Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition, à huis clos, de Mme Alice Rufo, directrice générale des relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées et de M. Philippe Errera, directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Mercredi
14 décembre 2022
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 29
session ordinaire de 2022-2023
Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président
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La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Thomas Gassilloud (RE). Madame la directrice générale, Monsieur le directeur général, nous avons le plaisir de vous accueillir en commission de la défense pour cette dernière session de l’année. Je vous remercie de votre présence parmi nous pour conclure un cycle d’auditions que nous avions souhaité consacrer aux enseignements du conflit ukrainien, dans la perspective d’une pré-loi de programmation militaire qui devrait être présentée dans les prochains mois. Même si nous ne devons pas être totalement focalisés sur ce qui se passe en Ukraine et réfléchir aux autres formes de conflit, ce conflit est riche d’enseignements.
Monsieur Philippe Errera, vous relevez du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, mais vous avez bien connu certains de nos commissaires, d’une part, parce que vous êtes déjà intervenu devant nous, d’autre part, parce que vous êtes une figure familière pour tous ceux qui s’intéressent aux questions de défense : vous avez été ambassadeur auprès de l’Otan, mais également directeur des relations internationales et de la stratégie au ministère des armées. Vous avez connu l’époque où cette direction générale s’appelait encore la direction des affaires stratégiques, la fameuse DAS, pour ceux qui s’en souviennent.
Madame Alice Rufo, en ce qui vous concerne, c’est la première fois que nous avons le plaisir de vous accueillir. Vous avez été nommée en tant que directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées, la DGRIS, le 1er novembre dernier, en remplacement de Mme Alice Guitton qui était intervenue à de nombreuses reprises devant notre commission. Vous étiez auparavant conseillère diplomatique adjointe chargée des affaires stratégiques et de désarmement à la Présidence de la République. Permettez-moi de vous féliciter pour votre nomination. Cette première audition en appellera sans doute d’autres, compte tenu de votre place importante au sein du ministère des armées.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, représente une évolution stratégique majeure. La revue nationale stratégique – qui doit servir, je le rappelle, de support à la future loi de programmation militaire – évoque un « glissement stratégique » et le Président de la République indiquait pour sa part que « la fracturation de l’ordre mondial est porteuse d’enjeux et de risques que nous devons traiter pour conserver notre liberté. »
Ce changement de paradigme est également perçu par nos partenaires. Nous étions un certain nombre, il y a quelque temps, à être en Allemagne où le Chancelier Scholz lui-même parle de Zeitenwende, de changement d’ère, pour qualifier le moment actuel que l’on rapproche volontiers outre-Rhin de l’effondrement du Mur de Berlin – en tout cas, d’un phénomène de même intensité. C’est pour nous aider à mieux comprendre à la fois ces fractures, ces enjeux et ces risques que nous avons souhaité vous entendre tous les deux. Nous serions intéressés de connaître votre appréciation sur l’évolution des rapports de puissance qui sortiront de cette guerre.
Nous sommes impatients de connaître vos analyses.
M. Philippe Errera, directeur général des affaires politiques et de sécurité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie, Monsieur le président, ainsi que les membres de la commission, de nous offrir cette opportunité d’être présents devant vous ensemble, avec Alice Rufo. La proximité ne tient pas seulement à nos parcours personnels, mais également à l’étroit travail réalisé entre nos deux ministères pour faire face à ces défis. J’en suis donc d’autant plus heureux.
Je tâcherai de répondre aux questions que vous avez posées en introduction en repartant de la guerre en Ukraine mais en la resituant, comme vous l’avez demandé, dans le contexte géostratégique dans lequel nous sommes et en tentant d’en tirer quelques enseignements s’agissant des priorités de notre action, française et européenne.
Le sujet le plus immédiat en tant que Français et Européens est, pour le dire de la manière la plus simple possible, le retour de la guerre en Europe. Celle-ci constitue un tournant historique et un bouleversement majeur, pour l’Ukraine au premier chef, pour la sécurité de la France et de l’Europe, et pour le monde également compte tenu de cet effet de fragmentation souligné par le Président de la République que vous avez cité.
Cette guerre russe est une guerre contre l’Ukraine, mais elle est également une guerre contre l’Europe, contre l’idée d’Europe et d’Union européenne en tant que telle. Les chars russes ne sont pas sur le territoire de l’Union européenne mais, au fond, ce qui a déclenché toute cette séquence de la part de Vladimir Poutine et de Moscou, c’était le Maïdan et la perspective du rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne et, donc, de la perte d’influence et de contrôle de la Russie.
Mais si l’on écoute les discours de Vladimir Poutine, si on lit ce qu’il a écrit, y compris ce qu’il a écrit dans ces deux projets de prétendus traités, présentés en décembre 2021, d’une part, aux États-Unis, d’autre part, à l’Otan, reprenant ses objectifs pour assurer la sécurité de la Russie, nous constatons qu’il s’agit également d’une guerre contre l’Occident, son mode de vie et ses valeurs, une guerre inspirée – et c’est bien la difficulté – d’un sentiment de revanche de perte de la Guerre froide et par la volonté de redresser les torts de l’histoire, mais d’une histoire largement revisitée, voire fantasmée. Cela montre bien que les enjeux du révisionnisme ne sont pas seulement des enjeux historiques, mais également des enjeux pour le présent et pour le futur.
Nous, Français, nous, Européens, nous, membres de l’Otan, ne sommes pas en guerre avec la Russie et ne cherchons pas à l’être. Nous ne cessons de le dire, mais elle s’imagine être en guerre contre nous. Excusez-moi d’être un peu long sur l’Ukraine, mais de ce point de vue, je pense qu’il importe d’avoir à l’esprit, en particulier lorsque l’on réfléchit au possible enclenchement d’une négociation de paix, que, pour Vladimir Poutine – tout au moins si l’on s’en tient à ce qu’il affirme –, ce qui est en jeu n’est ni le territoire de l’Ukraine stricto sensu ni la neutralité de l’Ukraine par rapport à ses alliances ou à l’Otan, mais une entreprise dont les objectifs sont plus larges, parce qu’ils ne sont bornés ni dans le temps ni dans l’espace, de redressement des torts supposés de l’histoire, de révision des acquis de la fin de la guerre froide.
En fonction de l’issue de cette guerre, sans même parler du sort des territoires et des populations ukrainiennes, l’ordre européen ne sera pas le même, et l’ordre international ne sera pas le même. En effet, si la Russie connaît un succès, l’occupation de l’Ukraine ne sera pas seule en jeu ; nous entrerons de manière encore plus forte dans une phase d’instabilité stratégique dont nous n’avons pas connu d’équivalent au moins depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Si, au contraire, la Russie ne connaît pas de succès dans son entreprise, si elle échoue, nous aurons une chance accrue de restaurer la stabilité et la sécurité sur le continent européen. Mais si l’échec de la Russie est une condition nécessaire, elle ne sera pas une condition suffisante. Il faut réfléchir aux conditions de la sécurité sur le continent européen dans un tel cas de figure.
Quel que soit le cas de figure cependant, ce serait une erreur de penser que les choses redeviendront comme avant. Cela m’amène à évoquer le contexte géostratégique dans lequel se situe cette guerre.
Les menaces qui sont posées à notre environnement de sécurité, l’imprévisibilité et l’insécurité accrues perdureront du fait de l’addition des effets de cette guerre et de tendances qui sont déjà à l’œuvre, que la revue nationale stratégique met en avant et que celle de 2017 mettait déjà en avant.
Première tendance, la Russie sortira affaiblie de cette guerre, quelle qu’en soit l’issue. Elle en sortira affaiblie politiquement, militairement, économiquement, stratégiquement. Mais une Russie affaiblie, c’est une Russie qui reste dangereuse et imprévisible à notre égard. C’est aussi une Russie affaiblie dans sa relation avec la Chine, alors que la relation avec Pékin évolue déjà de plus en plus à son désavantage.
À l’inverse, et c’est la deuxième tendance lourde qui sera affectée par l’issue de cette guerre, de manière logique, la Chine en sortira renforcée dans l’ascendant qu’elle aura sur la Russie et pourra ainsi poursuivre son ascension en faisant preuve d’une assertivité, voire d’une agressivité plus forte dans son environnement régional immédiat, mais également dans ses rapports avec l’Europe. Je pense que les leçons que l’on peut d’ores et déjà tirer de cette guerre en Ukraine doivent nous pousser à regarder en face le défi que constitue l’ascension de la Chine, qui est un défi lourd de conséquences pour nous, pour nos économies et pour notre capacité à sauvegarder nos intérêts.
