Question au Gouvernement n° 3061 :
Afghanistan

11e Législature

Question de : M. Robert Gaïa
Var (2e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 14 novembre 2001

M. le président. La parole est à M. Robert Gaïa, pour le groupe socialiste.
M. Robert Gaïa. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne l'Afghanistan.
Je souhaiterais, monsieur le Premier ministre, approfondir le dialogue heureusement et opportunément engagé par le Gouvernement avec la représentation nationale depuis les attentats du 11 septembre à New York et Washington.
M. Pierre Lellouche. Tu parles !
M. Robert Gaïa. En quelques jours, la situation afghane nous a interpellés sur un triple plan : émotionnellement, militairement, diplomatiquement.
Emotionnellement, nous avons tous été bouleversés par la mort, sur le front de l'information - si difficile à glaner en temps de guerre -, de trois journalistes. Deux sont français : Johanne Sutton, grand reporter à RFI, et Pierre Billaud, grand reporter à RTL ; le troisième est allemand : Volker Handloik, pigiste de l'hebdomadaire Stern.
Militairement, les talibans ont subi une défaite cuisante, perdant non seulement les provinces du Nord mais aussi Kaboul. Sommes-nous, monsieur le Premier ministre, à la veille d'un enchaînement qui conduirait l'Alliance du Nord aux frontières iranienne et pakistanaise de l'Afghanistan ?
Diplomatiquement, en revanche, les choses piétinent. Différents acteurs afghans dialoguent entre eux, les voisins de l'Afghanistan se concertent avec la Russie et les Etats-Unis. Aux Nations unies, diverses propositions, françaises ou britanniques, restent pour l'instant objet de débats et rien de concret ne paraît sortir de ces multiples tables rondes.
Ces trois événements de nature différente me conduisent, monsieur le Premier ministre, à vous faire une suggestion et à vous poser une question.
La suggestion concerne la protection des journalistes en temps de guerre. L'un de nos collègues, lui-même ancien journaliste, François Loncle, a proposé la négociation d'un code international visant à mieux garantir la sécurité des reporters présents sur les lieux de conflit. Il y a sans doute là matière à avancer au sein de la communauté internationale.
M. Christian Jacob. La question !
M. Robert Gaïa. La question porte sur le décalage croissant entre la progression militaire et le sur-place que nous constatons sur le terrain de la diplomatie. Qui va gérer, et dans quelles conditions, la victoire acquise par une coalition de chefs de guerre sans représentativité nationale et, semble-t-il, sans projet ?
L'évolution actuelle vers un grand écart diplomatico-militaire ne porte-t-elle pas en germe un redoutable effet boomerang ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je ne peux répondre à cette question sans évoquer comme vous, monsieur le député, la mémoire de Johanne Sutton et Pierre Billaud, journalistes français, et de Volker Handloik, journaliste allemand, qui sont morts en Afghanistan, victimes de la violence et, au moins pour l'un d'entre eux, de la sauvagerie, victimes aussi de leur dévouement à la cause de l'information dans les conditions les plus extrêmes.
Il est clair que des développements majeurs viennent de se produire au plan militaire. Après celle de Mazar-e-Charif, la prise de Kaboul et le retrait des talibans changent profondément, dans une sorte de basculement, les données sur le terrain.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. On a lu le journal !
M. le Premier ministre. Des offensives sont menées dans d'autres zones, notamment vers l'ouest, pour le contrôle de la ville d'Herat, et vers le nord en direction de Kunduz et Taloqan.
M. Christian Jacob. On sait tout ça !
M. Richard Cazenave. C'est dans le journal !
M. le Premier ministre. Je ne vois pas ce qui vous gêne, messieurs, dans le fait que soient évoqués devant l'Assemblée nationale des réalités et des faits qui, par ailleurs, sont naturellement retracés par les médias. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pensez-vous que la représentation nationale ne devrait pas débattre sous prétexte que la presse rend compte des événements ? Je suis assez surpris par votre attitude ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Ces avancées semblent avoir abouti à la reconquête des douze provinces du Nord. On peut penser que les talibans se regroupent actuellement dans des zones refuges, le sud et l'est de Kaboul, où les Pachtouns ont leurs assises, mais surtout où se trouvent vraisemblablement les réseaux d'Al-Qaida.
Cette évolution peut faciliter l'élimination de ces réseaux. Ces événements sont positifs parce qu'ils autorisent de nouveaux progrès sur le plan stratégique et qu'ils ouvrent un champ nouveau d'action au plan humanitaire.
L'occupation de Mazar-e-Charif, la chute de Kaboul, la libération d'un certain nombre de provinces du Nord, la possibilité que, dans des zones du Centre ou du Sud, dans des provinces pachtounes, s'opèrent actuellement des ruptures avec le système taliban et des ralliements à une solution ouverte, offrent un champ nouveau à l'aide humanitaire que la France, les autres pays européens, la communauté internationale et l'ONU ont l'intention, naturellement, d'utiliser avec force. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
Vous avez parlé, monsieur le député, d'un décalage entre les progrès militaires et la situation politique. Je dois vous dire très simplement que je préfère ce décalage à un piétinement sur les deux plans, comme c'était encore le cas il y a quelques jours. Votre interprétation n'en est pas moins juste : il est nécessaire que le plan politique, en quelque sorte, rattrape le plan militaire.
La communauté internationale, à l'occasion du transfert du pouvoir à Kaboul et dans les autres villes, doit veiller à ce que ce transfert se fasse pacifiquement et dans le respect des droits de l'homme.
La communauté internationale doit définir sans attendre les formes de présence qui, à Kaboul comme ailleurs, garantiront la stabilité de la situation, la sécurité des citoyens, la paix civile et l'exercice impartial d'une autorité de transition, dans la perspective de la constitution d'une instance représentative. C'est à l'ONU naturellement de montrer le chemin à cet égard. La recherche de la solution politique doit se faire maintenant de façon accélérée, en associant toutes les composantes de la société afghane.
M. Jean-Michel Ferrand. On aura appris quelque chose aujourd'hui !
M. le Premier ministre. L'effort humanitaire va reprendre et la France s'y engage, notamment par des décisions de transferts de vivres, par des missions envoyées par les ministères des affaires étrangères et de la santé, par le déplacement qu'opérera le ministre de la coopération, par la coordination qu'a proposée le Président de la République au niveau de l'ONU.
C'est donc une situation nouvelle qui se crée. Il faut qu'elle soit porteuse d'avenir. Je crois que la libération de Kaboul conforte le choix que la France avait fait de soutenir les efforts des alliés pour écarter le régime illégitime et oppresseur des talibans. Il appartient à ces mêmes alliés et à la communauté internationale de transformer ce succès militaire en victoire politique, d'oeuvrer pour un Afghanistan pacifié, de donner une perspective à l'ensemble du peuple afghan, à ces hommes, à ces femmes longtemps otages du terrorisme. C'est leur offrir la possibilité de s'unir pour le respect de leurs droits et dans une vie qui vaille enfin la peine d'être vécue.
Si nous y parvenons, ce sera la première victoire sur le terrorisme. Il restera à en gagner d'autres à l'échelle internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Données clés

Auteur : M. Robert Gaïa

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier Ministre

Ministère répondant : Premier Ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 14 novembre 2001

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