Financement public par l'UE des pays ne respectant pas les droits humains
Question de :
Mme Ségolène Amiot
Loire-Atlantique (3e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
Mme Ségolène Amiot appelle l'attention de Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le manque de prise en compte du respect des droits humains dans l'octroi de financements européens aux pays tiers de l'UE et dans les prises de positions diplomatiques. Certains pays, notamment au voisinage de l'Union européenne, reçoivent des aides financières européennes, provenant de différents budgets comme ceux du NDICI, de la PESC ou encore de l'instrument d'aide humanitaire de l'UE. Cela permet de financer principalement des projets faisant la « promotion des valeurs européennes ». Parmi ces valeurs, on retrouve le respect des droits humains, définis dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Celle-ci prône, entre autres, l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (Article 4), la protection en cas d'éloignement, d'expulsion et d'extradition (Article 19) mais également la non-discrimination (Article 21) précisant : « Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ». Or plusieurs pays voisins de l'Union européenne ne respectent pas les droits humains comme la Turquie (avec la répression des Kurdes, des personnes LGBT ou des journalistes et opposants politiques), la Tunisie (avec la répression et l'expulsion sommaire des migrants subsahariens, des personnes LGBT et des opposants politiques) ou la Biélorussie (pays autoritaire peu respectueux de l'ensemble des droits humains). Il se trouve que la diplomatie européenne, représentée par le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, prévaut en grande partie sur la diplomatie française dans ses déclarations et communications. Malheureusement, ces derniers temps, celle-ci est difficilement compréhensible puisque n'ont été condamnés que les agissements de la Biélorussie, alors que la Tunisie et la Turquie sont courtisés par l'UE et leurs agissements contraires aux droits humains sont passés sous silence, comme le montre le déplacement de la présidente de la commission européenne, le 16 juillet 2023, pour signer un accord entre l'UE et la Tunisie pour un « partenariat stratégique complet » afin de prévoir un meilleur contrôle des migrants ainsi qu'une réadmission des Tunisiens sans papiers. Ainsi précisé auparavant, il existe au sein de l'Union européenne les mécanismes d'aide financière ou matérielle pour les États voisins, pour le développement et la coopération internationale. Punir les agissements des États défaillants en matière de droits humains, via la suppression de ces financements, serait contre-productif puisque les populations les plus fragiles et les plus exposées seraient directement impactées. Néanmoins, l'Union européenne et la France pourraient se montrer coercitives dans le domaine économique ou dans la restriction des fonds de préadhésion. De plus, il serait tout à fait possible de condamner les agissements contre les droits humains des pays tiers de l'UE, que ce soit publiquement, au sein du conseil européen ou lors des réunions mensuelles des ministres des affaires étrangères de l'UE. C'est ainsi que, indignée par cette diplomatie à plusieurs niveaux, aveugle et uniquement destinée au profit de l'UE, sans aucune considération pour les peuples et les êtres humains, elle appelle son attention sur le manque de réactions et de condamnations face aux agissements de certains pays voisins de l'UE contre les droits humains, alors que ceux-ci reçoivent des aides financières publiques et des partenariats toujours plus étendus.
