Cartographies satellitaires des pertes de fourrages liées à la sécheresse
Question de :
M. Bastien Marchive
Deux-Sèvres (1re circonscription) - Renaissance
M. Bastien Marchive appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur l'écart de relevé entre les cartographies satellitaires et la réalité de terrain dans le calcul de l'indice de production des prairies réalisé par Airbus. Le Comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA), réuni le 18 janvier 2023, a reconnu en calamités agricoles pour les pertes de fourrages liées à la sécheresse de 2022, 105 communes du sud et de l'extrême nord-est du département des Deux-Sèvres. Alors que la sécheresse de 2022 a été particulièrement sévère sur une grande partie du département, il semblerait que la cartographie satellitaire utilisée pour évaluer les pertes de récolte fourragères (l'indice de production fourragère Airbus), livre des résultats plus positifs que ceux constatés sur le terrain. La profession agricole alerte sur ce décalage qui semble corroboré par une commission d'enquête, conduite conjointement par les services de la direction départementale des territoires (DDT) et la chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, auprès de nombreux éleveurs sur leurs récoltes fourragères en 2022. Complétées par une analyse des données techniques et statistiques des fermes suivies annuellement dans le cadre du dispositif INOSYS réseau d'élevage, les études mettraient en évidence des niveaux de rendement en fourrages aussi faibles en 2022 que sur les années 2017 et 2018. Or en 2017 et 2018, le zonage retenu au titre des calamités sécheresse couvrait une bonne partie du nord du département, où l'élevage est très présent. Au regard de ces éléments, il lui demande si un réexamen de la situation prenant en compte les collectes d'informations du terrain est envisagé et quelles adaptations méthodologiques peuvent être envisagées.
Réponse publiée le 19 septembre 2023
Dès le début de l'été 2022, le Gouvernement s'est pleinement mobilisé dans un contexte de baisse des rendements et face à des situations individuelles difficiles et hétérogènes et la cellule interministérielle de crise a été réunie à plusieurs reprises. Dans ce contexte, plusieurs mesures destinées à soutenir les agriculteurs ont été mises en œuvre. Les avances de la politique agricole commune payées au 16 octobre 2022 ont été portées à 70 % pour les aides découplées et 85 % pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, afin de faire face aux problèmes de trésorerie des exploitations, et notamment des élevages, ce qui représente 1,6 milliard d'euros d'avance de trésorerie. Par ailleurs, les dispositifs de droit commun, à savoir les exonérations de taxe sur le foncier non-bâti et de cotisations sociales, ont été activées. Enfin, le régime des calamités agricoles a été mobilisé pour les cultures éligibles avec un assouplissement des conditions d'accès, au travers de l'abaissement du seuil d'éligibilité de 13 % à 11 % de pertes de produit brut et d'une accélération exceptionnelle de la procédure au profit des éleveurs les plus affectés par les effets de la sécheresse afin d'éviter une décapitalisation non contrôlée. C'est ainsi que les zones recouvrant tout ou partie des douze départements les plus touchés ont pu faire l'objet d'une reconnaissance partielle du comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) du 28 octobre 2022, de manière à initier des versements d'acomptes dès le mois de novembre 2022 pour les agriculteurs concernés, au fur et à mesure de l'instruction des dossiers par les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Cette accélération importante du calendrier a permis un premier apport de trésorerie crucial au bénéfice des éleveurs les plus affectés. Par la suite, le CNGRA du 9 décembre 2022 a permis d'arrêter les zones et les taux de pertes définitifs pour les douze départements susmentionnés, afin d'initier le versement des soldes avant la fin de l'année 2022 et en a reconnu cinq autres. Ainsi, ont été concernés par un traitement définitif des dossiers les 17 départements suivants : l'Ardèche, l'Aveyron, le Cantal, la Corrèze, la Creuse, la Drôme, l'Isère, la Haute-Loire, la Haute-Vienne, la Loire, le Lot, la Lozère, le Rhône, le Puy-de-Dôme, les Pyrénées-Atlantiques, le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Le