A l'issue de l'évaluation en établissement ou dans un QER, les détenus peuvent être affectés, en fonction de leur imprégnation idéologique et de leur dangerosité, en quartier d'isolement, en quartier de prise en charge de la radicalisation ou en détention ordinaire : - les détenus évalués appartenant à la catégorie des idéologues très violents, présentant un risque d'agression physique et jugés incompatibles avec une prise en charge collective en détention, sont affectés en quartier d'isolement afin de répondre aux enjeux de sécurité du personnel et d'endiguement du discours insurrectionnel ; - les détenus évalués appartenant à la catégorie des idéologues prosélytes ou susceptibles d'être violents, accessibles à une prise en charge collective, sont affectés dans des quartiers étanches de prise en charge de la radicalisation (QPR) avec des objectifs d'endiguement du prosélytisme et de désengagement de la violence, à l'appui de dispositifs de contre-discours ; 2 QPR sont aujourd'hui ouverts au centre pénitentiaire d'Annœullin et au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe ; - les détenus rigoristes, non-prosélytes et ne présentant pas de risque de violence sont affectés en détention ordinaire. Ils bénéficient de programmes secondaires de prévention de la radicalisation violente et font l'objet d'un suivi spécifique par le renseignement pénitentiaire. Le nombre des détenus radicalisés suit une tendance régulière à la baisse depuis 3 ans : l'administration pénitentiaire a professionnalisé ses capacités de détection, d'évaluation et de renseignement, permettant d'avoir une approche par risque et non plus en recourant simplement à une comptabilisation trop subjective de signes plus ou moins évidents. D'autre part, les dispositifs de désengagement et la politique de dispersion ont été mis en œuvre à grande échelle. Ainsi, alors que le nombre de terroristes islamistes ne croît plus (500 à ce jour environ), le nombre de détenus radicalisés de droit commun, tous niveaux de radicalisation confondus, est aujourd'hui inférieur à 1 100. Ces chiffres ne déterminent cependant pas l'état de la menace : ils sont un indicateur du volume des détenus suivis, à des degrés divers, après un signalement ; la catégorie pénale non plus ne suffit pas à déterminer l'état de la menace : il faut rappeler que tous les détenus incarcérés pour des infractions à caractère terroriste ne présentent pas un niveau égal de dangerosité individuelle, en particulier en détention, laquelle dépend autant de leur rôle réel dans une organisation terroriste, de leur niveau d'endoctrinement, que de leurs capacités d'action personnelle, etc. Enfin, en milieu ouvert, la direction de l'administration pénitentiaire a expérimenté, pendant deux ans à partir du mois d'octobre 2016, un dispositif de prise en charge intensive des radicalisés (RIVE) dans le cadre d'un marché public. L'objectif était de mettre en place, en complément de la prise en charge par un service pénitentiaire d'insertion et de probation qui demeure titulaire du mandat judiciaire, un suivi renforcé et pluridisciplinaire de personnes faisant l'objet d'une procédure ou exécutant une peine en lien avec une infraction terroriste. L'évaluation de ce dispositif a mis en exergue l'efficacité d'un accompagnement intensif dans le processus de désengagement de l'idéologie violente. Aussi, le plan national de prévention de la radicalisation a-t-il étendu et rénové ce dispositif à Marseille, Lyon et Lille. Le nouveau marché prévoit des prises en charge intensives allant jusqu'à 20 heures par semaine, en fonction du degré d'imprégnation idéologique. Le dispositif a par ailleurs été étendu aux personnes radicalisées, condamnés ou prévenues pour des faits de droit commun. Le centre de Paris a poursuivi son activité en assurant le suivi des personnes précédemment suivies par RIVE. Le centre de Marseille prend quant à lui en charge ses premiers suivis. Les dispositifs de Lille et Lyon ouvriront au cours du premier semestre 2019. Cette collaboration entre partenaires institutionnels, associatifs et cultuels constitue l'une des réponses les plus efficaces au défi sécuritaire posé par le jihadisme. Elle nécessite cependant une coordination qui respecte tant les libertés individuelles, que les nécessités opérationnelles des services compétents. S'agissant du FSPRT, fichier de renseignement administré par le ministère de l'intérieur, le ministère de la justice ne peut répondre à la question de son extension à des accédants.

Données clés

Auteur : Mme Pascale Fontenel-Personne

Type de question : Question écrite

Rubrique : Terrorisme

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Signalement : Question signalée au Gouvernement le 24 septembre 2018

Dates :
Question publiée le 12 juin 2018
Réponse publiée le 22 janvier 2019

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