Comme vous le savez, nous avons pour habitude depuis 2019 au sein de l’Union européenne d’inscrire la relation avec la Chine dans le cadre d’un triptyque : la Chine est à la fois un partenaire sur certains dossiers et sur certains enjeux globaux comme le climat ou la santé ; un concurrent, notamment en termes commerciaux ; et un rival systémique, en particulier dans la manière dont elle pense et dont elle souhaite façonner le système multilatéral. Nous devons prendre soin à ce qu’il n’y ait pas de prophétie autoréalisatrice et à ne pas nous enfermer dans une logique de confrontation. Il convient donc de rechercher, chaque fois que possible, des approches coopératives avec la Chine sur les intérêts que nous avons en commun. Nous cherchons à le faire sur la Russie, sur le dossier nucléaire iranien, sur le dossier nucléaire nord‑coréen et sur les enjeux globaux que j’ai mentionnés. Il n’empêche est que cette relation s’ancre de plus en plus dans la compétition et la rivalité.
La troisième tendance lourde, qui est à l’œuvre mais qui est peut-être masquée par le conflit et la guerre en Ukraine, est l’évolution des États-Unis.
Les États-Unis sont engagés aux côtés de l’Europe et traitent l’Europe en tant que partenaire dans la manière dont nous répondons à l’agression russe et dans le soutien à l’Ukraine. Mais les États-Unis naturellement, et légitimement du point de vue américain, se soucieront dans les années à venir avant tout de ce qu’ils perçoivent comme leurs intérêts fondamentaux qui se situent de plus en plus dans l’Indopacifique, et de moins en moins, tendanciellement, en Europe – il se trouve qu’il y a actuellement une menace existentielle et un enjeu pour l’article 5 et pour l’Otan, mais c’est un cas atypique – et surtout de moins en moins dans notre périphérie, au Sud et au Sud‑ Est, essentielle pour nos intérêts de sécurité. Si l’on pense à l’Afrique du Nord, au Golfe et au Levant, cela signifie que nous aurons à gérer de plus en plus de manière autonome, par revendication ou par nécessité, les crises dans notre périphérie – et sur lesquelles nous pourrons revenir de manière plus détaillée. Cela a, bien évidemment, un impact sur la manière dont nous pensons notre outil de défense et la loi de programmation militaire (LPM) sur laquelle reviendra Alice Rufo.
Pour terminer de tracer à grands traits cette évolution géostratégique dans laquelle se situe la guerre en Ukraine, pour ce qui est de la LPM et au-delà, nous devons prendre en compte le risque d’une Europe de plus en plus seule dans un monde de plus en plus dangereux, alors que les instances et les méthodes de régulation de la violence, telles que des institutions comme les Nations unies où les normes sont de plus en plus fragilisées de l’intérieur et attaquées de l’extérieur. Cela représente un défi majeur non seulement pour notre diplomatie, mais également pour notre outil de défense.
En mars 2020, Jean-Yves Le Drian avait été interrogé sur ce que serait le monde d’après, de l’après-covid, lorsque l’on pensait encore qu’il y aurait un avant et un après et que l’on se demandait encore si surviendrait une seconde vague. Il avait répondu qu’il serait comme le monde d’avant mais en pire. Ce que l’on perçoit au cœur de la guerre en Ukraine du monde d’après, c’est qu’il sera comme le monde d’après en bien pire.
Je ne voudrais pas toutefois que cette considération nous amène à céder au fatalisme, parce que je suis convaincu que ce que nous avons pu constater dans un tout autre domaine, dans notre réponse commune au covid, et ce à quoi nous assistons depuis le 24 février constitue, au contraire, une formidable réaction en termes d’unité, de fermeté et de rapidité au niveau de l’Europe. C’est notre capacité à tirer les leçons, autant que faire se peut, pendant que la guerre est encore en cours, de ce qui a fonctionné ou pas qui nous permettra non seulement de faire face à la suite de la guerre en Ukraine, mais également aux autres défis que j’ai mentionnés.
Nous avons réussi à faire face tout d’abord en renforçant l’unité européenne. Nous avons su répondre à l’agression russe de manière rapide et forte, notamment au niveau européen. Vladimir Poutine a renforcé le lien transatlantique. Il a renforcé l’Otan. Il a renforcé le sentiment de nation ukrainienne. Il a également renforcé l’Europe.
Si l’on pense à tous les paquets de sanctions – nous sommes sur le point d’adopter le neuvième – qui ont pour effet et objectif de freiner la machine de guerre russe, si l’on pense au soutien financier et humanitaire à l’Ukraine, si l’on pense au soutien militaire et à l’utilisation de la facilité européenne pour la paix (FEP) visant à aider un pays agressé dans une guerre, ce qui aurait été impensable pour certains de nos partenaires européens, notamment pour les partenaires neutres, on mesure le chemin parcouru. Il en va de même pour ce qui est du soutien à la formation des forces ukrainiennes.
En termes d’ajustement de la posture de l’Otan, nous avons aussi réagi rapidement mais, à plus long terme, il convient de poursuivre sur cette trajectoire, de poursuivre en particulier le renforcement de l’autonomie stratégique européenne, bien évidemment, en matière de défense, mais également, s’agissant de l’Agenda de Versailles, en matière énergétique et en termes de réduction de nos dépendances critiques vis-à-vis de pays comme la Russie et la Chine mais aussi comme les États-Unis.
Lorsque le Président de la République a porté à Washington, lors de sa visite d’État il y a deux semaines, le message très clair, très fort et très public sur l’IRA, Inflation Reduction Act, qu’il a accompagné d’une proposition de démarche et d’une explication très claire vis‑à‑vis du président Biden, c’étaient bien les intérêts européens qu’il défendait. Nous aurons à travailler à la réduction de nos dépendances critiques. Ce travail est engagé au niveau européen et au niveau national, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir en la matière.
Le deuxième volet de notre action qui requiert un investissement prioritaire est le renforcement de notre stratégie et de notre action de prévention ou de réponse face à la montée des menaces et à la diversification de leur nature : en matière cyber, en matière de résilience au niveau national, mais également en termes de coopération efficace, et non pas de concurrence institutionnelle entre l’Union européenne et l’Otan, dans le domaine de la guerre informationnelle, beaucoup plus largement que le domaine cyber stricto sensu.
Enfin, plus largement, il convient de travailler à prévenir la fracture Nord-Sud et à préserver un ordre international fondé sur les règles de droit. Cela passe par la condamnation aussi large que possible des actions russes, pour montrer que le sujet n’est pas entre l’Ukraine et la Russie, ni même entre l’Otan et la Russie, mais qu’il s’agit d’un sujet bien plus large de remise en cause des normes fondamentales de la charte des Nations unies. Nous constatons d’ailleurs que lorsque la question est posée en ces termes, nous bénéficions d’un très large soutien. Cela a été le cas pour la résolution présentée devant l’Assemblée générale des Nations unies condamnant les prétendues annexions des quatre régions ukrainiennes.
Mais il s’agit également de montrer, non pas simplement par des mots mais par des actes concrets, à l’ensemble de nos partenaires du Sud que nous sommes à leurs côtés pour lutter contre les conséquences de cette guerre décidée par Vladimir Poutine. Comme vous le savez, il s’agit de l’un des axes majeurs de l’action du Président de la République et de la ministre des affaires étrangères, porté depuis le début de la guerre, depuis les mois de mars et d’avril, en termes de sécurité énergétique et de sécurité alimentaire.
À cet égard, et pour terminer sur l’actualité, c’est à dessein qu’à la Conférence sur le soutien à l’Ukraine qui s’est tenue hier, nous avions invité des pays qui ne sont pas que des pays européens ou américains, mais également ceux du Golfe, le Japon et les Indonésiens. Non seulement nous les avons invités, mais ils sont venus ; c’est, je pense, un message extrêmement fort.
Excusez-moi d’avoir été trop long, je souhaitais seulement replacer des questions sur lesquelles Alice Rufo va intervenir dans un contexte plus large, comme vous me l’aviez demandé, Monsieur le président.
Mme Alice Rufo, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées. C’est un honneur d’être devant vous aujourd’hui pour la première fois, et j’accepte bien volontiers que ce ne soit pas la dernière. Je suis évidemment à votre disposition.
En complément de ce que vient de dire le directeur général des affaires politiques, permettez-moi de tirer un premier enseignement général de la guerre en Ukraine, qui semble évident mais mérite d’être dit : le soutien que nous apportons à l’Ukraine sur le plan militaire pour son effort de résistance est non seulement absolument décisif pour l’Ukraine, pour la sécurité européenne et pour mettre en échec la stratégie et la volonté de la Russie de déstabiliser l’Europe dans son ensemble, mais il s’inscrit aussi dans la durée. Ce soutien est essentiel : il requiert un important effort de nos armées car il en va de notre propre sécurité et de la défense des règles qui ont permis de maintenir notre sécurité et notre souveraineté sur le continent européen, et plus largement dans le monde.
