Archives secrètes du grand patronat
Question de :
M. Hadrien Clouet
Haute-Garonne (1re circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
M. Hadrien Clouet interroge Mme la ministre de la culture sur la dissimulation des archives du Medef. En effet, en République française, les archives du grand patronat demeurent inaccessibles et tenues secrètes. À la différence de la plupart des organisations professionnelles, syndicales ou représentatives, le Mouvement des entreprises de France (Medef) opère toujours une rétention d'informations à caractère historique et, partant, d'utilité publique et d'intérêt général. Cette rétention empêche d'écrire l'histoire du grand patronat français. Comment étudier l'ampleur de la corruption du personnel politique, du Comité de Penthièvre aux multiples caisses noires ? La nature des échanges patronaux avec les mouvements d'extrême-droite, de La Cagoule aux gangsters du Service d'action civique ? La structuration des pots-de-vin versés par les majors et grands monopoles français à des interlocuteurs nationaux ou internationaux ? La constitution d'officines de propagande publicitaire et politique ? Le fichage de syndicalistes ? La nature des rapports avec des puissances étrangères et leurs services ? Le choix d'une financiarisation de l'économie au détriment de sa base productive ? Pour comprendre ces pages de l'histoire du pays encore floues et troubles, il faudrait étudier les positions et les prises de position des protagonistes ou des témoins. D'où l'importance des archives du Medef, versées aux Archives du monde du travail, dans la commune de Roubaix. Mais les règles de communication sont tout à fait abusives : quarante ans de délai est exigé - sauf pour les documents financiers et les correspondances, retenus de manière discrétionnaire. En cela, les archives du grand patronat cultivent le secret et dissimulent aux chercheurs, journalistes et historiens amateurs les rouages de l'organisation, y compris des décennies après les faits et le départ à la retraite des acteurs concernés. Or la puissance et le passif de cette organisation justifie une exigence de transparence a posteriori. Ces difficultés sont multipliées par la destruction courante après réunions des documents opérationnels (notes techniques, calendriers, comptes rendus de réunions, relevés de décision, listes d'adhérents, soldes de cotisations), ainsi que des vagues de destruction documentaire dissimulée, soit par précaution (hiver 1977-1978), soit en réaction à un scandale connu du grand public (caisses noires de l'UIMM en 2007). Aussi M. le député demande à Mme la ministre d'œuvrer pour une transmission sans délai au grand public des archives patronales dans un délai de 25 ans à compter de la date (comme pour les archives publiques) et imposer la communicabilité de l'ensemble des pièces, y compris financières et de correspondance. Plus généralement, il questionne la politique publique archivistique qu'elle entend conduire afin d'imposer une égalité d'accès aux archives des syndicats salariés et aux archives des organisations patronales.
Réponse publiée le 19 septembre 2023
Les Archives nationales du monde du travail (ANMT) conservent les archives du Conseil national du patronat français (CNPF), sous trois identifiants différents. Ces trois ensembles respectivement de 279 mètres linéaires (ml), 73 ml et 39,76 ml, ont été déposés pour le premier entre 1988 et 1990 aux Archives nationales, pour le second en 1994, et transférés ensuite aux ANMT en 1998. Le troisième a été déposé directement aux ANMT en 2000. Les deux premiers portent sur la période 1882-1993 et concernent les statuts, documents de gouvernance, comptabilités, dossiers d activité dont la participation à des commissions, à des comités, à des groupes de travail et d études, les annuaires du CNPF, les rapports d activité, les dossiers de dirigeants, les dossiers d activité à l international, de la documentation Les instruments de recherche sont en ligne aux adresses suivantes : https://recherche-anmt.culture.gouv.fr/archive/fonds/FRANMT_IR_72_AS/view:15432 ; https://recherche-anmt.culture.gouv.fr/archive/fonds/FRANMT_IR_98_AS/view:37632. Le dernier porte sur la période 1945-1996 et concerne les dossiers d activité à l international, les dossiers de dirigeants, les dossiers thématiques d activité. L instrument de recherche est en ligne à l adresse suivante : https://recherche-anmt.culture.gouv.fr/archive/fonds/FRANMT_IR_2000_21/view:40300. Il s agit d archives privées ayant donc fait l objet de dépôts successifs, dont les modalités de conservation, traitement et communication sont explicités dans des contrats de dépôts et leurs avenants. Si les archives publiques définitives font l objet de versements obligatoires, les organisations privées n'ont aucune obligation de conservation de leurs archives à des fins historiques et patrimoniales. Le dépôt dans un service public d archives est par conséquent un des moyens pour des archives privées présentant un fort intérêt ce qui est le cas ici de préserver un patrimoine important en évitant sa destruction totale. Les archives privées qui intègrent les fonds des services publics d archives, y entrent sous différentes modalités dont les plus fréquentes sont le dépôt, le don ou l achat. Le dépôt signifie que le déposant reste propriétaire de ses archives. C est lui qui définit les conditions selon lesquelles il souhaite que les archives fassent l objet d une exploitation et valorisation (consultations, reproductions, publications, expositions...). Dans ce cas précis, en application des articles 4 et 5 de l avenant au contrat de dépôt, seules les archives de moins de 40 ans sont communicables et/ou reproductibles sur autorisation. La reproduction des documents extraits des fonds est, quant à elle, soumise à l'autorisation préalable du propriétaire-déposant. Ces conditions sont donc fixées par le déposant dans le cadre d un dialogue avec le service des archives dépositaire, sans obligations aucunes de se caler sur les délais de communication fixés par le code du patrimoine sur les archives publiques (articles L. 213-1 et 2). Le délai de 25 ans évoqué n est d ailleurs pas le seul délai fixé par le code du patrimoine, les différents délais dépendant de la nature des informations à protéger. Le régime s articule donc ici autour d un délai, sans que la nature des archives (documents financiers ou correspondance) soit déterminante. Ces archives sont aujourd hui régulièrement consultées par des chercheurs universitaires en majorité (10 en 2021, 11 en 2022). S agissant des autorisations de consultations, on constate 3 refus sur les trois ensembles en 2021 et un seul en 2022. Ces conditions pourront certainement, à l avenir, dans le cadre de la revue par les ANMT des contrats de dépôts signés avec ses différents déposants, faire l objet de nouveaux échanges s agissant du statut de l entrée de ces archives ou encore des délais de consultation et reproduction.
Auteur : M. Hadrien Clouet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Archives et bibliothèques
Ministère interrogé : Culture
Ministère répondant : Culture
Dates :
Question publiée le 18 juillet 2023
Réponse publiée le 19 septembre 2023