Question écrite n° 12664 :
Rejet règlement européen concernant les retards de paiement

16e Législature

Question de : M. Fabien Di Filippo
Moselle (4e circonscription) - Les Républicains

M. Fabien Di Filippo alerte Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, sur le projet de règlement révisant la directive 2011/7/UE, présenté par la Commission européenne le 12 septembre 2023. Cette proposition de règlement prévoit plusieurs mesures destinées à soutenir les PME : réduction des délais de paiement maximum à 30 jours pour toutes les transactions commerciales, sans possibilité de dérogation ; calcul des délais de paiement à partir de la date de réception de la facture ; automaticité du paiement des intérêts et indemnités dus par les entreprises en retard ; augmentation du taux des intérêts de retard et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ; nullité des clauses contraires ; mesures procédurales et de contrôle. Les principales fédérations du commerce ont récemment fait part à Mme la ministre de leur inquiétude concernant le projet de réduction des délais de paiement à 30 jours stricts. La directive actuelle, plus souple, permet d'avoir un délai de paiement à soixante jours dans le commerce, voire plus en cas de dérogation. En France, en cohérence avec cette directive, l'article L441-10 du code de commerce fixe un délai de paiement de principe de trente jours applicable par défaut, sauf accord spécifique entre les parties. Dans les faits, la quasi-totalité du temps, des accords sont négociés entre les commerçants et leurs fournisseurs. Une réduction des délais sans aucune dérogation possible entraînera un besoin de fonds de roulement supplémentaire évalué à 30 milliards d'euros pour le commerce français, dans une période où les trésoreries sont au plus bas et où les banques ne sont pas enclines à prêter de l'argent. Aujourd'hui, les fédérations estiment que ce règlement pourrait asphyxier totalement 10 à 15 % des commerces. La Fédération française de la franchise dénonce un projet « irresponsable », pour lequel « aucune étude d'impact n'a été réalisée », alors que les commerçants sont déjà confrontés « aux PGE à rembourser, à la hausse du coût de l'énergie, à celle des loyers... ». M. Jacques Creyssel, délégué général de la FCD, parle quant à lui d'« une arme de destruction massive pour le commerce, qui va impacter tous les acteurs, petits et grands. » Si l'intention d'aider les PME est bonne, la réduction stricte des délais de paiement constitue une mesure disproportionnée et inadaptée dont le commerce sera la première grande victime et particulièrement certains secteurs qui bénéficient actuellement de dérogations raison de leurs spécificités. Il en est ainsi par exemple des spécialistes du jouet, dont l'activité est très saisonnière, avec 53 % de leur chiffre d'affaires réalisé sur les trois derniers mois de l'année. D'autres secteurs, comme celui de l'horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie et de l'orfèvrerie, bénéficient également de dérogations, du fait par exemple de la typologie des produits vendus et de la lenteur de rotation des stocks en magasin. Mettre fin à ces dérogations engendrerait d'importantes difficultés financières pour de nombreux commerces, voire entraînerait leur fermeture. Pour les fédérations, ce règlement pourrait en outre favoriser l'inflation, puisque ce coût supplémentaire retombera forcément sur les prix et les produits en magasin. Il pourrait aussi avoir un impact négatif pour l'activité des PME. En effet, les commerçants seront en effet tentés de réduire leurs stocks pour limiter l'impact au maximum, ce qui tendrait les chaînes d'approvisionnement et augmenterait les risques de ruptures : mais ils pourront aussi réduire le nombre de fournisseurs en commençant par les PME. D'ailleurs, si ces dernières veulent que les institutions prennent des mesures pour lutter contre les mauvais payeurs, elles ne semblaient pas demander un délai strict à trente jours Pour M. Arnaud Haefelin, président de la commission des affaires européennes de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), ce règlement pourrait également pénaliser les PME en favorisant des importations hors Europe, notamment d'Asie où les délais de paiement sont bien plus souples, créant ainsi des « distorsions de concurrence ». Cela ira de plus « à l'encontre du combat pour une offre plus locale et made in France ». Il y aura aussi des conséquences sur la logistique, car si les entreprises risquent de vouloir limiter les stocks et fractionner les commandes : cela signifie plus de livraisons, plus de transports, donc une plus grande difficulté d'anticipation de la production pour les fabricants et des conséquences négatives d'un point de vue écologique. Enfin, avec la fin des campagnes de paiement en fin de mois, l'organisation et la gestion de la comptabilité des entreprises et de leurs fournisseurs devront être complètement revues et les factures payées au jour le jour. Le projet de règlement est actuellement examiné par le Parlement européen. S'il l'approuve, ce sera au tour du Conseil européen qui regroupe les chefs d'État de tous les États membres d'accepter ou de rejeter le règlement. M. le député demande si Gouvernement compte rejeter la mesure qui consiste à imposer un délai de paiement maximal de 30 jours pour les opérations commerciales B2B. Si ce projet de règlement venait à être adopté, il lui demande comment il entend soutenir les commerces dont les difficultés de trésorerie seront fortement accentuées par cette réduction des délais de paiement.