Ce soutien a été engagé très rapidement, dès après le 24 février. Il passe par les cessions d’armement dans les domaines de l’artillerie, de la défense antiaérienne et de la mobilité terrestre. Ces cessions s’accompagnent d’une offre complète, intégrant les enjeux de formation et de maintien en condition opérationnelle. Comme vous le savez, elles sont discutées très directement par des canaux mis en place entre les Présidents de la République, les ministres des armées et les chefs d’état-major des armées. La France a établi une réelle relation de confiance avec l’Ukraine en la matière, qui a encore été soulignée hier et qui est régulièrement saluée par le ministre ukrainien de la défense – c’était encore le cas il y a quelques jours à peine. Cette relation de confiance a pu se construire parce que nous faisons, ce que nous disons, que nous disons aux Ukrainiens ce que nous faisons et que nous ne nous bornons pas à une stratégie d’annonce. Cette relation de confiance se construit donc sur la réalité de ce qui est fait, de ce que nous pouvons faire et sur la grande mobilisation de nos armées en soutien pour apporter les armements demandés par les Ukrainiens. Cette mobilisation de nos armées représente un effort important, un effort immédiat ; elle s’impose de fait comme une action au service de notre propre sécurité.
Ce soutien s’est matérialisé par la mise en place d’un fonds spécial de 100 millions d’euros, porté, grâce au Parlement, à 200 millions d’euros. Nous avons également assuré l’accueil de blessés ukrainiens, c’est très important pour la résilience dans l’effort de guerre ukrainien et la résistance du peuple ukrainien. N’oublions pas aussi la mobilisation concernant les crimes de guerre et les actions menées au travers de la mobilisation de la gendarmerie. L’offre de formation également très importante, désormais européenne, a déjà commencé en France puisque nous formerons 2 000 soldats ukrainiens d’ici à six mois.
Je tiens également à souligner l’effort européen inédit conduit dans le cadre de la FEP, sachant que la France finance l’enveloppe globale à hauteur de 18 %. Il est important de rappeler, car cela n’est pas suffisamment souligné, qu’à l’origine, cet instrument n’avait pas été imaginé pour la guerre en Ukraine, mais avait été conçu sur un constat : la nécessité pour l’Europe de prendre davantage ses responsabilités en matière de sécurité. Or nous constatons que cet instrument mis en place avant cette guerre a permis à l’Union européenne de se mobiliser et d’apporter un soutien dans la durée, et à certains pays de fournir rapidement et efficacement une assistance, notamment à travers la fourniture inédite de matériel létal, à l’Ukraine.
Ainsi, lorsque l’on évoque les leçons à tirer de cette guerre, et même si l’on doit examiner le champ plus large des conséquences géostratégiques à long terme, il faut également étudier ce qui se passe en ce moment, et se dire que certaines options et lignes d’action prises dans le passé se sont trouvées validées et révélées efficaces face au retour de la guerre sur notre continent.
En complément de ces premiers éléments et pour replacer cette audition dans son contexte national immédiat, j’ajouterai que nous devons avoir en tête que cet effort de soutien à l’Ukraine et à la défense de sa souveraineté et de son territoire face à l’agression russe est structurant pour les travaux que vous mènerez sur la LPM. Il nous faut tous pouvoir venir en soutien d’effort conséquent car, je le répète, il ne s’agit pas seulement de soutenir l’Ukraine, mais de soutenir des principes qui ont été violés par la Russie et sur lesquels repose également notre propre sécurité.
Ainsi, au-delà de ces leçons immédiates qui nous occupent au quotidien pour soutenir les Ukrainiens, il faut dès à présent nous interroger sur les conséquences de ce conflit pour notre stratégie de défense. Nous avons, bien évidemment, commencé à le faire.
Permettez-moi tout d’abord une remarque d’ordre général. Puisque je viens de prendre mes fonctions, je découvre de l’intérieur la façon dont travaillent les armées. L’existence d’un conflit amène tout appareil de défense, qu’il soit directement engagé – je le répète : nous ne sommes pas en guerre contre la Russie – ou non, ou qu’il se produise sur notre continent – comme c’est le cas – ou pas, à réfléchir et à tirer d’emblée des leçons. C’est le processus de « RETEX », de retour d’expérience opérationnelle, qui relève des prérogatives des armées et les conduit à réfléchir tant sur leur préparation opérationnelle que sur leurs efforts capacitaires.
Puis, il est nécessaire de tirer les leçons de niveau politico-stratégique. Cela a notamment été fait dans la revue nationale stratégique (RNS), mais c’est également un processus engagé au sein du ministère des armées. Le Ministre des armées est d’ailleurs particulièrement attentif à ce que, tout au long des travaux de préparation de la loi de programmation militaire, une réflexion constante soit menée sur l’appréciation que nous portons sur notre environnement et sur ses conséquences stratégiques, sur les positionnements et les trajectoires de nos partenaires ainsi que sur le poids relatif de nos différents leviers – car ce sont des éléments clés dans les décisions qui seront prises pour l’avenir –, et la façon de mieux les articuler afin de les utiliser de manière plus efficace et décisive.
Je ne serai pas exhaustive parce que cela a déjà été réalisé dans la revue nationale stratégique et parce que le discours du Président de la République à Toulon a posé certaines constantes pour notre stratégie de défense et présenté certaines inflexions, voire évolutions, à y apporter. J’insisterai ainsi sur cinq remarques sur les conséquences pour notre stratégie de défense.
La première concerne le rapport au temps. C’est un sujet extrêmement important car il faut s’efforcer de construire sa stratégie en fonction de notre rapport au temps, en présenter une copie globale, cohérente et temporalisée. Le temps, c’est d’abord ce qui a été décidé. À cet égard, il s’agit d’étudier si les décisions prises antérieurement, dans le cadre des revues nationales stratégiques et de la précédente LPM, sont validées sur les points essentiels. J’y reviendrai, mais je pense tout particulièrement à l’émergence de l’hybridité ou au renforcement de l’autonomie stratégique européenne, qui se trouvent confirmés par la situation que nous connaissons. Donc, dans le rapport au temps, le passé compte ; il joue sur la manière dont nous appréhendons l’avenir.
Ensuite, l’effet de myopie est un risque à ne pas négliger. Si j’ai commencé par évoquer les conséquences immédiates pour nous et l’effort que nous aurons à consentir au cours des prochains mois, c’est que nous sommes tous très mobilisés sur le soutien à l’Ukraine. Mais si nous ne tirons les conséquences qu’au regard de la situation actuelle, nous risquons de passer à côté de la ou des situations stratégiques possibles en 2030 et au‑delà. La nécessité d’anticipation est absolument clé. Là encore, il s’agit d’une question de rapport au temps.
Les surprises stratégiques et les ruptures n’ont pas manqué ces dernières années. Cela impose d’être capable non seulement d’examiner le passé en ayant un retour d’expérience clair sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, sur ce qui a été pris en compte et ce qui ne l’a pas été, mais aussi d’étudier très précisément les conséquences de la situation actuelle et d’être prêts à nous adapter face à tous les scénarios possibles, parce que nous avons bien constaté que tout peut évoluer très rapidement et qu’il faut être capable de réagir très vite. C’est une des leçons de la période récente que nous avons tous vécue.
Ma deuxième remarque, qui est essentielle pour notre stratégie de défense, est que le conflit en Ukraine a montré la centralité de la dissuasion nucléaire. Depuis le 24 février, nous assistons de la part de la Russie à une tentative manifeste de ce que l’on appelle une sanctuarisation agressive. Très concrètement, il s’agit d’une guerre d’annexion menée sous la voute nucléaire. Nous assistons à un retour de la rhétorique nucléaire largement employée par la Russie à des fins d’intimidation et dans une volonté quasi explicite d’empêcher et de décourager, en faisant peur, le soutien qui est apporté à l’Ukraine pour la défense de son territoire et de sa souveraineté.
Cela va totalement à l’encontre de ce qui avait été énoncé par la Russie dans le cadre du P5, juste avant la guerre, le 3 janvier 2022, par une déclaration des chefs d’État et de Gouvernement, dans laquelle ils avaient conjointement rappelé la nature strictement défensive de leur dissuasion. C’est un point qu’il me semble nécessaire de mettre en avant et d’avoir en tête en permanence pour réfléchir à l’avenir. La dissuasion, que ce soit au niveau de la France ou au niveau de l’Alliance atlantique, a empêché l’escalade du conflit et a permis également de préserver la liberté d’action et de choix dans le soutien que nous apportons à l’Ukraine et les principes que nous défendons sur la scène internationale.
Troisième remarque en complément de ce qui a été dit : la guerre en Ukraine nous montre un élargissement du domaine de la conflictualité.