CNGRA s'est enfin réuni le 18 janvier 2023 pour statuer sur les autres demandes de reconnaissance des départements touchés par la sécheresse déposées au 1er décembre 2022. C'est ainsi que les zones de 27 départements supplémentaires ont été reconnus, à savoir pour les départements du Jura, de l'Ain, de la Savoie, de la Haute-Savoie, des Hautes-Alpes, du Vaucluse, du Gard, de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, du Gers, du Lot-et-Garonne, de la Dordogne, de la Charente, des Deux-Sèvres, de la Vienne, du Maine-et-Loire, de la Sarthe, du Loir-et-Cher, de l'Yonne, de la Meuse, des Vosges, du Bas-Rhin, de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle. Dans ce cadre, le CNGRA du 18 janvier 2023 a émis un avis favorable à la reconnaissance de 105 communes du Sud et de l'extrême Nord-Est du département des Deux-Sèvres, le niveau de pertes sur les prairies, établi par le faisceau d'indices du niveau de la pousse des prairies cumulée sur l'ensemble de l'année de production, étant supérieur au seuil de reconnaissance de 30 % par rapport à un historique de la moyenne olympique sur cinq ans. Ce faisceau d'indices est constitué de l'estimation de la perte affectant les prairies réalisée lors des missions d'enquête conduites sous l'égide des DDTM, recoupée avec l'évaluation du niveau de pousse des prairies par des indices basés sur des modèles agrométéorologiques ou sur des mesures satellitaires. Le CNGRA a en revanche émis un avis défavorable à la reconnaissance du reste du département. En effet, si la mission d'enquête y estime les pertes à 41 %, les indices de pousse des prairies évaluent de façon concordante que le niveau des pertes en 2022 sur cette partie du département est inférieur à 27 % en 2022, ne permettant pas donc d'établir que la perte de récolte ayant affecté les prairies sur la zone considérée dépasserait le seuil de reconnaissance de 30 % par rapport à la référence réglementaire. L'accélération de la procédure a permis de gagner jusqu'à plus de quatre mois sur le calendrier habituel de versement des calamités sécheresse. Par ailleurs, face à l'intensité de l'épisode de sécheresse et des difficultés auxquelles font face les éleveurs, le Gouvernement a pris la décision exceptionnelle de relever le taux d'indemnisation de 28 % à 35 %. Au-delà de cette réponse d'urgence, à l'avenir, la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture permettra d'améliorer l'accompagnement des exploitants face à ces événements climatiques toujours plus intenses et fréquents. Cette réforme est indispensable pour préserver la souveraineté alimentaire de la France et favoriser la résilience de son agriculture face à ces nouveaux défis. Ainsi, la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022, entrée en vigueur en 2023, a institué de nouvelles modalités d'indemnisation des pertes de récoltes résultant d'aléas climatiques, reposant sur le partage équitable du risque entre l'État, les agriculteurs et les entreprises d'assurances. Cette loi instaure une couverture universelle contre les risques climatiques accessible à tous les agriculteurs. À cette fin, elle institue un dispositif de couverture des risques climatiques à trois étages, prévoyant une absorption des risques de faible intensité à l'échelle individuelle de l'exploitation agricole, une mutualisation entre les territoires et les filières des risques d'intensité moyenne, par le biais de l'assurance multirisque climatique dont les primes font l'objet d'une subvention publique, et une indemnisation directe de l'État contre les risques dits catastrophiques. S'agissant plus particulièrement des modalités d'indemnisation des pertes sur prairies, l'utilisation d'un indice est la seule façon de mesurer la production annuelle des prairies de façon à la fois simple et stable dans le temps. Sans système indiciel, les entreprises d'assurance ne pourraient pas tarifer et proposer des contrats d'assurance en prairie. L'indice est également le meilleur moyen d'avoir une indemnisation rapide et correspondant le mieux à la situation individuelle de chaque éleveur. En outre, la réforme prévoit que les méthodes de calcul des pertes soient similaires entre les agriculteurs assurés et ceux non assurés. Le versement de l'indemnisation de solidarité nationale aux éleveurs non assurés est ainsi également réalisé