Application du principe de présomption de minorité
Question de :
M. Aurélien Saintoul
Hauts-de-Seine (11e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
M. Aurélien Saintoul interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'application de la présomption de minorité pour les mineurs non accompagnés. Le 20 novembre 1989, la France a ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'article 3 dispose que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. En vertu de cet article, l'observation générale n° 6 du Comité des droits de l'enfant de 2005 affirme que le bénéfice du doute doit être accordé à tout jeune se présentant comme mineur et que cette présomption de minorité doit être maintenue jusqu'à preuve du contraire. De plus, dans la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019 quant à la constitutionnalité de l'article 388 du code civil (expertises médicales d'âge osseux), l'instance rappelle que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge. Il s'ensuit que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures. Ainsi, un mineur refusant un quelconque test ne peut être recensé comme majeur. Enfin, le Conseil constitutionnel préconise des alternatives aux test osseux, tels que les tests de maturité faits par une équipe pédagogique. Or selon les informations de Médecins du Monde datant de juin 2023, 70 % des mineurs non accompagnés qui sont évalués se voient refuser une prise en charge au titre de la protection de l'enfance, au motif qu'ils ne seraient pas mineurs ou isolés. Aux frontières, les jeunes sont privés d'accès aux dispositifs d'évaluation de leur âge et de mise à l'abri et sont enfermés au sein des structures de la police aux frontières, au mépris des lois. Par ailleurs, à la frontière franco-britannique, ces enfants ne bénéficient pas des services de base, à savoir l'accès à un hébergement, à des moyens de subsistances et à la santé, tandis que plusieurs sources documentent qu'ils sont victimes de traite humaine. Cette affirmation est confirmée par deux observations du Comité des droits de l'enfant de Nations unies : celle du 6 février 2023 sanctionnant la France pour le cas d'un jeune migrant non accompagné laissé à la rue, sans hébergement ni moyens de subsistance, ainsi que dans le rapport final du 2 juin 2023, qui conteste l'application discrétionnaire de la notion de « minorité manifeste » et le processus arbitraire de détermination de l'âge par des tests osseux, pourtant réputés imprécis. Il appelle la France au respect du principe de « présomption de minorité ». Ainsi, M. le député s'interroge sur la volonté du Gouvernement d'appliquer la Convention internationale des droits de l'enfant qu'il a pourtant ratifié et dont il est garant. Il souhaite savoir, le cas échéant, comment le Gouvernement compte rendre effectifs ces droits qu'il bafoue aujourd'hui au mépris de la dignité de ces personnes et des principes de la République, en particulier le principe de fraternité.
Réponse publiée le 5 décembre 2023
Afin de garantir le droit fondamental de l'enfant à être protégé, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 consacre une protection spécifique permettant à toute personne se présentant comme mineure non accompagnée (MNA) d'être mise à l'abri. L'accueil provisoire d'urgence dédié à ce public vulnérable dépend de la compétence exclusive des départements, conformément à l'article L221-4-2 du code de l'action sociale et des familles. L'évaluation de la minorité et de l'isolement relève d'une approche pluridisciplinaire et a pour objet d'apprécier, à partir d'un faisceau d'indices, si une personne se présentant comme MNA doit être prise en charge par les services de la protection de l'enfance. L'expertise de l'âge osseux ne peut, à elle seule, déterminer si une personne est mineure. En cas de doute persistant à l'issue de cet examen, celui-ci doit profiter à l'intéressé (e). Par ailleurs, l'article 43 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, insère trois alinéas à l'article 388 du code civil qui précisent les conditions dans lesquelles il est possible de recourir aux examens médicaux. Ils ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après le recueil de l'accord de l'intéressé. Les résultats de ces examens doivent préciser la marge d'erreur qu'ils comportent. A l'issue du processus d'évaluation de la minorité et de l'isolement, si une personne n'est pas évaluée MNA, sa mise à l'abri prend fin. Elle se voit notifier un document attestant qu'une prise en charge au titre de la protection de l'enfance lui a été refusée, lui permettant de se prévaloir de l'ensemble des droits reconnus aux personnes majeures. L'intéressé (e) peut alors former un recours gracieux contre la décision du président du conseil départemental ou saisir le juge des enfants aux fins de reconnaissance de la minorité, sur le fondement de l'article 375 du code civil. La présomption de minorité n'existant pas en droit français, la personne qui n'a pas été évaluée MNA sort alors du cadre de la protection de l'enfance en danger, le temps que la décision soit rendue. Toutefois, s'il est saisi, le juge des enfants peut prendre une ordonnance de placement provisoire le temps que des investigations complémentaires soient diligentées. Le ministère de la Justice a conscience de la situation de ces personnes et affirme sa détermination à œuvrer à la garantie des principes fondamentaux consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant. La loi n° 2022-140 relative à la protection des enfants, promulguée le 7 février 2022, prévoit dans le titre VII intitulé « Mieux protéger les mineurs non accompagnés » un encadrement de la mise à l'abri et l'évaluation des personnes se déclarant MNA. Notamment, cette loi prévoit qu'une personne qui se présente comme telle bénéficie d'un temps de répit avant son évaluation (article 40) et restreint le recours à l'hébergement hôtelier lors de l'accueil provisoire d'urgence (article 7). Par ailleurs, la minorité et l'isolement d'une personne reconnue MNA ne peuvent pas faire l'objet d'une réévaluation suite à son orientation vers un autre département (article 7). Le décret d'application de ces dispositions va être publié dans les prochains jours. D'autres mesures œuvrent à la garantie des droits des personnes qui se présentent comme MNA. Le ministère de la Justice a activement participé à l'élaboration de guides de bonnes pratiques en matière d'évaluation de la minorité et de l'isolement (2019) et de bonnes pratiques en matière d'évaluation des besoins en santé au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence (2022) auprès des personnels des services départementaux. Ces outils à destination des professionnels accompagnant les MNA, et les personnes se déclarant comme telles, visent une amélioration de la qualité des évaluations, une harmonisation des pratiques et une meilleure prise en charge des MNA. Cette harmonisation est également permise par le déploiement du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, défini par le décret du 30 janvier 2019. Le fichier permet en outre d'éviter le nomadisme administratif en identifiant les personnes déjà évaluées par d'autres départements. Enfin, des équipes mobiles composées de professionnels de l'aide sociale à l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et des associations de prévention spécialisées ont été mobilisées dans plusieurs départements, et notamment dans le Pas-de-Calais, afin de repérer les MNA en errance et les orienter vers les dispositifs de protection de l'enfance.
Auteur : M. Aurélien Saintoul
Type de question : Question écrite
Rubrique : Enfants
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 11 juillet 2023
Réponse publiée le 5 décembre 2023