Cela a déjà été évoqué. Nous constatons dans les modalités du conflit ukrainien plusieurs éléments que vous connaissez, à savoir que le domaine cyber est clé et que le rôle joué par les capacités de cyberdéfense ukrainiennes est essentiel et a permis à l’Ukraine de déjouer depuis 2014 de nombreuses attaques dont elle était victime sur ses infrastructures critiques et ses réseaux d’information. La centralité de la cyberdéfense est donc très nette dans ce conflit.
Il est à noter plus largement, l’importance manifeste du domaine informationnel, visible en amont de la guerre comme en parallèle à sa conduite. L’influence est absolument décisive en la matière, c’est-à-dire que la lutte informationnelle d’influence est au cœur du conflit, de part et d’autre. Nous le constatons très nettement.
Le conflit en Ukraine illustre également la centralité de l’espace, et préfigure de possibles ruptures à venir dans l’utilisation et l’exploitation des satellites. Cela devra, à l’évidence, être pris en compte à l’avenir en termes d’accès à l’espace et de capacité à détecter, caractériser et attribuer les événements dans l’espace. Il conviendra en la matière de disposer d’une capacité de protection et de riposte.
Donc, pour ne prendre que ces seuls champs – le cyber, l’informationnel et l’espace – nous avons des leçons de la guerre en Ukraine très nettes à tirer pour l’avenir.
L’extension de la conflictualité dans ces domaines ainsi que dans tout ce que l’on appelle l’hybride – comme l’utilisation de l’alimentaire, de l’énergie ou d’actions de déstabilisation menées sur d’autres théâtres que sur le continent européen, dont Wagner est un parfait exemple – montre que ces formes de conflictualité qui avait déjà été relevées dans notre stratégie et prises en compte par la précédente programmation militaire, ne se substituent pas à la guerre conventionnelle brutale et traditionnelle que l’on connaît sur le continent européen, mais en fait s’y cumulent.
C’est la raison pour laquelle je parle d’une extension de la conflictualité : l’hybride vient s’ajouter au conventionnel, en parallèle à une rhétorique nucléaire qui réapparaît. Nous ne pouvons laisser l’une ou l’autre de côté et devons considérer le champ d’action global.
La quatrième remarque est le retour de la haute intensité auquel il nous faut faire face.
L’action menée par la Russie, qui correspond à la doctrine de guerre de nouvelle génération que les Russes ont énoncée en 2013, est une guerre intégrale, interétatique, sous voûte nucléaire. Le conflit met en avant tous les jours le poids des capacités de destruction. Cela valide, dans notre stratégie de défense, la nécessité d’avoir un modèle d’armée complet qui nous permette d’agir pour notre défense et la défense collective sur notre continent au travers des déploiements qui ont été évoqués et que nous avons menés au sein de l’Otan, mais également d’agir au-delà du continent européen. Nous constatons en outre que de nombreuses actions informationnelles russes sont largement relayées et amplifiées sur d’autres théâtres, y compris sur le continent européen. Ce constat appelle donc non seulement à avoir une capacité à faire face et à se préparer à une guerre de haute intensité, mais également à conserver une capacité d’action dans d’autres régions du monde pour défendre à la fois nos intérêts et notre rôle dans le monde, au sein de nos alliances et auprès de nos partenaires, mais aussi tout simplement pour maintenir des règles de droit et, face à ces puissances de déséquilibre, continuer à être une puissance qui défend des équilibres mondiaux, et s’en donner les moyens.
Ma cinquième remarque a déjà été évoquée : le champ des perceptions de la sphère informationnelle est absolument décisif dans cette guerre. Dans son discours sur la RNS prononcé à Toulon, le Président de la République a défini une fonction stratégique sur l’influence. C’est, à mon avis, sur ce point que nous devrons travailler de façon approfondie dans les prochaines semaines et les prochains mois. C’est manifeste dans la stratégie de la Russie. Force est de constater que des manipulations existent, et que le triptyque « manipulation, intoxication et subversion » se confirme. Il faut donc se préparer à intégrer cette dimension avec ambition. C’est le rôle de la fonction stratégique « influence », placée sous le pilotage du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
J’ajouterai, pour conclure car j’ai déjà été trop longue, que cette guerre montre, y compris dans le domaine informationnel et le champ des perceptions, l’importance de compléter le strict domaine des armées et de la politique de défense par un effort plus global, plus collectif et une réflexion plus large sur la défense de nos intérêts. Ce qui est porté dans le cadre de l’économie de guerre, face à la perspective de la haute intensité et face à tout ce que nous constatons dans cette guerre, est une réponse visant à renforcer l’autonomie stratégique européenne et, de manière générale, une question de résilience collective. Hier, sous l’égide du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, s’est tenue la conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine. Nous voyons combien cette capacité collective, cette force morale, est décisive dans le conflit. Ce sont des leçons que nous devons également tirer pour nous-mêmes.
M. le président Thomas Gassilloud. Merci pour vos interventions.
Nous en venons aux orateurs des groupes.
Mme Christelle D’Intorni (LR). Mon propos portera principalement sur les conséquences du conflit ukrainien et l’équilibre géopolitique en Asie.
Depuis une décennie, les États-Unis avaient fait de leur présence dans la zone asiatique une de leurs priorités afin de garantir la sécurité de leurs alliés face à la puissance montante de la Chine et aux conflits territoriaux qui se posent dans la région. Or le caractère durable du conflit ukrainien, s’il ne mobilise pas directement des soldats américains, mobilise, en revanche, d’importantes ressources, et l’aide américaine apportée à l’Ukraine pour faire face à l’invasion russe représente 52,3 milliards d’euros depuis le début du conflit. Les moyens dont disposent les États-Unis sont certes vastes, mais il peut être difficile d’être présent avec la même intensité sur plusieurs théâtres d’opérations. Par conséquent, du fait de ce soutien massif à l’Ukraine, craignez-vous un affaiblissement à venir de la présence américaine en Asie face à la Chine ?
De la même façon, j’évoquais lors d’une précédente réunion de notre commission l’important effort réalisé par la Chine d’accroissement de son arsenal nucléaire, qui a été relevé par le département de la défense américaine dans son rapport annuel au Congrès. Sans vouloir faire de parallèle faussement prophétique, en 1950, la guerre de Corée avait été déclenchée tout juste un an après que l’URSS eut disposé de l’arme nucléaire. L’invasion de la Corée du Sud ressemblait alors à une première étape de sanctuarisation agressive, c’est-à-dire à une prise de territoire par guerre conventionnelle à l’abri du feu nucléaire. Ce parallèle a été relevé par l’historien spécialiste des relations internationales, Pierre Grosser, dans une publication de l’Institut français des relations internationales (Ifri) de cet automne. Pensez-vous qu’il faille voir dans le réarmement nucléaire chinois une logique identique eu égard à leur prétention sur l’île de Taïwan ?
M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Madame Rufo, Monsieur Errera, permettez-moi de vous dire tout l’intérêt que nous avons porté à vos interventions respectives, qui ne manqueront pas de nourrir nos réflexions.
Je reviens plus précisément sur la guerre en Ukraine. Nous avons noté deux points, l’aspect militaire et l’aspect géostratégique. Sur l’aspect militaire, vous revenez sur ce qui a pu être dit jusqu’à présent dans nos différentes auditions, à savoir que cette guerre est une guerre assez conventionnelle, même si des éléments nouveaux interviennent. Vous avez insisté sur les aspects cyber, de communication stratégique et sur la centralité de l’espace, et l’une de vos phrases ne nous a pas échappé sur la possibilité de saturation ou de rupture du système satellitaire. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces enjeux ?
Vous avez réaffirmé que l’hybridité de cette guerre ne se substituait pas à la guerre conventionnelle, vous avez également rappelé le retour de la haute intensité et, dans la dernière partie de votre propos, évoqué l’influence stratégique. Mais, à dire vrai, ce conflit me semble avoir provoqué un bouleversement géopolitique assez important au niveau de l’Otan sans que cette dernière s’en trouve revigorée.
Il a notamment entraîné des prises de position vis-à-vis de la Turquie. Ainsi, les sanctions technologiques contre la Turquie ont disparu de la nouvelle loi budgétaire de défense américaine pour 2023. Quel rôle la Turquie pourrait avoir à jouer dans cet écosystème qui est en train de renaître ? Sommes‑nous assez conscients que les bouleversements du jour peuvent provoquer d’autres conflits de demain liés, par exemple, la montée en puissance de la Turquie ?
