Projet de suppression de certaines garanties financières des ICPE
Question de :
M. Hubert Wulfranc
Seine-Maritime (3e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine - NUPES
M. Hubert Wulfranc interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur le projet de suppression de certaines garanties financières imposées aux ICPE. Les installations classées protection de l'environnement (ICPE), dont l'exploitation est susceptible de présenter des risques pour l'environnement et les populations, répondent à des normes strictes visant à prévenir ces risques ou à les traiter en cas de sinistre. De nombreuses installations sont concernées, majoritairement les installations productrices d'émissions industrielles (directive européenne IED 2010/75/UE ) et les sites Seveso qui sont classés au sommet de l'échelle des risques. En 2012, un système de garanties financières pour les ICPE, à la charge des exploitants, a été instauré pour ne pas laisser de sites à risques à l'abandon suite à des défaillances financières, une situation d'insolvabilité ou un dépôt de bilan. Ces garanties ont pour objectif de protéger les collectivités locales contre les situations d'insolvabilité d'exploitants d'ICPE, responsables civilement envers les tiers, ainsi que pour mettre en œuvre, lorsque l'autorité préfectorale l'exige, des mesures de gestion de la pollution des sols ou des eaux souterraines dans l'éventualité de la survenue d'un incident majeur. Le 27 janvier 2023, M. le ministre a communiqué aux préfets une circulaire définissant l'orientation, pour 2023-2027, de l'inspection des installations classées. Dans celle-ci, il précise que les garanties financières demandées aux installations de l'article R. 516-1 5° du code de l'environnement, seront supprimées au motif que le dispositif est coûteux pour les exploitants, présente des charges administratives importantes pour l'inspection des installations classées tout en étant rarement mis en œuvre. Sur la base de ce même argumentaire, l'entrée en vigueur du dispositif avait déjà été reculée par le passé, passant de un à cinq ans, et le seuil d'exigibilité des garanties relevé de 75 000 euros à 100 000 euros. Les installations visées par cette obligation dont le ministère souhaite l'abrogation, sont celles soumises à autorisation ou à enregistrement, qui sont susceptibles, « en raison de la nature et de la quantité des produits et déchets détenus, d'être à l'origine de pollutions importantes des sols ou des eaux ». Elles sont listées par l'arrêté du 31 mai 2012 fixant la liste des installations classées soumises à l'obligation de constitution de garanties financières en application du 5° de l'article R. 516-1 du code de l'environnement. Seuls les sites d'implantation d'éoliennes resteraient assujettis au dispositif des garanties financières au titre de l'article R. 516-1 5° du code de l'environnement. Les garanties financières exigées des sites Seveso, des carrières et installations de stockage de déchets seraient conservées, Dans un rapport conjoint de décembre 2014 rendu par le Conseil général de l'environnement et du développement durable et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, les services d'inspection précisaient que le dispositif des garanties financières était bien accepté par les exploitants à l'exception des secteurs de la collecte des véhicules hors d'usage et du traitement de surface de matériaux. Aussi, le rapport suggérait trois scénarios d'évolution du dispositif dont un seulement proposait la suppression du dispositif moyennant la possibilité d'instaurer des garanties additionnelles pour couvrir les conséquences de pollutions accidentelles. La voie de la suppression retenue par le ministère propose de substituer au dispositif des garanties financières, alimenté par les exploitants d'installations concernées, un « fonds friches » intégré au sein du fonds transition écologique, financé par le contribuable. Ce fonds serait mis à la disposition de l'ADEME pour dépolluer les friches. Par cette voie, le Gouvernement fait le choix de socialiser les risques et les pollutions industrielles liés aux activités lucratives des exploitants de tels sites. La suppression envisagée va directement à l'encontre du principe du pollueur-payeur, elle constituerait également une entorse au principe de non-régression du droit de l'environnement inscrit à l'article L. 110-1 9° du code de l'environnement qui dispose que « le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Cette suppression envisagée va également à l'encontre des recommandations rendue en 2021 dans le rapport spécial de la Cour des comptes européennes intitulé « Principe du pollueur payeur : une application incohérente dans les différentes politiques et actions environnementales ». L'institution y souligne la nécessité de recourir aux instruments de garantie financière en déclarant que « l'absence de garantie financière obligatoire au niveau de