Question de : M. Fabien Di Filippo (Grand Est - Les Républicains)

M. Fabien Di Filippo appelle l'attention de M. le ministre de la santé et de la prévention sur la nécessité de faire évoluer la loi française afin de criminaliser de façon universelle la gestation pour autrui. Contraire au principe d'indisponibilité et d'inviolabilité du corps humain, la gestation pour autrui (GPA) est aujourd'hui interdite en France. Dans le monde, trois types d'encadrement existent autour de cette pratique. La prohibition est soutenue dans la majorité des pays européens : en Allemagne, en Suède, en Finlande, en Espagne, en Italie, etc. D'autres pays la tolèrent, comme l'Argentine, les Pays-Bas, la Pologne ou la Belgique. Enfin, certains l'autorisent, sous forme gratuite, comme le Royaume-Uni depuis 1985, ou contre une rémunération, par exemple dans plusieurs États américains ou en Ukraine, qui la réserve aux couples hétérosexuels et aux femmes célibataires. Le 5 mai 2022, le Parlement européen a signé une résolution condamnant sans appel la gestation pour autrui, « qui peut exposer à l'exploitation les femmes du monde entier, en particulier celles qui sont plus pauvres et se trouvent dans des situations de vulnérabilité ». En France, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) se déclare favorable à l'interdiction de la GPA au nom du respect de la personne humaine, du refus de l'exploitation de la femme et de la réification de l'enfant, de l'indisponibilité du corps humain et de la personne humaine. Il souhaite, en outre, l'élaboration d'une convention internationale pour l'interdiction de la GPA. Déjà, dans un avis du 15 juin 2017, le Comité s'était prononcé sur les demandes sociétales de GPA. Il y rappelait son hostilité à l'autorisation de la GPA en raison des « violences qui s'exercent sur les femmes recrutées comme gestatrices et sur les enfants qui naissent et sont objets de contrats passés entre des parties très inégales ». Dans une étude publiée le 11 juillet 2018 en vue d'éclairer les débats sur la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d'État s'est aussi prononcé sur la GPA et a considéré que cette pratique devait rester interdite, les principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes s'opposant à « une contractualisation de la procréation ». Actuellement dans le pays, le code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant », ainsi que leur tentative. Sont également réprimés la provocation à l'abandon, l'entremise en vue d'adoption et, depuis la loi bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, « le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ». Malgré cela, de nombreuses lignes rouges ont déjà été franchise. Tout d'abord, la circulaire dite « Taubira », publiée le 25 janvier 2013, a encouragé les juridictions françaises compétentes à délivrer un certificat de nationalité française pour les enfants nés sous gestation pour autrui à l'étranger. Les arrêts du 26 juin 2014 de la Cour européenne des droits de l'Homme ont ensuite condamné la France à régulariser l'état civil de tous les enfants nés à l'étranger par GPA. Enfin, en 2019, l'Assemblée nationale a voté la reconnaissance de la filiation des enfants nés par GPA à l'étranger, automatisant la reconnaissance en France de la filiation d'enfants conçus à l'aide d'une mère porteuse et « achetés » dans un pays étranger où la gestation pour autrui (GPA) est autorisée. La portée de la prohibition de la GPA est donc réduite au territoire national. Il suffit d'aller à l'étranger pour obtenir le résultat défendu. Que reste-t-il de l'article 16-7 du code civil, qui frappe de nullité toute convention de GPA, lorsqu'une personne ayant conclu une convention de gestation pour autrui à l'étranger peut ensuite faire régulariser cette situation en France sans aucune difficulté ? Dans les faits, la loi française est même parfois violée sur son territoire sans que les pouvoirs publics ne s'en inquiètent : ainsi, le salon « Désir d'enfant », au cours duquel des entreprises commercialisent sans complexe leurs prestations de GPA, s'est déjà tenu à Paris depuis deux années consécutives, en toute impunité. Afin de refuser le principe même de la marchandisation des corps et des êtres, cette proposition de loi vise donc à interdire strictement la pratique de la GPA en France, en renforçant les peines qui s'appliquent à ceux qui y ont recours et en sanctionnant de la même manière ceux qui y ont recours sur le territoire national et ceux qui y ont recours à l'étranger. On ne peut tolérer l'exploitation des femmes, la marchandisation de leur corps et la vente d'enfants, qu'elles aient lieu sur le territoire national ou dans un autre pays. Faire du corps des femmes un objet de location et de l'enfant un être dont on dispose à sa guise, le choisissant selon des critères précis et brisant le lien entre lui et celle qui l'a porté, est une attitude contraire au respect de la dignité humaine qui ne doit pas être tolérée. En Italie, les parlementaires ont approuvé le 26 juillet 2023 un projet de loi rendant illégale la gestation pour autrui à l'étranger. Ce texte prévoie de criminaliser la GPA pratiquée à l'étranger même si la procédure est légale dans le pays où elle a lieu. La pratique de la GPA est déjà illégale en Italie, où la violation de cette interdiction peut entraîner des peines de prison de 3 mois à 2 ans et des amendes comprises entre 600 000 et 1 million d'euros. Désormais, ces sanctions pourraient s'appliquer également « si les actes sont commis à l'étranger ». Il lui demande donc s'il compte criminaliser la location du ventre des femmes à des fins de procréation et de vente d'enfants, en mettant en place des mesures législatives afin d'appliquer des sanctions pénales envers les personnes qui résident en France et qui ont recours à la GPA, même si elles y ont recours dans un pays où cette pratique est légale.