Réponse publiée le 26 mars 2024
Conformément aux valeurs inscrites dans le Traité sur l'Union européenne (UE), notamment à son article 2, le soutien à la démocratie, à l'Etat de droit et le respect des droits de l'Homme sont des objectifs transversaux et fondateurs de l'action extérieure de l'UE (article 21). Ainsi, l'action de l'UE à l'international repose sur les principes et les valeurs qui ont présidé de sa création jusqu'à présent, et qui sont inscrits dans la charte des Nations unies et le droit international. Dans le cadre de ses efforts en faveur des droits fondamentaux au niveau international et dans son voisinage, l'UE promeut une approche adaptée aux spécificités des contextes locaux dans les pays dans lesquels elle s'investit et basée sur le dialogue avec les pays partenaires. Elle a vocation à soutenir les institutions et les acteurs locaux, les organisations de la société civile, les défenseurs des droits de l'Homme et l'ensemble des parties prenantes. Dans le cadre de sa politique de voisinage, l'UE a introduit le principe de « more for more » en vertu duquel elle intensifie son aide aux pays qui mènent des réformes efficaces en matière de démocratisation et d'État de droit. Le nouvel agenda pour la Méditerranée de 2021 poursuit l'approche incitative déjà appliquée à la région, selon laquelle l'aide de l'UE sera ajustée aux progrès réalisés en matière de réformes, en particulier dans le domaine de la gouvernance et de l'État de droit. Il met l'accent sur la réforme institutionnelle et l'indépendance, la participation des femmes et des jeunes à la prise de décision, la coopération de l'UE avec la société civile et le respect des normes démocratiques dans la gouvernance de l'internet et des réseaux sociaux. S'agissant de la Turquie, les conclusions adoptées par le Conseil, en mars 2021, ont souligné que l'État de droit et les droits fondamentaux étaient une préoccupation majeure et que le dialogue sur ces questions faisait partie intégrante des relations entre l'UE et la Turquie. Le rapport de la Commission de 2023 sur les relations UE-Turquie propose de poursuivre cette approche et fera l'objet d'une discussion au Conseil prochainement. Ensuite, les outils de coopération internationale européens sont spécifiquement désignés pour améliorer les conditions de vie des populations, conformément aux valeurs et aux principes de l'Union européenne et de ses Etats membres. L'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale - Europe dans le monde (NDICI) vise, à l'instar de l'ensemble des instruments de l'aide au développement tels que définis par le Comité Aide au développement (CAD) de l'OCDE, à promouvoir le développement économique et à améliorer les conditions de vie dans les pays en développement. Par conséquent, l'aide au développement européenne vise à améliorer les conditions de vie des populations vivant dans tous types de régimes politiques, en veillant précisément à éviter de contribuer à l'enrichissement d'Etats ou de régimes autoritaires en privilégiant l'amélioration des conditions de vie par le financement de projets locaux et avec des organismes promouvant les droits humains. En outre, la perception de l'aide et le montage des projets de l'aide au développement est contrôlée afin de vérifier que les projets soient mis en place dans le but de promouvoir les droits fondamentaux, les valeurs communes de l'Union européenne ainsi que l'amélioration des conditions de vie des populations. Enfin, la politique extérieure de l'UE dispose de moyens pour conditionner ses engagements à des avancées en matière de respect des droits humains et de la démocratie. Les politiques de commerce et de développement de l'UE intègrent ainsi la conditionnalité en matière de droits de l'Homme et de démocratie, en vertu d'une clause présente dans les accords de coopération et de partenariat signés par l'UE depuis les années 1990. La démocratie et les droits de l'Homme sont inscrits dans ces accords comme "éléments essentiels", dont la violation par l'une des parties pourrait entraîner la suspension de tout ou partie des accords, y compris des aspects commerciaux s'ils en contiennent. Le système de préférences généralisées (SPG), qui permet à l'UE d'accorder unilatéralement des préférences commerciales aux pays les moins avancées et aux pays en développement, permet leur retrait en cas de violations graves et systématiques des droits de l'Homme, y compris des droits civils et politiques tels que définis dans les conventions pertinentes des Nations unies. Ainsi, la Birmanie s'est vue suspendre en 1997 et le Cambodge en 2020. La « clause démocratique » a été activée dans le cadre de l'accord de Cotonou (2000) ou de son prédécesseur, la convention de Lomé IV (1995), dans les pays d'Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), en réponse à des crises politiques graves telles que des élections entachées d'irrégularités, des coups d'État ou des violations de l'État de droit. Le nouvel accord post-Cotonou, l'accord de Samoa, signé le 15 novembre 2023, préserve cette conditionnalité. S'agissant plus spécifiquement de la facilité pour les réfugiés en Turquie, la Commission veille à son suivi de façon transparente en rendant compte au Parlement européen et au Conseil et en faisant l'évaluation des financements apportés.
Auteur : Mme Ségolène Amiot
Type de question : Question écrite
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères
Ministère répondant : Europe et affaires étrangères
Dates :
Question publiée le 5 septembre 2023
Réponse publiée le 26 mars 2024