M. Frédéric Boccaletti (RN). Madame la directrice générale, Monsieur le directeur général, par la livraison de dix-huit canons Caesar, le Président de la République a souhaité franchir un nouveau pas vers la co-belligérance au détriment de la sécurité des Français. L’Ukraine est l’actuel point de cristallisation des tensions internationales et ce pays est devenu le carrefour mondial de la livraison d’armes lourdes et légères. Cela a pour conséquence, d’une part, de nourrir une guerre, d’autre part, d’éloigner la perspective d’une étude diplomatique et pacifique de la sortie de conflit – position que nous défendons au sein du groupe Rassemblement national.
Au-delà, le prélèvement de telles quantités de matériel militaire a des conséquences directes sur nos armées qui se voient privées d’outils précieux. Ces livraisons d’armes tous azimuts et sans contrôle ont également hissé l’Ukraine comme plaque tournante mondiale du trafic d’armes. Aucun contrôle sur les destinations réelles ni sur l’usage de ces armes ne peut être effectué. La prolifération de ces armes pose la question de leur avenir, une fois le conflit achevé ; de tels matériels pourraient se retrouver entre les mains d’organisations terroristes ou mafieuses. Ma question est donc simple : comment les autorités françaises s’y prennent-elles pour contrôler la destination et tracer les armes qu’elle envoie à l’Ukraine ?
M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Alors que les signaux militaires et diplomatiques étaient perceptibles, comme en témoignent les différentes manœuvres opérées par la Russie ou le renforcement du partenariat Otan-Ukraine en vue d’une future d’adhésion, la position de la France, jusqu’à la tentative de médiation de M. Macron à Moscou, est révélatrice d’un manque d’anticipation ainsi que d’une impréparation de la part du Gouvernement, voire d’une faiblesse de nos services de renseignements face à la stratégie de la Russie. Les services de renseignement américains nous avaient pourtant rapidement alertés sur la possibilité d’une attaque imminente de la Russie, en explicitant même les grandes lignes du plan qui consistait à profiter du froid hivernal pour assiéger Kiev et remplacer Zelenski afin d’instituer une marionnette du Kremlin, mais qu’importe, la France n’y a pas cru !
Cette guerre est, par ailleurs, révélatrice d’une pratique solitaire dans la conduite de la politique étrangère par le Président de la République qui s’affranchit de l’expertise pourtant utile des diplomates, des historiens ou des chercheurs, le tout pouvant se faire au détriment de la France qui se retrouve davantage isolée.
Parallèlement, l’invasion de l’Ukraine re-questionne les stratégies à l’œuvre sur le vieux continent : l’attitude de l’Allemagne qui se fixe désormais comme objectif de disposer de l’armée la plus équipée d’Europe en est la parfaite illustration. De même, les stocks d’armements des pays ayant approvisionné l’Ukraine, qui n’étaient déjà pas au niveau des objectifs fléchés, se trouvent lourdement affectés, sachant qu’un jour de guerre en Ukraine équivaudrait à un mois de conflit pendant la guerre en Afghanistan.
Enfin, ce conflit remet sur le devant de la scène l’indispensable question de la souveraineté énergétique érigée, fut un temps, comme une priorité par la France. L’Union européenne important 40 % de son gaz de la Russie, la crise énergétique se fait lourdement ressentir en France et chez nos voisins. L’invasion de l’Ukraine tend, de surcroît, à accentuer le risque environnemental en augmentant les risques d’accident nucléaire et en intensifiant le recours au charbon ainsi qu’au gaz de schiste.
Par conséquent, comment expliquez-vous le manque d’anticipation de la France dans le surgissement de ce conflit ? Quelle stratégie le Gouvernement envisage-t-il pour s’émanciper stratégiquement et militairement des intérêts énergétiques de la Russie, dont nos partenaires sont fortement dépendants ?
Mme Josy Poueyto (Dem). Madame la directrice générale, Monsieur le directeur général, notre groupe se réjouit de pouvoir vous auditionner tous deux sur les conséquences stratégiques induites par ce conflit ukrainien.
Nous le savons tous, cette guerre injustifiée et illégitime menée par la Russie contre l’Ukraine engendre d’importantes répercussions sur les marchés de l’énergie et des denrées alimentaires, et nous conduit à nous interroger sur l’avenir de nos partenariats et de nos alliances au regard des nouveaux champs de conflictualité.
Nous nous devons de nous poser des questions de plusieurs types que nous avons d’ailleurs abordées lors de notre première réunion du groupe de travail qui s’est tenue au ministère de la défense, juste de l’autre côté de la rue, il y a quelques jours, dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire. Au travers de vos propos à tous les deux, nous retrouvons bon nombre d’aspects qui ont été soulevés et discutés lors de cette réunion.
Il nous faut aujourd’hui tirer les conséquences de cette guerre en Ukraine pour la France, pour l’Europe et pour la défense de l’Otan. Pour ma part, je souhaiterais revenir sur le sujet des nouveaux champs de conflictualité que sont le cyber, la guerre informationnelle ou l’espace. Selon vous, la guerre en Ukraine nous impose-t-elle de faire évoluer notre stratégie au regard de l’apparition et de la montée en puissance de ces nouveaux champs de conflictualité ? Cela nous oblige-t-il à penser différemment nos stratégies et à prévoir de nouvelles orientations dans la prochaine loi militaire, afin de maintenir et renforcer notre autonomie et notre souveraineté dans ce contexte de forte mutation ?
De façon plus générale, quelles réponses pouvez-vous nous apporter aux interrogations qui feront nécessairement partie des enjeux de la prochaine LPM : quels partenariats en matière de défense ? Faut-il privilégier un triptyque Émirats, Inde et France ? Bref, quelles alliances, et pour quels objectifs ?
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Madame la directrice générale, Monsieur le directeur général, la guerre en Ukraine semble modifier la perception et l’organisation de l’Union européenne et accélérer une transformation de la politique européenne. Face à la Russie, une identité politique européenne semble être en train de naître. Cette évolution est attisée par les États-Unis, en particulier par le président Joe Biden, qui présente l’union face à la Russie comme l’union sacrée des sociétés démocratiques face aux autocraties. D’une certaine manière, cela accroît la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États‑Unis. Il s’agit finalement moins d’une mobilisation générale que de la mobilisation des sociétés, de l’union de modèles qui s’affrontent, l’Ukraine étant au milieu de tout cela.
La guerre économique que se livrent l’Occident et la Russie, gaz contre sanctions économiques, est un champ de bataille tout aussi important. En parallèle, le reste du monde ne semble pas prêt à se battre auprès des Occidentaux, comme le montre le peu d’enthousiasme pour les sanctions occidentales et, dans ce contexte de la guerre en Ukraine, semble apparaître une perte de centralité de l’Europe.
Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas que la guerre en Ukraine engage une ère nouvelle dans l’histoire des conflits parce que les sociétés qui s’affrontent, Russie et Europe, loin de modérer les objectifs, les radicalisent, chaque camp cherchant une vitalité politique ?
M. Errera, directeur général des affaires politiques et de sécurité. Je m’efforcerai de répondre aux questions qui relèvent davantage du Quai d’Orsay, même si toutes engagent les deux ministères dans lesquels nous travaillons.
La question sur la posture nucléaire chinoise est une très bonne question, mais une question difficile. La montée en puissance à laquelle nous assistons depuis plusieurs décennies, qui vise à accroître les capacités nucléaires en termes quantitatifs et en termes de complémentarité des différentes composantes « mirvage » s’accompagne d’une totale opacité sur la doctrine. C’est l’un des points les plus préoccupants.
L’une des principales différences avec la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis est l’absence de doctrine explicite. Donc, en un mot, ce renforcement est bien là et modifie l’équation stratégique.
S’agissant de la Turquie, je livrerai quelques réflexions. La Turquie a une position et une politique ambiguës dans la mesure où la Turquie poursuit des objectifs en partie contradictoires. Ainsi, il est frappant de constater que la Turquie est l’un des appuis militaires assez solides de l’Ukraine. Les drones Bayraktar ont joué un rôle extrêmement important au début de la guerre. En même temps, la Turquie est l’un des pays qui contribuent le plus au contournement des sanctions visant la Russie. L’argument de nos homologues et collègues turcs du maintien du dialogue consistant à dire qu’ils ne sont pas de notre côté pour ce qui est des sanctions afin de maintenir des canaux de dialogue avec Poutine ne nous convainc pas totalement et n’épuise pas le sujet.
Je considère que cette ambiguïté au sein de l’Otan doit être explicitée, au sens où nous ne devons pas être timides pour poser les problèmes. Nous le faisons avec d’autres partenaires également. Même si la Turquie fait partie de l’Otan, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas poser les choses sur la table et poser un cadre collectif.