Réponse publiée le 9 avril 2024

Depuis la loi de modernisation de l'économie, dite LME du 4 août 2008, les délais de paiement convenus entre les parties à un contrat entre professionnels sont plafonnés par le code de commerce et des délais dérogatoires plus longs sont prévus pour les secteurs dont la saisonnalité est marquée. L'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 relative à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux pratiques prohibées et portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce a intégré dans la partie législative du code de commerce la liste des secteurs dans lesquels des accords dérogatoires portant sur les délais de paiement ont été conclus. Ces secteurs figurent désormais du II de l'article L. 441-11 du code de commerce. Le respect des délais de paiement représente un enjeu crucial pour la trésorerie et donc la compétitivité des entreprises. Il importe de limiter leur allongement, c'est pourquoi le code de commerce plafonne les délais de paiement et sanctionne les retards de paiement. La règlementation française permet une protection équilibrée des créanciers ainsi que des mesures permettant de lutter contre les retards de paiement, notamment au regard des pouvoirs de contrôle et de sanctions mis en oeuvre par les autorités administratives ou de l'impossibilité de déroger aux plafonds de paiement légaux. Au vu des chiffres communiqués par l'Observatoire des délais de paiement, la France conserve également sa place parmi les pays européens ayant les retards de paiement les plus faibles, avec un retard moyen sur l'année 2022 de 11,9 jours, se situant sous la moyenne européenne (13 jours), les pays du Nord demeurent toutefois les plus vertueux (Belgique, Allemagne, Pays-Bas). Face au constat du manque d'efficacité de la directive n° 2011/7/UE pour réduire les délais de paiement interprofessionnels dans l'Union européenne, la Commission propose plusieurs mesures fortes pour renforcer les moyens de lutte contre les retards de paiement, pour instaurer l'équité dans les transactions commerciales et accroître la résilience des PME et des chaînes d'approvisionnement. La proposition de la Commission en faveur d'un meilleur encadrement des délais de paiement au plan européen paraît opportune afin de renforcer le degré d'harmonisation du marché intérieur et la protection des entreprises (particulièrement des PME) françaises et les autorités françaises partagent l'objectif poursuivi par la proposition de règlement, toutefois la délégation française a fait part de ses inquiétudes quant à la portée de l'instauration d'un délai maximal impératif de 30 jours. Les autorités françaises resteront vigilantes quant à la situation notamment des opérateurs (TPE et PME) qui pourraient souffrir du besoin de trésorerie supplémentaire généré par une forte réduction du délai maximal (a fortiori dans les secteurs très saisonniers tels que celui du jouet ou celui de l'horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie).

Données clés

Auteur : M. Fabien Di Filippo

Type de question : Question écrite

Rubrique : Commerce et artisanat

Ministère interrogé : Petites et moyennes entreprises, commerce, artisanat et tourisme

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Dates :
Question publiée le 7 novembre 2023
Réponse publiée le 9 avril 2024

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