Question écrite n° 9638 :
Garantir un contrôle scientifique libre et transparent par les pairs

15e Législature
Question signalée le 13 mai 2019

Question de : Mme Sabine Rubin
Seine-Saint-Denis (9e circonscription) - La France insoumise

Mme Sabine Rubin interroge Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur les deux controverses touchant à l'intégrité scientifique de hauts responsables du CNRS depuis l'automne 2017 et qui secouent la communauté des chercheurs et enseignants-chercheurs. Depuis quelques semaines, le malaise est redoublé par le sentiment d'un deux poids deux mesures qui achèverait de nuire à la crédibilité de la recherche scientifique française. Les tentatives d'étouffer l'une des deux affaires obèrent lourdement la confiance des personnels envers leurs tutelles et posent de graves questions sur la liberté d'expression et d'investigation en matière scientifique, à l'heure où le Gouvernement, mais aussi des instances comme la CPU prétendent vouloir faire de l'ESR un rempart contre les fake news. En effet, si la controverse autour de possibles retouches de photographies de gel d'électrophorèse dans les travaux d'une scientifique, à l'époque directrice par intérim du CNRS, a conduit à une procédure de vérification lourde et rigoureuse, abondamment médiatisée au point de briser la carrière de cette personne, force est de constater qu'une partie de l'institution scientifique semble déterminée à protéger à tout prix la directrice de l'Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS, contre des reproches singulièrement plus graves et plus étayés formulés depuis septembre 2017. la directrice de l'INSB et ses co-auteurs ont été accusés d'avoir manipulé frauduleusement des photographies de gel d'électrophorèse dans une dizaine de publications scientifiques, rendant ainsi concluants des résultats qui ne semblaient en réalité ni de nature à étayer sa thèse, ni à l'invalider. Ces accusations ont été balayées dans un rapport anonyme en français, commandé par les présidences du CNRS et de Sorbonne Université à un comité dont le journal Le Monde a révélé qu'il était en conflit d'intérêt notoire en faveur de la directrice de l'INSB. Le Monde a en particulier révélé, après parution en ligne d'une pétition incriminant l'un de ses journalistes et constituant une tentative d'intimidation caractérisée, que cette personne avait eu accès au rapport d'expertise la concernant durant le cours même de son élaboration. L'article, publié au terme d'un travail d'investigation irréprochable, laisse ouverte la possibilité d'une participation ou non de la directrice de l'INSB à la rédaction même du rapport. L'ensemble de ces faits pointe des conflits d'intérêt notoires dans l'enquête sur l'intégrité scientifique des articles de cette personne et de ses co-auteurs, en contradiction avec les principes directeurs de la science mais aussi avec la liberté d'informer, à l'heure où la loi dite fake news, prenant prétexte de lutter contre la propagation d'informations inexactes, est déjà perçue par de nombreux journalistes comme un dispositif d'intimidation et alors que plusieurs institutions du domaine de l'ESR assignent justement aux chercheurs et enseignants-chercheurs la mission de lutter contre ces fake news. L'exigence de vérité, de remise en question, de recherche critique du consensus sur une description adéquate des faits est au cœur de la démarche scientifique qui s'est constituée depuis le 17e siècle par l'exercice de la controverse. Le rapport scientifique à la vérité présuppose la possibilité d'une expression publique et non-contrainte du dissensus et de la contradiction et donc la défense d'une conception maximalement étendue de la liberté d'investigation, d'information et d'expression. Dans un communiqué commun du 24 mai 2018, le Président-directeur général du CNRS et le Président de Sorbonne Université écrivent que le « Sorbonne Université et le CNRS se portent garants de la renommée scientifique des experts choisis et de l'absence de tout conflit d'intérêt ». Ces affirmations constituant des arguments d'autorité sans valeur scientifique ont été contredites par l'enquête du Monde. Elle souhaite savoir comment le ministère entend restaurer le cours normal de la controverse scientifique, sous le contrôle des scientifiques. Elle souhaite connaître les garanties que le ministère entend apporter à l'exercice serein de la controverse et du dissensus sur les résultats scientifiques, en termes de transparence des procédures de contrôle par les pairs, de publicité des résultats, de libre expression du désaccord et de couverture médiatique de ces controverses. Puisque cette affaire particulière démontre que les comités d'éthique et d'intégrité sont inopérants, pris qu'ils sont dans des enjeux de pouvoir, elle lui demande comment le ministère entend redonner aux scientifiques actifs leur rôle dans l'établissement des vérités scientifiques.