Il n’existe pas de solution unique ni univoque, mais la concertation étroite avec nos partenaires les plus proches au sein de l’Otan, le fait de maintenir un canal avec la Turquie – y compris pour aborder le sujet du contournement des sanctions, preuves et exemples à l’appui, ou pour discuter de sujets tels que la Syrie ou la guerre en Ukraine, est extrêmement utile. L’accord pour exporter des céréales via la voie de la mer Noire n’aurait pas été possible sans la Turquie. Il faut donc jouer avec cette ambiguïté dans le soutien à l’Ukraine, en défendant au maximum les intérêts français, européens et ceux de nos alliés.
Concernant les transferts d’armements en Ukraine et leurs diversions, je laisserai répondre Alice Rufo.
Pour ce qui est de l’anticipation, jusqu’à la fin, il était paradoxal de constater l’accumulation des moyens – de ce point de vue, il n’y a pas eu de défaut des services de renseignement – et d’être dubitatifs ou sceptiques sur l’interprétation de l’intentionnalité. Il existait un saut entre l’information et l’analyse que nous en tirions quant à l’intention politique, qui nous a menés à une conclusion différente des Américains. Contrairement à beaucoup, nous n’avons pas dit que Poutine n’attaquerait pas ; nous avons dit que nous ne le savions pas. Le plus difficile en termes de renseignement est de définir l’intention politique, sur laquelle il faut effectuer un retour d’expérience complet, ce qui est naturel et normal pour les échecs comme pour les succès.
Il me semble tout aussi important de souligner que cette interrogation que nous avions sur l’intentionnalité politique ne nous a en rien empêchés de jouer le rôle qui devrait être le nôtre pour préparer cette éventualité. Lorsque, sur notre proposition, MM. Choïgou et Labrov sont venus à Paris en novembre 2021, dans le cadre du Conseil de coopération sur les questions de sécurité (CCQS), pour une rencontre « 2+2 » avec leurs homologues français afin de pouvoir leur passer des messages dissuasifs très clairs, nous avons été à l’époque le seul et premier pays européen ou de l’Otan à dire, en privé et en public, que cette accumulation de forces sans explication était extrêmement préoccupante et qu’ils devaient savoir que s’ils portaient atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, les conséquences seraient sévères, massives et stratégiques. Nous avons donc porté un message de dissuasion, un message commun, parce que nous considérions que la possibilité que cela se produise était faible, mais que les conséquences étaient tellement majeures qu’il ne nous a pas traversé l’esprit de dire et de faire comme si cela n’aurait pas lieu. Il est important d’avoir cela présent à l’esprit par rapport à cette question extrêmement difficile du renseignement.
S’agissant de l’extension du domaine de la conflictualité, je me permettrai de laisser la parole à Alice Rufo.
Si j’ai bien compris la question de Mme Le Hénanff sur les visions sociétales, les valeurs que nous portons et notre contribution à la guerre, je répondrai que c’est en partie le cas pour la société russe, pour autant qu’il soit possible de mesurer les opinions publiques de manière objective dans un régime comme le régime russe. Nous constatons que l’opinion publique est chauffée à blanc par la propagande gouvernementale russe qui explique qu’au fond, ils rejouent la seconde guerre mondiale et défendent la mère-patrie face à l’agression : ils l’ont défendue avec succès face à l’agression nazie, ils la défendraient face à l’agression de Zelensky et de ses acolytes. Cela se joue plutôt dans ce sens. Je ne pense pas que l’opinion russe en tant que telle détermine les objectifs ni la conduite de la guerre.
Il est très intéressant de relever que, sur le sujet du nucléaire, les médias d’État usent d’une rhétorique débridée et de véritables menaces avec des images quasi hebdomadaires de New York, Paris et Londres sous un champignon nucléaire. En revanche, dans les propos des responsables, de ceux qui auraient le pouvoir d’engager une telle escalade, qu’il s’agisse de Vladimir Poutine ou de son ministre de la défense, le propos reste plus calibré et mesuré.
Pour ce qui est des États-Unis, il existe un récit américain qui présente effectivement cette guerre comme une guerre entre démocraties et pays autocratiques. L’appui de l’Iran à la Russie et ce qui se passe en Iran nourrissent ce narratif. Toutefois, pour en avoir souvent discuté avec nos collègues américains, cette présentation n’est pas totalement consensuelle. Ils voient bien que, si nous voulons véritablement montrer que ce qui est en jeu est la défense de normes internationales agréées en commun, à savoir des normes des Nations unies, il n’est pas possible de dire simplement que nous avons, de notre côté, les démocraties, contre les autocraties. Il suffit de penser à certains pays d’Asie du Sud-Est ou du Golfe dont on ne peut pas dire qu’ils soient des démocraties au sens européen du terme, qui votent avec nous les résolutions condamnant la Russie, et dont le vote est vital pour montrer que la Russie est isolée par ces actions.
Je dirais donc les choses de manière plus nuancée : nous savons qui nous sommes – des démocraties européennes – mais ce que nous défendons, ce qui est en jeu, c’est un pays agressé, bien plus que la défense de la seule démocratie en Ukraine, même si cela en est une dimension majeure.
Mme Alice Rufo, directrice générale. Sans revenir longuement sur la Chine, je relèverai un aspect qui a des conséquences sur la question de nos partenariats à l’avenir.
Vous avez évoqué les Émirats arabes unis et l’Inde et ce format trilatéral qui a été construit par le passé et que nous essayons de consolider. La position de la Chine, qui se renforce, conduit plusieurs de nos partenaires de la région à consolider eux‑mêmes leur autonomie stratégique et à ne pas vouloir, pour leur propre stratégie de sécurité et de défense, s’inscrire dans la dualité sino-américaine, mais trouver des partenaires qui leur permettent de défendre leur propre souveraineté dans la région. C’est un aspect très important, et la France est claire à ce sujet. Lorsque nous parlons d’être une puissance d’équilibres, le sujet n’est pas de se situer à équidistance, mais de trouver des modalités de partenariat qui permettent d’être des pourvoyeurs de sécurité, pour reprendre l’expression utilisée à Toulon par le Président de la République, soit, en réalité, des pourvoyeurs de souveraineté et d’autonomie stratégique pour nos partenaires. Avec la montée en puissance de la Chine, c’est un aspect qui doit être pris en compte dans l’agenda indopacifique. C’est en tenant compte de ces évolutions que nous bâtissons notre partenariat avec l’Inde, les Émirats arabes unis mais aussi avec l’Indonésie.
S’agissant de la Turquie, en complément de ce qui a déjà été dit, deux points méritent d’être explicités et portés par notre propre stratégie de défense et nos alliances. La Turquie bloque systématiquement la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN dans la totalité des instances. Cette politique s’inscrit en totale contradiction avec l’importance de cette coopération entre les deux organisations, à la fois reconnue par les États-Unis, lors de la visite d’État qui s’est déroulée début décembre, et dans les discussions post-AUKUS qui se sont tenues il y a un an entre le Président de la République et le président Biden, ainsi que démontrée concrètement par les faits, au regard de l’ampleur de l’effort pour la défense collective sur notre territoire – la réassurance – et le soutien à l’Ukraine. Cette question de la Turquie mérite d’être abordée car la coopération entre l’OTAN et l’Union européenne sera essentielle et structurante dans les années à venir.
De plus, parler de déstabilisation et de la guerre sur le continent européen, d’une part, ne doit pas nous faire oublier les autres menaces, notamment celle du terrorisme, d’autre part, doit nous amener à rester vigilants pour éviter des déstabilisations en chaîne qui porteraient atteinte à notre sécurité. Les messages que nous adressons régulièrement à la Turquie, en particulier en ce qui concerne le nord-est syrien et l’action de la coalition, sont d’une très grande clarté. Dans le dialogue que nous menons avec les États-Unis, nous explicitons également les difficultés que nous rencontrons, qui ne sont pas décorrélées des conséquences de la guerre en Ukraine et de la manière dont nous y faisons face.
S’agissant des cessions d’armements, nous avons toujours été très explicites sur le fait que nous aidions l’Ukraine à défendre sa souveraineté et sa sécurité face à une agression. Donc, il ne s’agit absolument pas d’une situation de cobelligérance : ces cessions s’inscrivent dans le cadre du contrôle des exportations d’armements. En outre, ces cessions se font dans une « intimité stratégique », si je puis dire, très forte avec les Ukrainiens : nous savons à qui nous remettons ce que nous livrons et nous accompagnons ces cessions. Nous privilégions cette capacité à maintenir ce contrôle et à minimiser l’ensemble des risques, au détriment des effets d’annonce. Nous avons été critiqués pour notre stratégie de communication mais, en réalité, il y a cette solidité dans ce que nous faisons.
Par ailleurs, nous livrons peu d’armes légères, mais des systèmes modernes qui impliquent une maintenance et un suivi dans le temps.
