16ème législature

Question N° 14029
de M. Paul Molac (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires - Morbihan )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > communes

Titre > Impossibilité de pouvoir vendre un bien dans le cadre d'un communs de village

Question publiée au JO le : 26/12/2023 page : 11672
Réponse publiée au JO le : 26/03/2024 page : 2446
Date de changement d'attribution: 12/01/2024

Texte de la question

M. Paul Molac attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'impossibilité de pouvoir vendre un bien dans le cadre d'un commun de village. On trouve encore en Bretagne historique des communs de village datant d'une loi de 1792 qui a préservé certains biens féodaux avant les réformes du code civil, le décret-loi du 28 aout 1792 (article 10) « Dans les cinq départements qui composent la cidevant Province de Bretagne les terres actuellement vaines et vagues non arrentées afféagés ou accensés jusqu'à ce jour connues sous le nom de communs, frost, frostages, franchises, galois etc. appartiendront exclusivement, soit aux communes, soit aux habitants des villages, soit aux cidevant vassaux qui sont actuellement en possession du droit de communer, motoyer, couper des landes, bois ou bruyères, pacager ou mener leurs bestiaux dans lesdites terres situées dans l'enclave ou le voisinage des cidevant fiefs ». À la lecture de ce texte, les « Communs de Village » apparaissent comme des terres qui ne sont exploitées par personne. Elles ne sont donc ni cultivées (vaines) ni bâties (vagues) ni louées (non-arrentées). Triple obligation qui se trouve difficilement des jours, mais qui avait toute sa cohérence dans le monde rural de l'époque : les terrains n'ont pas tous une qualité agricole et il est parfois utile d'avoir un terrain dit « tampon » pour séparer un fonds de jardin voisin, sans se préoccuper de le gérer. Ce n'est donc pas la propriété d'un bien immobilier qui jouxte le commun qui y donne droit. Non plus que la construction d'un nouveau bâti. Et puisqu'on n'acquiert pas cette propriété ou ce droit autrement qu'en étant habitant de la commune, on ne peut pas le céder non-plus. Il s'agit d'un droit strictement censitaire, lié à l'adresse de son titulaire. Or il n'existe pour ainsi dire plus de cession en interne et la vente n'étant pas possible on se retrouve dans des situations ubuesques dans certains villages. Il lui demande donc comment le Gouvernement compte pallier à ce dispositif d'un autre temps et permettre aux propriétaires de maisons au sein de communs de village de pouvoir vendre leurs biens.

Texte de la réponse

En Bretagne, les communs de village bénéficient d'un statut spécial défini par l'article 10 du décret du 28 août 1792 relatif au rétablissement des communes et des citoyens dans les propriétés et droits dont ils ont été dépouillés par l'effet de la puissance féodale. Ce statut s'y appliquait par principe, tandis que la présomption de propriété des terres vaines et vagues au profit des communes, instaurée sur le reste du territoire par l'article 9 du même décret, n'avait vocation à s'y appliquer que de façon subsidiaire. Applicables aux « terres actuellement vaines et vagues non arrentées afféagées ou acensées jusqu'à ce jour (…) [qui] appartiendront exclusivement, soit aux communes, soit aux habitants des villages, soit aux ci-devant vassaux qui sont actuellement en possession du droit de communer », ces dispositions ont converti en droit de propriété un droit qui, jusque-là, n'était qu'une simple servitude (3ème civ., 17 avril 1970, n° 69-11.189). Le droit de communer s'apparentait en effet à un droit d'usage des terres,. En application des dispositions de l'article 10, les terres vaines et vagues de Bretagne appartenaient aux individus titulaires d'un contrat d'arrentement (location de terres), d'afféage (mise à disposition de terres) ou d'acensement (concession d'une partie de terres moyennant redevance). En l'absence de tels contrats, elles appartenaient aux habitants du village ou aux vassaux qui, au 28 août 1792, étaient en droit de communer. A défaut de titulaire du droit de communer, les terres vaines et vagues de Bretagne appartenaient à la commune en application de l'article 9. Pour régler des cas de blocage où la propriété de terres vaines et vagues était restée indivise en application de l'article 10 du décret du 28 août 1792, une loi du 6 décembre 1850 a créé dans les cinq départements composant l'ancienne province de Bretagne une procédure spéciale de partage des terres, et ce afin d'en favoriser notamment la mise en culture. Elle a été prorogée par plusieurs lois successives et s'est appliquée jusqu'au 1er janvier 1931. Par la suite, le décret n° 55-884 du 30 juin 1955 relatif à la procédure de partage des terres vaines et vagues dans les départements des Côtes du Nord, du Finistère, d'Ille et Vilaine, de la Loire inférieure et du Morbihan, s'est inspiré des dispositions figurant dans la loi du 6 décembre 1850, tout en les simplifiant pour rendre ce partage plus simple et plus accessible en milieu rural. Ce décret a été codifié aux articles 58-1 à 58-16 de l'ancien code rural, qui sont restés en vigueur jusqu'à leur abrogation par la loi n° 92-1283 du 11 décembre 1992. A ce jour, les terres vaines et vagues de Bretagne sont toujours soumises au régime de l'article 10 du décret du 28 août 1792. En conséquence, un particulier peut vendre un bien immobilier se trouvant sur ces terres à condition de justifier d'un titre de propriété. S'il n'en a pas, il peut revendiquer la propriété et solliciter le cas échéant le partage en rapportant la preuve qu'il est l'ayant-cause d'une personne « en possession du droit de communer ». Il ne sera alors autorisé « à réclamer que la portion des terres vaines et vagues à laquelle correspond son titre » conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (3ème civ. 17 avril 1970, n° 69-11.189). Dans certains cas, il peut revendiquer la propriété du bien immobilier en caractérisant une prescription acquisitive, dans les conditions prévues aux articles 2272 et suivants du code civil, soit une possession de l'immeuble continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.