l'UE signifie en pratique que les contribuables supportent les coûts de réparation lorsqu'un exploitant à l'origine de dommages environnementaux devient insolvable». « [Elle] a également contraint les autorités à utiliser des deniers publics pour restaurer des zones polluées, lorsque le pollueur était insolvable ». Selon l'INRS, 70 % des entreprises victimes d'un sinistre majeur disparaissent dans les mois qui suivent. Paul Poulain, spécialiste des risques et des impacts industriels, indique pour sa part qu'entre 10 et 20 incendies se déclarent chaque jour au sein des usines françaises. Des risques pris par le secteur privé et dont le traitement des conséquences est couvert par le contribuable. Par ailleurs, la suppression des garanties financières relevant de l'article R516-1 5° du code de l'environnement irait à l'encontre des préconisations formulées par le rapport de la commission d'enquête sénatoriale du 8 septembre 2020 intitulé « Pollutions industrielles et minières des sols, réparer les erreurs du passé et penser durablement l'avenir ». À l'inverse du projet ministériel, le rapport sénatorial propose d'élargir le périmètre du dispositif des garanties financières. Ainsi, la proposition n° 46 recommande « d'autoriser dans la loi, l'État à étendre l'obligation de constitution de garanties financières aux ICPE soumises à déclaration, le cas échéant en adaptant le seuil réglementaire d'exemption afin de fixer le périmètre le plus adapté » ainsi que (n° 47) de « modifier les dispositions réglementaires relatives à la méthode de calcul des garanties financières afin d'intégrer dans ce calcul les opérations de réhabilitation qui incomberont à l'exploitant d'une ICPE au moment de la cessation d'activité ». Au vu des conséquences financières, sanitaires et environnementales susceptibles d'être générées par la suppression des garanties financières inscrites à l'article R. 516-1, 5° du code de l'environnement et de la déresponsabilisation des exploitants qui en découleraient, M. le député demande à M. le ministre de surseoir à cette décision et de lui préciser, à l'inverse, s'il entend renforcer le dispositif précité. Par ailleurs, il l'interroge sur la légalité des dispositions de la circulaire du 27 janvier 2023 relatives à la suppression des garanties financières précitées, valant instruction pour les services de l'État, dès lors que l'article du code de l'environnement concerné n'a pas encore été abrogé ou été modifié.
Réponse publiée le 26 septembre 2023
La suppression des garanties financières pour les installations relevant du 5° de l'article R. 516-1 du code de l'environnement a été discutée à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi industrie verte et adoptée en première lecture, dans la nuit du 21 au 22 juillet 2023. Ce dispositif présente en effet plusieurs difficultés concernant notamment la constitution de ces garanties financières par les exploitants et leur mobilisation auprès des organismes de caution (20 M€ de cotisations par an, quelques centaines de milliers d'euros effectivement récupérées depuis 10 ans). Une autre difficulté réside dans la portée limitée du champ d'application de ces garanties, destinées à couvrir uniquement la mise en sécurité et non la globalité de la réhabilitation d'un site. Le maintien de ces garanties financières ne permettrait donc nullement de financer la réhabilitation des friches industrielles polluées. Il s'agit donc de remplacer ce système peu opérationnel et chronophage - y compris pour les services de l'État - par des mesures plus efficaces et mieux ciblées permettant de sécuriser les sommes destinées à la mise en sécurité de ces sites industriels. L'une de ces mesures consiste en la séniorisation des créances environnementales en cas de liquidation judiciaire de l'entreprise. L'article L.643-8 du code du commerce sera donc modifié afin d'introduire un nouveau privilège des créances liées aux dépenses de mise en sécurité environnementale et ainsi modifier l'ordre légal de paiement des créances privilégiées. Il a également été décidé de renforcer les sanctions à l'encontre des ICPE illégales en triplant les montants maximums des amendes et astreintes administratives instituées par l'article L.171-7 du code de l'environnement. Par ailleurs, avec le fonds vert, le Gouvernement soutient financièrement de manière inégalée les collectivités locales dans la réhabilitation des friches industrielles. Le Gouvernement veillera tout particulièrement à ce que les modalités d'éligibilité de ce fonds soient ajustées dans la durée pour assurer une reconversion de friches vers de nouveaux usages industriels.
Auteur : M. Hubert Wulfranc
Type de question : Question écrite
Rubrique : Environnement
Ministère interrogé : Transition écologique et cohésion des territoires
Ministère répondant : Transition écologique et cohésion des territoires
Dates :
Question publiée le 20 juin 2023
Réponse publiée le 26 septembre 2023