16ème législature

Question N° 296
de M. Gérard Leseul (Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) - Seine-Maritime )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Non rétroctivité de l'article 265 du code civil

Question publiée au JO le : 26/07/2022 page : 3539
Réponse publiée au JO le : 04/07/2023 page : 6172

Texte de la question

M. Gérard Leseul attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, au sujet des difficultés liées à l'inapplicabilité de l'article 265 du code civil aux divorces prononcés avant le 1er janvier 2005. L'article 265 nouveau du code civil est issu de la loi du 26 mai 2004 visant à réformer le divorce et certaines libéralités entre époux. Cette réforme ne prévoit pas de rétroactivité pour ce nouveau régime. De fait, pour les personnes divorcées en vertu d'une assignation antérieure au 1er janvier 2005, ce sont les anciennes dispositions du code civil qui sont applicables. Sous l'empire du code civil ancien, l'époux fautif perd de plein droit le bénéfice des donations et avantages matrimoniaux consentis par son conjoint, à l'inverse de l'autre conjoint qui en conserve le bénéfice. Les ex-époux, fautifs ou non, pouvaient révoquer ces libéralités. Par conséquent, si une donation entre époux n'est pas révoquée, elle bénéficie à l'ex-conjoint lors de la succession de son auteur. En absence de révocation, il est possible de constater via l'application de cette ancienne réglementation qu'un conjoint divorcé depuis près de 20 ans peut encore hériter de son ex-conjoint alors même que celui-ci a potentiellement conclu un nouvel acte civil et a pu modifier sa situation matérielle. Si la jurisprudence a pu admettre des cas de tacite révocation, une nouvelle union conjugale ne permet pas de déduire cette révocation. Cette absence de rétroactivité de la réforme du 26 mai 2004 entraîne une forme d'insécurité juridique pour les ex-époux et pour leurs potentiels nouveaux conjoints. Il l'interroge afin de prendre connaissance des mesures que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre pour garantir la sécurité juridique des ex-époux et de leurs ayants droit via notamment une réforme permettant l'application rétroactive sauf volonté contraire du disposant de l'article 265 du code civil.

Texte de la réponse

La loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce a modifié le sort des donations et avantages matrimoniaux que les époux se sont consentis par contrat de mariage ou au cours de l'union, en cas de divorce (article 16). Désormais, l'article 265 du code civil prévoit le maintien des avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et des donations portant sur des biens présents. Les avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et aux dispositions à cause de mort sont, quant à eux, révoqués de plein droit par le prononcé du divorce, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consenties. Lors de cette réforme, des dispositions transitoires ont été prévues (article 33 II de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004) afin de rendre les nouvelles dispositions immédiatement applicables aux procédures en divorce introduites avant le 1er janvier 2005, sauf lorsque l'assignation en divorce a été délivrée avant cette date. Ainsi, dès lors que l'action en divorce a été introduite avant cette date, celle-ci est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Ces dispositions transitoires ont permis une application claire et lisible de la nouvelle disposition. Elles présentent l'avantage de la prévisibilité et, en conséquence, de la sécurité juridique dans un domaine où les époux ont la libre disposition de leurs biens. Vous interrogez le garde des Sceaux, ministre de la justice, sur la possibilité de rendre applicables de manière rétroactive les dispositions de l'article 265 du code civil issues de la loi du 26 mai 2004 précitée aux divorces prononcés avant le 1er janvier 2005 et aux instances en divorce introduites avant cette date. En matière civile, les lois sont par principe non-rétroactives (article 2 du code civil). Le législateur peut néanmoins écarter ce principe, à condition que la modification rétroactive de la règle de droit respecte notamment les décisions de justice ayant force de chose jugée et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général (Cons. const., 14 févr. 2014, n° 2013-366). En l'espèce, pour les divorces prononcés avant le 1er janvier 2005, une application rétroactive de l'article 265 de la loi du 26 mai 2004 aurait pour conséquence de remettre en cause les décisions de justice ayant force de chose jugée et serait de nature à remettre en cause les droits acquis des personnes concernées sans que cela ne soit justifié par un motif impérieux d'intérêt général. S'agissant des instances en divorce introduites par assignation antérieure au 1er janvier 2005, le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans une décision n° 2020-880 QPC du 29 janvier 2021 sur les paragraphes I et II de l'article 33 de la loi du 26 mai 2004 et plus particulièrement sur le sort des avantages matrimoniaux. Il a ainsi rappelé que « l'objet des avantages matrimoniaux appelés à prendre effet au cours du mariage est d'organiser, par convention entre les époux, la vie commune pendant le mariage. L'évolution éventuelle des conditions légales de leur révocation ne remet pas en cause cet objet. », précisant également que « les règles de révocation des avantages matrimoniaux prévues par la loi en cas de divorce relèvent, quant à elles, du régime juridique attaché aux effets patrimoniaux du divorce. Les justiciables pouvaient donc s'attendre à ce qu'elles suivent les évolutions générales du droit du divorce (…). » Par ailleurs, le Conseil constitutionnel poursuit en rappelant « qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation et de l'article 43 de la loi du 23 juin 2006 que les conjoints souhaitant se prémunir notamment contre le risque d'une évolution de la législation pouvaient décider de fixer par convention les conditions dans lesquelles ces avantages matrimoniaux pouvaient être révoqués à raison du divorce ». Au regard des éléments susmentionnés, le ministère de la justice n'envisage pas de mettre en place une réforme visant à l'application rétroactive de l'article 265 du code civil dans sa rédaction issue de la loi de 2004, sauf volonté contraire du disposant.