Réponse publiée le 4 juin 2024

L'attention de M. le ministre de la santé a été appelée sur la question d'une éventuelle criminalisation de la gestation pour autrui, dès lors qu'il y est recouru par des personnes résidant en France, même si celles-ci y ont recours dans un pays où cette pratique est légale. Cette question a fait l'objet d'une réattribution au ministère de la Justice le 31 octobre 2023. Il convient de rappeler que la gestation pour autrui fait l'objet d'une interdiction stricte en France aux termes de l'article 16-7 du code civil, cette disposition étant d'ordre public. Cette interdiction traduit la primauté des valeurs que sont l'inviolabilité du corps humain et la dignité de la personne humaine. Elle repose sur des choix éthiques profonds du législateur, qui ont fait l'objet d'importantes délibérations à l'occasion de l'adoption des premières lois de bioéthique du 29 juillet 1994, et qui n'ont jamais été remis en cause depuis lors, en dépit d'un débat public nourri. Sur le plan pénal, la gestation pour autrui fait l'objet d'un dispositif répressif au titre des atteintes à la filiation, qui permet aux juridictions de poursuivre et de sanctionner tant les personnes ayant recours à la gestation pour autrui que les mères porteuses et les intermédiaires. Est ainsi réprimée l'entremise lucrative entre une personne désirant adopter un enfant et un parent désirant abandonner son enfant (article 227-12 al. 2 du code pénal), de même que l'entremise entre une personne voulant un enfant et une femme acceptant de le porter et de le remettre (article 227-12 al. 3 du code pénal), étant précisé que cette dernière infraction peut être aggravée en cas de but lucratif poursuivi ou par la circonstance d'habitude. La tentative de ces deux délits est punissable. Ensuite, les parents d'intention peuvent être poursuivis au titre de la provocation à l'abandon d'enfant (article 227-12 al. 1 du code pénal), ou de la complicité des délits d'entremise précités, cette dernière pouvant également être retenue à l'encontre de la mère biologique. Enfin, est également réprimée la substitution volontaire, la simulation ou la dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant (article 227-13 du code pénal), la tentative de ce délit étant également punissable. En vertu des dispositions de l'article 113-2 du code pénal, qui fixe les conditions de l'application de la loi pénale française dans l'espace, l'ensemble de ces infractions sont punissables lorsqu'elles sont commises sur le territoire de la République, étant précisé qu'elles sont réputées l'être dès lors qu'un de leurs faits constitutifs a lieu sur ce territoire, permettant ainsi de recouvrir un large spectre de situations infractionnelles. S'agissant des délits commis par des Français hors du territoire de la République, la loi pénale française ne leur est applicable que si ces faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis, à l'inverse des crimes, auxquels la loi pénale française est toujours applicable, même en l'absence de réciprocité (article 113-6 du code pénal). Ainsi, des parents qui ont recours à la gestation pour autrui à l'étranger, dans un pays où elle est autorisée (aux Etats-Unis par exemple), sans qu'aucun fait constitutif de cette pratique n'ait lieu sur le territoire de la République (notamment la conception de l'enfant ou l'établissement de son acte de naissance ou de son passeport), ne peuvent être poursuivis en France en l'absence de réciprocité de répression dans l'Etat où il y est recouru. 

Données clés

Auteur : M. Fabien Di Filippo (Grand Est - Les Républicains)

Type de question : Question écrite

Rubrique : Bioéthique

Ministère interrogé : Santé et prévention

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 5 septembre 2023
Réponse publiée le 4 juin 2024

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