L’espace est, à mon sens, l’un des sujets qu’il convient de renforcer et de travailler. Il est totalement corrélé à la question de l’autonomie stratégique. La situation actuelle me semble valider le soutien que nous avons apporté au niveau européen sur les questions des constellations de connectivité sécurisée. Dans le conflit ukrainien, nous voyons bien qu’une entreprise privée bien connue joue un rôle très important – il y a une transparence totale –, et c’est un facteur à prendre en compte. Donc, oui, l’espace est un sujet à approfondir, un sujet de consolidation de notre stratégie qui aura un impact pour l’avenir sur notre souveraineté, notre autonomie stratégique et la manière dont nous anticipons notre capacité à faire face aux menaces et aux conflits.
S’agissant du manque d’anticipation, je ne résiste pas et reviens rapidement sur deux éléments.
Premièrement, en réalité, face au risque de fracturation de la totalité de l’architecture de sécurité européenne au point que nous constatons aujourd’hui, c’est-à-dire du retour de la guerre et la dénonciation par la Russie de tous les traités qui avaient permis d’établir l’ordre européen de sécurité depuis la guerre froide, nous avons essayé de rebâtir et de travailler à définir des équilibres. Le CCQS s’était réuni. Nous n’avons pas été les seuls : les Américains ont également échangé avec les Russes et, à la veille du conflit, l’Otan a eu des échanges avec la Russie. Ce n’est pas nous qui avons fait le choix de la guerre, c’est la Russie. C’est un choix néfaste et funeste, mais ce qui avait été anticipé est la nécessité de construire et de maintenir une architecture de sécurité sur le continent européen. La Russie a décidé de le détruire, mais nous, nous souhaitons que des règles et des principes soient respectés. Les discussions qui ont été menées avant – qui ont parfois fait l’objet de critiques – visaient précisément à cela.
Deuxièmement, l’agenda porté depuis de nombreuses années sur l’autonomie stratégique européenne, la souveraineté européenne et la réduction de nos dépendances stratégiques à l’égard de tous nos grands partenaires, qui a été confirmé à Versailles et qui est encore plus aigu et nécessaire dans la situation actuelle, a été anticipé.
Tels sont les fondements sur lesquels nous construisons aujourd’hui.
De même, repenser nos partenariats et nos alliances est un travail déjà engagé. Je l’ai évoqué à propos de la manière dont nous construisons notre partenariat dans la zone Indopacifique, mais cette réflexion se construit de manière globale. Nous ne sommes pas là pour aborder l’évolution importante constatée en Afrique, évoquée par le Président de la République dans son discours à Toulon, mais nos partenaires, y compris à l’Est de l’Europe, ont besoin de partenariats reposant sur des offres complètes, n’incluant pas seulement des contrats d’armement mais intégralement aussi de la formation, de l’intimité stratégique, du dialogue, dans un engagement commun et durable. Tout est à repenser.
S’agissant de l’Otan, l’Alliance s’est repensée elle-même. Elle a adopté un nouveau concept stratégique, de la même manière que l’Union européenne a adopté la boussole stratégique. Cette année, comme l’Union européenne, l’Alliance a redéfini ses objectifs et sa manière de se projeter. Dans les deux cas, la coopération entre l’Otan et l’Union européenne a été soulignée. Défendre cette coopération a été une bataille importante menée par la France. Pour ce qui concerne notre rôle au sein de l’Otan, en réassurance de nos partenaires et alliés européens, non seulement nous faisons la démonstration par la preuve au travers de nos déploiements mais, il convient, je pense, de réfléchir à des évolutions sur la manière dont nous construisons la posture de l’Otan pour les années à venir. Le Sommet de Vilnius sera fondamental de ce point de vue.
Enfin, la question de l’Occident contre le reste du monde n’est pas seulement une question majeure, démocratique et géopolitique, mais également une question de narratif et d’influence. La Russie et la Chine ont pleinement investi ce narratif. En Afrique, dans le Golfe et en Amérique latine, on entend dire que l’unique problème n’est la guerre, mais les sanctions, qui ne font que traduire la volonté des démocraties libérales d’asservir le reste du monde.
Le problème est qu’opposer ainsi des modèles est déjà mener une guerre informationnelle. L’important, y compris en termes de narratif et de capacité à faire face à la situation de manière globale, est de dire que ce qui se passe est une invasion territoriale, une annexion dans ce qu’elle a de plus brutal, et n’est pas une question de lutte de la démocratie contre le reste du monde. Si nous n’arrivons pas à corriger ce narratif, cela risque de créer des précédents et de banaliser une annexion sous parapluie nucléaire. C’est extrêmement dangereux pour tout le monde, pas seulement pour l’Europe ou pour la démocratie, mais dangereux pour tous les pays dans le monde, attachés à leur souveraineté.
M. le président Thomas Gassilloud. Merci à tous les deux de ces réponses. Nous en venons aux questions individuelles.
M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Je tiens tout d’abord à vous féliciter, Madame Rufo, pour votre nomination à la tête de la direction générale des relations internationales et de la stratégie.
Je souhaiterais ensuite revenir sur les grandes lignes de la future loi de programmation militaire qui se dessine. Les tractations avancent, les groupes de travail ont débuté, la planification du budget pour le modèle d’armée dont la France sera dotée à l’horizon 2030 progresse. Les enjeux de cette LPM dépassent cependant sa seule dimension budgétaire ; le retour de la guerre sur le sol européen rappelle que tout État est investi d’une mission de défense et de souveraineté, de ses citoyens et de ses valeurs.
Deux enjeux principaux retiennent mon attention : le cyber et le spatial, domaines sur lesquels insiste particulièrement la revue nationale stratégique dévoilée par le Président de la République, le 8 novembre dernier à Toulon.
Madame la directrice générale, Monsieur le directeur général, pourriez-vous revenir sur le rôle que portent vos deux directions et leur implication dans les travaux de défense ? Ma question concerne plus directement la direction générale des relations internationales et de la stratégie que celle des affaires politiques et de la sécurité : votre direction étant directement rattachée au cabinet du ministre des armées, pourriez‑vous, Madame la directrice, nous éclairer sur l’impact que pourrait avoir la future LPM sur vos travaux et votre implication ?
Quelles dispositions pourraient être prises au sein de vos directions afin d’évaluer et de poursuivre les efforts en ce qui concerne le cyber et le spatial ?
Je ne pourrais malheureusement pas attendre vos réponses, mais mes collègues se sont engagés formellement à me les transmettre.
M. José Gonzalez (RN). Au nom de mon groupe du Rassemblement national, permettez-moi tout d’abord de louer la chance qui nous honore de votre présence en ce jour et qui nous permet de vous poser des questions et, éventuellement, de nous imprégner de vos réponses même si, dans vos interventions liminaires, vous avez déjà largement répondu à nos questions.
L’attention se concentre sur les participants les plus évidents au conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie, sachant évidemment que c’est la Russie qui a agressé l’Ukraine, pour des raisons plus ou moins évidentes. Pour autant, le rôle joué, d’une part, par les pays non alignés, d’autre part, par ceux qui soutiennent le régime russe avec une prudence que vous avez relevée, tels l’Iran et la Chine, ou d’une façon très équivoque, telle la Turquie, suscite tout autant de questions d’ordre stratégique. Si certains pays choisissent leur camp, d’autres semblent préférer la neutralité. Les motivations et les prises de position des uns et des autres se distinguent selon que l’on parle de la Chine ou encore de l’Inde. Il est donc difficile de parler d’un bloc de pays non alignés homogène, et encore moins d’une doctrine unique qui guiderait l’ensemble de ces États. Si nous avons pu assister à ce phénomène durant la guerre froide face à la situation tiers‑mondiste, peut-on réellement comparer la situation actuelle à cette période passée ? Quel est le véritable rôle joué par les pays non alignés dans ce conflit ? Que devons-nous en tirer comme conséquences ?
M. Julien Rancoule (RN). Je reviendrai pour ma part sur les tensions entre la Chine et Taiwan. Quelle lecture la Chine peut-elle faire du conflit ukrainien à l’aune de sa propre politique vis-à-vis de Taïwan ? L’enlisement russe en Ukraine peut-il l’inciter à la prudence quant à ses ambitions militaires sur Taïwan ou la Chine peut-elle, au contraire, faire le constat que, dans l’ordre international actuel, envahir à grande échelle un autre territoire est à nouveau de l’ordre du possible ?
Par ailleurs, je souhaiterais connaître l’analyse de vos ministères respectifs quant aux liens que l’on peut établir entre la politique intérieure chinoise et ses projets militaires par rapport à Taïwan. Craignez-vous qu’un incident puisse provoquer une escalade dramatique pour toute la région, voire dans le monde entier ?
M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je vous remercie pour vos présentations respectives ainsi que pour vos premières réponses.