par un système indiciel. C'est pourquoi s'il n'est pas possible de revenir à un système d'expertise terrain basé sur des bilans fourragers, il est en revanche primordial de conforter dans la durée la confiance de tous les acteurs et en particulier des éleveurs dans l'approche indicielle et d'améliorer en continu l'indice. C'est ainsi que le décret n° 2022-1716 du 29 décembre 2022 prévoit qu'un réseau d'observation de la pousse de l'herbe selon un protocole scientifique strict sera mis en place pour vérifier la bonne cohérence entre les résultats des indices et la pousse de l'herbe observée sur le terrain. Par ailleurs, le décret n° 2023-229 publié le 30 mars 2023 prévoit, conformément à l'objectif fixé par le législateur dans la loi du 2 mars 2022, que les réclamations qui pourraient être formulées quant aux indemnisations fondées sur des indices devront faire l'objet d'un examen approfondi permettant de vérifier l'absence de toute erreur manifeste dans le fonctionnement ou la mise en œuvre opérationnelle de l'outil indiciel. Cet examen mobilisera au besoin un comité d'expert constitué par le ministère chargé de l'agriculture. L'approche indicielle a pu susciter une certaine incompréhension sur l'indemnisation des pertes des prairies. Il convient ainsi de rappeler que l'encadrement des règles d'indemnisation impose que la perte affectant les prairies soit appréciée sur l'ensemble de la période de pousse de l'herbe, soit du début du printemps à la fin de l'automne, et pas uniquement sur la période estivale où l'effet de la sécheresse se fait le plus ressentir. En outre, il est nécessaire réglementairement de calculer les indemnisations par rapport à un historique de production correspondant à la moyenne triennale ou quinquennale olympique, référence qui a été fortement dégradée dans certains territoires du fait des sécheresses 2018, 2019 et 2020. Cette question de la moyenne olympique, c'est-à-dire quant à la référence de production historique prise en compte pour le calcul des pertes indemnisables par l'assurance récolte, renvoie à des discussions qui dépassent le cadre de la mise en œuvre de la réforme et concernent des règles qui ont été définies au niveau européen en application des accords agricoles de l'organisation mondiale du commerce. Dans le cadre immédiat de la réforme, la loi a prévu que les exploitants auront le choix pour leur référence de production historique, entre leur moyenne olympique quinquennale ou leur moyenne triennale. Les agriculteurs pourront ainsi choisir, s'ils le souhaitent, la plus favorable des deux. Par ailleurs, l'encadrement réglementaire de l'assurance récolte offre la possibilité aux entreprises d'assurance de proposer des garanties non subventionnables permettant aux agriculteurs qui le souhaitent de souscrire des contrats pour des rendements assurés plus élevés que ceux qui résulteraient de l'application stricte de la moyenne olympique. Dans une perspective de plus long terme, le Gouvernement porte ces préoccupations sur la référence historique auprès des enceintes européennes, afin de faire évoluer sa définition pour l'adapter au contexte d'accélération du changement climatique. Le Gouvernement doit rendre dans les prochaines semaines un rapport au Parlement à ce sujet, tel que prévu par la loi du 2 mars 2022 pour rendre compte des initiatives qu'il a menées à ce sujet. Toutefois, dans certaines situations, l'augmentation de la fréquence des aléas climatiques peut conduire à ce que la référence à un potentiel de rendement « historique » perde sa réalité agronomique du fait du changement climatique et entraîne une dégradation de la référence de production historique quelle qu'en soit sa définition. C'est pourquoi conformément aux conclusions des travaux du Varenne, conjointement à l'amélioration des dispositifs de protection et de gestion des aléas climatiques engagée au travers de la réforme de l'assurance récolte, le Gouvernement met également en place des mesures pour accompagner l'adaptation des systèmes de productions pour les rendre plus résilients et pour développer des solutions de gestion des besoins et de l'accès aux ressources en eau mobilisables pour l'agriculture.
Auteur : M. Bastien Marchive
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire
Dates :
Question publiée le 28 mars 2023
Réponse publiée le 19 septembre 2023