16ème législature

Question N° 11668
de M. Jean-François Lovisolo (Renaissance - Vaucluse )
Question écrite
Ministère interrogé > Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère attributaire > Agriculture et souveraineté alimentaire

Rubrique > agriculture

Titre > Dérives des ventes en démembrement de propriété

Question publiée au JO le : 03/10/2023 page : 8643
Réponse publiée au JO le : 07/11/2023 page : 9922

Texte de la question

M. Jean-François Lovisolo attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le démembrement de propriété - cession séparée de l'usufruit et de la nue-propriété d'un bien - sur les marchés fonciers ruraux notifiés aux SAFER. La SAFER a un droit de préemption dont le but premier est de favoriser le développement des activités agricoles, artisanales ou commerciales dans les milieux ruraux tout en limitant les dérives et la spéculation. L'objectif de l'instauration de ce droit est également de permettre d'éviter de dénaturer l'environnement, de vendre à des prix corrects et de conserver la vocation agricole lors de la transaction. Initialement, le droit de préemption des SAFER n'avait pas vocation à s'appliquer sur les ventes en démembrement de propriété, mais uniquement à l'occasion de la cession de la « pleine propriété » d'un bien. En 2022, le marché des biens démembrés a atteint un niveau record en surface et en valeur. En 2022, 270 ventes d'usufruit ont été notifiées aux SAFER pour 2 350 ha et une valeur de 44,1 millions d'euros. Les cessions de nue-propriété notifiées sont quant à elles au nombre de 980 pour 11 440 ha et 183,6 millions d'euros. Géographiquement, les régions ayant le marché de la propriété démembrée le plus dynamique sont surtout les régions du sud de la France : Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes. L'est de la France représente également plus de 20 %. À l'initiative du Gouvernement et afin d'aider les SAFER à accomplir leurs missions, le législateur a, après avoir recueilli préalablement l'avis du Conseil d'État, inscrit dans la loi d'avenir pour l'agriculture de 2014 le principe selon lequel les SAFER « peuvent exercer leur droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de l'usufruit ou de la nue-propriété » des biens à vocation ou à usage agricole (art. L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime). Toutefois, la loi prévoit deux exceptions à ce principe (3° et 8° de l'art. L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime). L'exception familiale, donc la cession de l'usufruit ou de la nue-propriété consentie à des parents ou alliés jusqu'au 4e degré, ne fait pas l'objet du droit de préemption. L'exception pour reconstitution de la pleine propriété, donc les acquisitions de la nue-propriété d'un bien par ses usufruitiers et celles de l'usufruit d'un bien par ses nu-propriétaires, ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption. La loi fixe également certaines conditions à respecter pour l'exercice de ce droit de préemption sur les ventes en démembrement de propriété. Si les SAFER peuvent exercer, sans condition particulière, leur droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de l'usufruit, elles ne peuvent, en revanche, préempter la nue-propriété que dans trois cas. Ainsi, les SAFER ne peuvent préempter la nue-propriété d'un bien que dans le but de reconstituer la pleine propriété de ce bien : lorsque la SAFER en détient l'usufruit, qu'elle est en train de l'acquérir, ou que l'usufruit expire dans un délai inférieur à deux ans. Au moins deux cas de ventes posent encore problème. Concernant, les ventes concomitantes, la Cour de cassation a retenu que le droit de préemption de la SAFER trouvait à s'exercer dans le cas de cession simultanée de la nue-propriété et de l'usufruit à un même acquéreur ou à deux personnes distinctes ou à une des personnes ayant une communauté d'intérêt. Malheureusement, bien qu'il soit possible pour la justice de démontrer un acte d'empêchement de la préemption par la SAFER, des ventes frauduleuses arrivent tout de même à aboutir tout en détournant par la suite le terrain vendu de sa vocation agricole. C'est exactement le même problème pour les ventes de la seule nue-propriété. Dans ces cas de cession de la nue-propriété, le principe reste que la déclaration d'opération par le notaire est exemptée du droit de préemption. La seule possibilité qu'a alors la SAFER est de prétendre à un montage visant à un détournement de ses prérogatives d'ordre public. Toute la difficulté est d'en rapporter la preuve qui pèse exclusivement sur la SAFER. Rares sont les décisions de justice qui ont fait droit à la demande des SAFER, faute d'éléments pouvant caractériser la fraude. Ainsi, deux propositions semblent être de nature à pallier ces difficultés juridiques. Une première consiste à mettre en place une obligation pour les notaires d'apporter les justifications nécessaires (intérêt économique, patrimonial, social) pour laquelle le ou les propriétaires décident de vendre un bien démembré afin de valider la vente. Une seconde vise à donner la possibilité à la SAFER de préempter la nue-propriété. Face à cette situation, M. le député souhaite connaitre la position de M. le ministre concernant ces deux propositions. Plus globalement, il souhaite lui demander de préciser les mesures que le Gouvernement entend mettre en oeuvre ou proposer qui seront de nature à lutter plus efficacement contre la spéculation dont peuvent être l'objet les terres agricoles.

Texte de la réponse

Le principe suivant lequel les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) « peuvent exercer leur droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de l'usufruit ou de la nue-propriété » des biens à vocation ou à usage agricole est posé par l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM). Ce principe admet toutefois deux exceptions prévues par les 3° et 8° de l'article L. 143-4 du CRPM en application desquels le droit de préemption dévolu aux SAFER ne peut s'appliquer : - l'exception familiale qui vise la cession de l'usufruit ou de la nue-propriété consentie à des parents ou alliés jusqu'au quatrième degré ; - l'exception pour reconstitution de la pleine propriété qui recouvre les acquisitions de la nue-propriété d'un bien par ses usufruitiers et celles de l'usufruit d'un bien par ses nu-propriétaires. De plus, concernant la nue-propriété, les SAFER ne peuvent, en application de l'article L. 143-1 du CRPM, la préempter que dans les cas où elles en détiennent l'usufruit ou sont en mesure de l'acquérir concomitamment, ou lorsque la durée de l'usufruit restant à courir ne dépasse pas deux ans. Le dynamisme et la constante progression depuis 2016 du marché des cessions en démembrement de propriété (essentiellement les cessions portant sur la seule nue-propriété) ne traduit pas nécessairement une volonté croissante de détournement du droit de préemption des SAFER. En outre, s'il est parfois difficile pour une SAFER d'apporter devant le juge la preuve d'une intention frauduleuse dans la mise en œuvre du démembrement, c'est, comme le prouve la jurisprudence récente (par exemple, cour de cassation, chambre civile, 12 avril 2018, 17-13.856). Par ailleurs, le régime juridique actuel relatif à la cession des droits démembrés repose sur un équilibre fragile et étroitement contrôlé par le conseil constitutionnel qui veille à ce que les atteintes au droit de propriété ne soient pas disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi par la politique publique. À cet égard la décision n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014 a déclaré contraire à la constitution la disposition de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt permettant aux SAFER de préempter la seule nue-propriété de biens dans le cas où cette préemption interviendrait « dans le but de la rétrocéder dans un délai maximal de 5 ans, à l'usufruitier de ces biens ». Dans un tel contexte, il n'est pas envisagé à cette heure de renforcer la capacité des SAFER à préempter la cession des bien démembrés.