Réponse publiée le 21 mai 2019

L'intégrité scientifique permet de garantir le caractère honnête et scientifiquement rigoureux des activités de recherche. Elle se caractérise par un ensemble de principes et de règles régissant les activités de recherche et est indispensable au maintien de la confiance entre la société et les acteurs du monde académique. D'après le rapport Corvol de 2016 (voir annexe 1), la très grande majorité des chercheurs respectent scrupuleusement les principes d'intégrité scientifique. Les cas de manquement sont rares et ne sont pas plus fréquents en France que dans les autres pays européens ou nord-américains. Cela fait plus d'une vingtaine d'années qu'une prise de conscience de ces manquements à l'intégrité scientifiques se développe. En Europe le programme Horizon 2020 a placé la promotion d'une recherche et d'une innovation éthique, intègre et responsable dans ses toutes premières priorités dans. En France, de premières mesures pour promouvoir l'intégrité scientifique ont été prises au milieu des années 1990 par quelques organismes. Puis, depuis 2015, une charte nationale de déontologie des métiers de la recherche a été signée par tous les grands organismes de recherche, par la Conférence de présidents d'Université et plusieurs universités, par des hôpitaux (APHP, Hospices Civils de Lyon) et par l'Agence Nationale de Recherche. Cette charte établie 7 principes d'intégrité : - Respect des dispositifs législatifs et réglementaires ; - Fiabilité du travail de recherche ; - Communication ; - Responsabilité dans le travail collectif ; - Impartialité et indépendance dans l'évaluation et l'expertise ; - Travaux collaboratifs et cumul d'activités ; - Formation. Elle s'inscrit dans une suite de publications destinées à faire prendre conscience à l'ensemble des acteurs de la recherche les principes fondamentaux de l'intégrité scientifique et à les leur faire adopter (voir annexe 1) dont le rapport « Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique » remis par Pierre Corvol au secrétaire d'état à l'enseignement supérieur et à la recherche le 29 juin 2016. Ce rapport préconise 16 mesures pour la mise en œuvre charte nationale de déontologie des métiers de la recherche (voir annexe 2). Suite à ce rapport, un arrêté de 2016 a conféré une mission de formation sur l'éthique et l'intégrité scientifique à toutes les écoles doctorales françaises. En 2017, un département dédié à l'intégrité de la recherche, l'office français d'intégrité scientifique ou OFIS, a été créé au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Situé au sein d'une autorité administrative indépendante, l'OFIS sera en mesure d'assurer un rôle d'observatoire et de référence pour toutes les questions relatives à l'intégrité scientifique, hors questions disciplinaires et pénales relatives au traitement des manquements à l'intégrité scientifique. Le président du Conseil d'intégrité de l'OFIS et ses 12 membres ont été nommés le 1er décembre 2017 et 21 juin 2018 pour un mandat de 4 ans. Le directeur de l'OFIS devrait être nommé prochainement, ainsi que des conseillers scientifiques. En outre, la circulaire n° 2017-040 du 15 mars 2017 détaille les modalités de mise en œuvre d'une politique d'intégrité scientifique au sein des opérateurs de recherche ainsi que les mesures destinées à la soutenir au niveau national. Ladite circulaire crée un réseau de référents intégrité scientifique qui comptait une soixantaine de membres désignés par leurs établissements en mars 2018 (voir annexe 3). Ces référents assistent les dirigeants des opérateurs de recherche dans la formation à l'intégrité scientifique, la mise en place d'un système transparent de saisine, dans la prise en compte des questions d'éthique et d'intégrité scientifique dans les projets et dans le traitement des cas de manquement à l'intégrité scientifique. Annexes 1/ Liste des textes majeurs de prise de position sur l'intégrité scientifique 2/ les 16 mesures du rapport Corvol de 2016 3/ Les référents intégrité scientifique 4/ L'organisation du CNRS en matière d'intégrité et de déontologie scientifiques Annexe 1: Liste des textes majeurs de prise de position sur l'intégrité scientifique Publication des « Bonnes pratiques pour promouvoir l'intégrité scientifique et prévenir la fraude scientifique » par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2007). Déclaration de Singapour sur l'intégrité scientifique (2010). Publication du guide « Promouvoir une recherche intègre et responsable » du Comité d'éthique du CNRS (COMETS - 2014). Préconisations du Conseil Européen de la Recherche (ERC) dans son document d'orientation stratégique en matière de traitement des manquements à l'intégrité (2012), ou la déclaration de « Politique en matière d'éthique et d'intégrité scientifique » de l'Agence Nationale de la Recherche (2014). Rapport « Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique » remis par Pierre Corvol au secrétaire d'état à l'enseignement supérieur et à la recherche le 29 juin 2016. Publication du guide « Pratiquer une recherche intègre et responsable » du Comité d'éthique du CNRS (COMETS) en mars 2017. Textes officiels Lettre-circulaire relative à la politique d'intégrité scientifique au sein des établissements d'enseignement supérieur et de leurs regroupements, des organismes de recherche, des fondations de coopération scientifique et des institutions concourant au service public de l'enseignement supérieur et de la recherche, ci-après dénommés "opérateur(s) de recherche", et au traitement des cas de manquements à l'intégrité scientifique. http://circulaires.