Conditions d'exercice des experts judiciaires en investigation numérique
Question de :
M. Philippe Juvin
Hauts-de-Seine (3e circonscription) - Les Républicains
M. Philippe Juvin appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conditions d'exercice des experts judiciaires en investigation numérique (G.02.5) dans le cadre de réquisitions ou commissions d'experts, lorsque le but de leur mission est d'analyser et d'extraire des données d'appareils téléphoniques ou informatiques verrouillés par leur propriétaire. Ces opérations sont codifiées par l'article 706-102-1 du code de procédure pénale (CPP) qui en son alinéa 2 autorise explicitement les experts inscrits sur l'une des listes prévues à l'article 157 à y procéder. C'est donc dans ce cadre juridique que les experts concernés ont depuis de nombreuses années acquis des dispositifs matériels et logiciels leur permettant d'accomplir les missions qui leur étaient confiées. Cependant, depuis octobre 2021, les éditeurs de ces outils ont informé qu'ils ne pourraient désormais octroyer des licences d'utilisation de leurs logiciels qu'à la condition d'avoir préalablement obtenu une autorisation d'acquisition et de détention auprès de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'Information. Ainsi, pour être en mesure d'effectuer certaines missions qui leurs sont confiées par l'autorité judiciaire et avant même de pouvoir acquérir ou renouveler leur licence d'utilisation des logiciels visés, les experts pourtant inscrits sur l'une des listes prévues à l'article 157 du CPP doivent impérativement soumettre un dossier de demande d'autorisation de détention à la commission instituée par l'article R. 226-2 du code pénal, ralentissant considérablement leurs interventions. À titre d'illustration, cette dernière situation s'est produite lorsque la commission a refusé à plusieurs experts l'autorisation de détenir les logiciels « UFED Premium » de l'éditeur Cellebrite et « XRY PinPoint » de l'éditeur MSAB, au motif que ces logiciels avaient été « limités aux services de l'État habilités à réaliser des interceptions autorisées par la loi ». Cette limitation par la commission est considérée par les professionnels comme abusive, dans la mesure où ces logiciels ne sont absolument pas destinés ni en capacité de réaliser des interceptions. Ceci est d'autant plus regrettable que ces mêmes logiciels sont librement disponibles ailleurs en Europe, ce qui amène certains juges d'instruction à solliciter des techniciens situés hors des frontières, notamment en Principauté de Monaco ou en Allemagne. Dans ce contexte, il souhaite que le Gouvernement puisse intervenir pour lever ces freins à l'exercice des experts judiciaires en investigation numérique dans le cadre de réquisitions ou commissions d'experts et facilite les autorisations à détenir ces logiciels d'expertise ; il lui demande quelles sont les perspectives à ce sujet.
Réponse publiée le 26 mars 2024
Le ministère de la Justice prête une attention soutenue aux moyens dont disposent les experts, désignés dans le cadre d'une procédure pénale, pour mener à bien les missions qui leur sont confiées par les magistrats, et notamment les magistrats instructeurs qui déterminent en toute indépendance les actes nécessaires à la manifestation de la vérité. Leur activité constitue en effet, en complément des actes réalisés par les forces de sécurité intérieure, un apport incontournable au bon déroulement des enquêtes. Les investigations numériques peuvent toutefois nécessiter le recours à des dispositifs techniques qui présentent des potentialités d'atteinte au droit au respect de la vie privée de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle la fabrication, l'importation, la détention, l'exposition, l'offre, la location ou la vente d'appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation de certaines opérations, à l'instar de l'enregistrement de conversations à distance à l'insu des personnes concernées ou la captation de données informatique, est strictement encadrée et soumise à autorisation, sous peine des sanctions prévues à l'article 226-3 du code pénal. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) assure un contrôle des demandes d'autorisation qui lui sont formulées et y fait droit le cas échéant, notamment en tenant compte de l'activité d'expertise judiciaire des demandeurs, et le ministère de la Justice, représenté au sein de la commission conseillant le directeur de l'ANSSI instituée à l'article R. 226-2 du code pénal, est attentif à l'équilibre devant être trouvé dans ce cadre.
Auteur : M. Philippe Juvin
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 3 octobre 2023
Réponse publiée le 26 mars 2024