Article LO. 149 du Code électoral
Question de :
M. Hervé de Lépinau
Vaucluse (3e circonscription) - Rassemblement National
M. Hervé de Lépinau interroge M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice sur l'interprétation précise de l'article LO. 149 du Code électoral, notamment en ce qui concerne l'expression « atteinte au crédit ou à l'épargne». L'article LO. 149 stipule qu'il est interdit à tout avocat inscrit à un barreau, lorsqu'il est investi d'un mandat de député, d'accomplir directement ou indirectement, sauf devant la Haute Cour de justice et la Cour de justice de la République, aucun acte de sa profession dans les affaires à l'occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives pour, entre autres, « atteinte au crédit ou à l'épargne» . Cette disposition vise à prévenir les conflits d'intérêts potentiels en interdisant aux députés-avocats d'intervenir dans certaines affaires sensibles. Cependant, l'expression « atteinte au crédit ou à l'épargne» demeure sujette à interprétation. Il serait pertinent de préciser si cette interdiction concerne uniquement les affaires impliquant des institutions publiques, telles que des fraudes affectant le Trésor public ou des organismes étatiques, ou si elle s'étend également aux affaires relevant de la sphère privée, comme des litiges entre particuliers ou des entreprises privées concernant des questions de crédit ou d'épargne. Une clarification sur le périmètre exact des infractions et affaires visées par cette disposition permettrait aux députés-avocats d'exercer leur profession en toute conformité avec la loi, tout en respectant les obligations déontologiques inhérentes à leur double statut. En conséquence, il souhaite connaître l'interprétation officielle du ministère de la justice concernant l'application de l'article LO. 149 du Code électoral et plus spécifiquement la portée de l'expression « atteinte au crédit ou à l'épargne».
Réponse publiée le 26 août 2025
Le ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice, tient tout d'abord à rappeler qu'il ne lui appartient pas de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels, ni d'interférer dans les procédures judiciaires, en raison des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique le soin de fixer le régime des incompatibilités des membres du Parlement. Codifié par un décret n° 64-1086 du 28 octobre 1964, l'article LO. 149 du code électoral est issu de l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires, modifiée par deux ordonnances du 31 octobre 1958 et du 4 février 1959 puis par les loi organiques n° 61-1447 du 29 décembre 1961, n° 72-64 du 24 janvier 1972, n° 95-63 du 19 janvier 1995 et n° 2013-906 du 11 octobre 2013. Aux termes de cet article, il est interdit à tout avocat inscrit à un barreau, lorsqu'il est investi d'un mandat de député, d'accomplir directement ou indirectement par l'intermédiaire d'un associé, d'un collaborateur ou d'un secrétaire, sauf devant la Haute Cour de Justice et la Cour de justice de la République, aucun acte de sa profession dans les affaires à l'occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives, notamment en matière « d'atteinte au crédit ou à l'épargne ». Le Conseil Constitutionnel, saisi par le Premier ministre aux fins de vérifier la conformité à la Constitution de la loi organique du 11 octobre 2013, précise que « si le législateur peut prévoir des incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou fonctions professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de fonctions publiques doit être justifiée, au regard des exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration de 1789, par la nécessité de protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou l'indépendance des juridictions contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts » (Cons. const. 9 oct. 2013, no 2013-675 DC). Ces incompatibilités ne doivent donc pas être trop générales. En revanche, à la connaissance du ministère de la Justice, ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour de cassation n'ont été amenés à se prononcer sur ce qui constitue une « atteinte au crédit ou à l'épargne » au sens de l'article LO. 149 du code électoral. Le code monétaire et financier dispose que l'épargne constitue un produit financier et définit une opération de crédit comme “tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie” (L. 313-1 CMF). Une opération de crédit est une opération de banque (L. 311-1 du CMF). La fourniture d'une opération de banque est réalisée à titre de profession habituelle par les prestataires de services bancaires (L. 511-1 CMF), comprenant d'une part les établissements de crédit (dont les banques), et d'autre part les sociétés de financement. Le CMF régit également, en son livre IV, l'offre de titres financiers ou de parts sociales, autrefois appelé appel public à l'épargne. Au regard de ces éléments, sont susceptibles de pouvoir être qualifiés d'atteinte au crédit ou à l'épargne, au sens du droit pénal et de l'article LO. 149 du code électoral, l'ensemble des comportements qui visent à détourner des fonds, publics ou privés, épargnés ou prêtés, au préjudice de leur propriétaire et de tout tiers intéressé à l'affaire. A titre d'exemple, l'abus de confiance commis par un banquier à l'égard de son client épargnant, l'escroquerie commise au préjudice d'une institution publique, d'une banque ou d'un particulier visant à se faire remettre indument des fonds épargnés ou prêtés, ou les infractions relevant du droit pénal boursier (délits d'initié, fausse information du marché ou manipulation de cours) seraient de nature à constituer des atteintes au crédit ou à l'épargne au sens de ce texte. Selon le Conseil d'Etat, constitue une atteinte à l'épargne l'incitation à investir sur les marchés boursiers « à partir d'éléments étrangers aux données économiques et sociales des marchés » (CE, 30 mars 2007, n° 287667). Cette lecture du texte apparaît correspondre à l'analyse de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, instituée par un décret présidentiel du 16 juillet 2012 et dont une partie des travaux a été reprise par la loi organique du 11 octobre 2013, qui adressait dans son rapport les préconisations suivantes : « La Commission ne propose pas, dans la perspective de prévention des conflits d'intérêts, de remettre en cause la possibilité, pour un parlementaire, de continuer à exercer une activité de conseil ou la profession d'avocat, dans le respect des dispositions de l'article L.O. 149 du code électoral. Qu'un parlementaire plaide devant un conseil de prud'hommes ou dans un contentieux civil ou pénal n'appelle pas a priori d'objection du point de vue de la prévention des conflits d'intérêts. La Commission relève cependant qu'un risque de conflit peut naître dans le cas d'une activité de conseil exercée auprès d'un opérateur économique ou financier. Elle estime donc qu'une attention particulière devrait être portée à cette question dans le cadre des bonnes pratiques déontologiques qu'ont entrepris de développer les deux assemblées – d'autant que le secret professionnel de l'avocat fait obstacle à ce que l'identité du client et la nature des missions effectuées pour son compte soient portées à la connaissance du public dans le cadre d'une déclaration d'intérêts ou d'activités. » Ainsi, il semble que l'incompatibilité prévue par l'article LO. 149 du code électoral ne doit pas être interprétée comme visant uniquement les affaires impliquant des personnes publiques mais également celles impliquant des personnes privées.
Auteur : M. Hervé de Lépinau
Type de question : Question écrite
Rubrique : Professions judiciaires et juridiques
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 11 février 2025
Réponse publiée le 26 août 2025