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire&hit=1&retourAccueil=1&r=41955 Arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=CAACC458FAD35C711EDDA08CD2C7E893.tplgfr27s_3?cidTexte=JORFTEXT000032587086&dateTexte=20170427 Bulletin officiel n° 44 du 21 décembre 2017 (NOR : ESRB1700227S - décision du 27-11-2017) : Nomination du président et de membres du Conseil d'intégrité scientifique de l'Office français de l'intégrité scientifique. Bulletin officiel n° 25 du 21 juin 2018 (NOR : ESRB1800058S - décision du 27-3-2018) : Nomination de membres du conseil d'intégrité scientifique de l'Office français de l'intégrité scientifique. Annexe 2 : les 16 mesures du rapport Corvol de 2016 Proposition N°1 : Etablir une nomenclature nationale des inconduites permettant un recensement dans les établissements des cas de manquements à l'intégrité scientifique sur la base d'une typologie commune et univoque. Proposition N°2 : Mettre à disposition des organismes et des universités des ressources nationales en matière d'intégrité scientifique. Proposition N°3 : S'appuyer sur l'arrêté du 23 novembre 1988 modifié sur l'HDR qui dispose « Le jury procède à un examen de la valeur du candidat, évalue sa capacité à concevoir, diriger, animer et coordonner des activités de recherche et de valorisation» pour sensibiliser les institutions et surtout leurs jurys à la vérification de la connaissance du cadre et des pratiques d'intégrité par le postulant à l'HDR. Proposition N°4 : Introduire explicitement au niveau de l'article 3 alinéa 3 du projet de réforme de l'arrêté des études doctorales « l'acquisition d'une culture scientifique élargie incluant une initiation à l'éthique de la recherche et à l'intégrité scientifique». Proposition N°5 : Ajouter au niveau de l'article 3 alinéa 3 du projet de réforme de l'arrêté des études doctorales : « l'École doctorale devra veiller à ce que chaque étudiant ait reçu une sensibilisation à l'éthique et à l'intégrité scientifique ». Proposition N°6 : Inciter à des formations participatives et essentiellement « bottom up ». Permettre à de jeunes docteurs formés à l'intégrité scientifique dans leur école doctorale de contribuer à la formation des générations suivantes. Proposition N°7 : Mettre en place un site ou un espace numérique national, « labellisé », où les outils de formation pourraient être en accès libre pour les encadrants et les étudiants. Favoriser une mutualisation et une harmonisation des outils de formation (enseignement à distance, guides, banques de cas, etc.). Proposition N°8 : Etablir pour chaque établissement la liste des personnes ressources intégrité scientifique (nom et coordonnées), s'assurer de la mise en place d'une formation sur l'éthique et l'intégrité scientifique dans les établissements. Proposition N°9 : Demander que l'ANR, à l'instar des agences européennes de recherche, conditionne le financement de projets de recherche à une politique d'éthique et d'intégrité scientifique de l'institution bénéficiaire. Proposition N°10 : Inciter les établissements à faire en sorte que l'éthique et l'intégrité scientifique soient identifiées dans la Charte des thèses. Demander que l'HCERES examine spécifiquement leur modalité de mise en oeuvre. : Inciter l'HCERES à évaluer la politique d'intégrité scientifique 1/ des Collèges doctoraux, 2/ des COMUE et des établissements associés ou fusionnés. Proposition N°11 : Elaborer et mettre à disposition un vade-mecum juridique national retraçant précisément les typologies de sanctions en cas de manquement à l'intégrité scientifique, leurs modalités de traitement administratif et juridique, les textes et la jurisprudence applicables en la matière. Proposition N°12 : Favoriser la promotion et la mise en place d'une recherche sur les moyens de formation à l'intégrité et leurs effets, sur les questions épistémologiques d'éthique, d'intégrité et de responsabilité scientifique ainsi que leurs conséquences sociétales. Proposition N°13 : Mieux impliquer les Académies en matière d'intégrité dans les sciences et faire la promotion de leurs travaux en la matière. Proposition N°14 : Elaborer et diffuser un texte de référence national structurant permettant, entre autres, de renforcer l'intégrité scientifique dans les établissements. Proposition N°15 : Mettre en place un espace d'information national sur la question spécifique de l'intégrité scientifique sous forme d'un encart spécifique sur le site institutionnel recherche.gouv.fr, recensant et mettant à disposition de tous les publics l'ensemble des ressources documentaires et initiatives ministérielles sur ce sujet. Proposition N°16 : Créer un bureau, une cellule, un office, l'OFIS (Office français d'intégrité scientifique), structure transversale, indépendante gérant les questions d'intégrité scientifique (expertise, observatoire, lien institutionnel…). Annexe 3 : Les référents intégrité scientifique Le HCERES recense sur son site les référents en une liste avec leur nom et leur espace web dédié : https://www.hceres.fr/Les-referents-integrite-scientifique Annexe 4 : L'organisation du CNRS en matière d'intégrité et de déontologie scientifiques Le CNRS a présenté le 13 novembre 2018 son plan d'action en matière d'intégrité et de déontologie scientifiques. Le communiqué de presse peut être trouvé à : http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/dossier_de_presse_def_v2.pdf  

Données clés

Auteur : Mme Sabine Rubin

Type de question : Question écrite

Rubrique : Recherche et innovation

Ministère interrogé : Enseignement supérieur, recherche et innovation

Ministère répondant : Enseignement supérieur, recherche et innovation

Signalement : Question signalée au Gouvernement le 13 mai 2019

Dates :
Question publiée le 19 juin 2018
Réponse publiée le 21 mai 2019

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