Monsieur Errera, dans vos propos liminaires, vous avez indiqué que, les prochaines crises, après celle que nous subissons actuellement, viendront du continent africain et des pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou du Levant. À quel type de crise pensez-vous : crise migratoire, énergétique, alimentaire, de l’eau, que l’on sous-estime souvent, et toute autre crise liée au réchauffement climatique, ou encore à des crises d’ordre religieux, et donc terroristes ?
L’une ou l’autre de ces crises pourrait-elle, selon vous, nous conduire à une crise politique majeure, voire pire, vers un conflit de haute intensité ?
M. Fabien Lainé (Dem). La France a été, en première ligne, victime de la désinformation russe dans le cadre de l’opération Barkhane. En effet, le groupe paramilitaire Wagner, bien connu, est allé jusqu’à nous accuser via l’application WhatsApp d’avoir enterré des corps dans un charnier au Mali. L’armée française s’est montrée offensive en diffusant les vidéos prouvant notre innocence et accusant Wagner, pris en flagrant délit. Au début du conflit en Ukraine, nous avons été particulièrement réactifs sur le volet de la désinformation, en fermant les médias propagandistes comme Russia Today et Sputnik News.
Dès le départ, le pouvoir russe n’a pas hésité à propager en masse des informations accusant l’Ukraine d’être un pays nazi. Cette rhétorique est d’ailleurs de moins en moins utilisée, preuve sans doute de son ridicule. Dans un conflit, l’information fiable est primordiale, voire vitale pour garantir l’unité d’une nation et la confiance que celle-ci peut avoir en son chef et ses armées. Quels enseignements la France peut-elle tirer de la guerre en Ukraine sur ce volet de la désinformation ? La France a-t-elle une stratégie bien définie pour lutter contre ? J’ai bien compris que c’était le cas, mais comment la prochaine loi de programmation militaire pourrait‑elle prévoir une stratégie viable sur le long terme ?
M. Philippe Errera, directeur général des affaires politiques et de sécurité. Je laisserai Alice Rufo répondre en priorité à la question de M. Cubertafon. Je souligne toutefois que, s’agissant du Quai d’Orsay, deux changements importants avaient été décidés en début d’année, qui prennent un sens particulier avec la guerre en Ukraine. D’une part, une sous-direction de la cybersécurité a été créée. Nous étions déjà actifs dans ce domaine auparavant, mais lui accorder une sous-direction en tant que telle nous avait semblé important. D’autre part, dans le domaine informationnel qui est effectivement un domaine clé, nous créons une sous-direction de la veille et de la stratégie. L’objectif principal de cette nouvelle structure, dirigée par un collègue diplomate qui vient de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CRNLT) est de structurer la détection et la riposte informationnelle immédiate en mobilisant les capacités à Paris mais également celles de l’ensemble de nos postes.
M. Gonzalez a posé une question très pertinente s’agissant des non-alignés. Certains sont tentés, en particulier à Moscou – ce qui peut paraître paradoxal étant donné la place de Moscou à l’égard du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide – d’essayer de ressusciter ce mouvement. Pour notre part, nous constatons une situation bien plus nuancée, et plus rassurante à certains égards car les non-alignés ne forment pas un bloc dans cette guerre, mais aussi plus complexe puisque cette autonomisation des acteurs fait que chacun doit être traité par rapport à ses intérêts.
Pour illustrer mon propos, l’Iran est dans une situation paradoxale. L’Iran a affiché une posture de neutralité jusqu’au transfert de drones à la Russie, Il s’agit d’une décision extrêmement grave en termes d’appui à l’effort de guerre russe, extrêmement grave compte tenu des sanctions qui pèsent sur l’Iran et interdisent de tels transferts, et extrêmement grave par rapport à la stratégie actuelle de Poutine qui est de réussir dans les villes, par rapport aux infrastructures énergétiques, ce qu’il ne réussit pas sur le champ de bataille. Toutefois, je ne pense pas que, pour l’Iran, il s’agisse d’un alignement en tant que tel sur la Russie.
La Chine est dans une posture encore différente. Elle affiche sa neutralité, une neutralité qui n’en est jamais véritablement une puisque la neutralité favorise toujours l’agresseur par rapport à l’agressé, mais le fait est que, s’agissant de ce qui pourrait réellement faire la différence pour Poutine, à savoir un appui militaire concernant en particulier les capacités dont il manque en termes d’artillerie et de munitions de précision, nous n’avons pas à ce jour constaté d’appui chinois... C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pensons qu’il est important de maintenir le contact avec Pékin, ce que nous faisons, mais aussi d’inscrire à l’agenda du Président un possible, voire probable déplacement, l’année prochaine.
J’en viens tout de suite à la question de M. Rancoule sur les enseignements que tire Pékin de cette guerre, qui a une pertinence avec la question de M. Gonzalez.
À mon avis, les Chinois sont engagés dans le même exercice de Retex que nous, et ils le font de manière globale. De mon point de vue, le calcul chinois prend en compte non seulement l’échec ou la réussite militaire russe dans le conflit ukrainien, mais aussi la réaction à laquelle la Chine devrait faire face si elle s’engageait dans une aventure à Taïwan.
Les pays non alignés ne forment pas un bloc homogène. Il est donc est d’autant plus important que, dans le cadre à la fois de nos relations bilatérales avec ces pays que nous souhaiterions voir bouger davantage vers le soutien à l’Ukraine, mais aussi dans le cadre d’instances comme le G20 ou de formats ad hoc qui ont été mentionnés par Alice Rufo et qui ne se limitent pas uniquement au domaine militaire, comme le format France-Inde-Émirats arabes unis, nous ne maintenions pas simplement un contact, mais que nous prenions véritablement en compte les intérêts de ces pays, intérêts qui sont dynamiques.
Puis, il y a la perception que l’Europe tient.
Par rapport à notre agenda plus large de défense de la sécurité énergétique et de la sécurité alimentaire, qui n’est pas simplement instrumental mais qui vise véritablement à définir ces nouveaux équilibrés, le fait que l’Inde prenne la présidence du G20 sera extrêmement important. De ce point de vue, la qualité et la densité de la relation que nous avons tissée avec l’Inde sont un véritable atout.
S’agissant de Taiwan, je répondrai en toute humilité que je ne sais pas quelles seront les conséquences que tirera Xi Jinping de la guerre en Ukraine car, pour lui comme pour nous, elle n’est pas finie, et je pense qu’il se situe vraiment du point de vue des répercussions plus globales de ce que serait une action chinoise.
Il est deux cas de figure dans lesquels nous pourrions imaginer un scénario militaire sur Taïwan : celui d’une décision délibérée et de passage à l’acte – dès lors, il convient de bien faire mesurer les coûts qu’une telle décision représenterait pour la Chine ; mais également celui de l’escalade involontaire. Il importe de maintenir des canaux ouverts pour ce qui nous concerne, mais aussi, au premier chef, entre Américains et Chinois, afin d’éviter l’escalade involontaire. C’est une priorité pour Washington, et j’imagine également pour Pékin.
Le risque n’est pas exclu. Le risque principal vient du fait que la stratégie chinoise vise à faire évoluer le statu quo en augmentant l’intensité et la nature de ses exercices et de ses déploiements militaires, en diminuant sa tolérance pour un affichage de solidarité américano-taïwanais – confère ce qui s’était passé lors de la visite de Mme Pelosi – et en faisant évoluer peu à peu ce qui est considéré comme la norme afin que, le jour où pourrait intervenir la décision d’un passage à l’acte militaire, le coût soit moindre. C’est cette stratégie que nous devons remettre en cause, chacun parlant depuis sa place.
S’agissant des crises dans notre pourtour immédiat, hors Russie, en Afrique du Nord, Levant ou Golfe, je n’ai pas dit qu’elles seraient plus probables, même si je pense que la probabilité existe, mais que ce seraient celles face auxquelles nous nous retrouverions le plus seuls. Une fois que les États-Unis pourront réduire leur engagement en Europe, à nos côtés, dans la défense de l’Ukraine, leur priorité ne sera pas de réinvestir militairement le Golfe, le Sahel ou d’agir à nos côtés, mais de rattraper ce qu’ils estimeront avoir perdu comme chemin sur leur trajectoire de renforcement de leur posture face à la Chine. Ils seront peut-être là en soutien politique, et en soutien militaire pour autant qu’ils le pourront ou le souhaiteront, mais c’est nous qui nous retrouverons aux premières loges, d’autant que, ne serait-ce que par la géographie, les conséquences de ces crises se feront d’abord sentir sur l’Europe. Il nous faut intégrer cela dans la manière dont nous pensons le rôle de l’Union européenne, de l’Otan et de nos partenariats en Europe. À cet égard, la dimension franco-britannique doit être prise en compte.
J’ai utilisé le terme de non alignés de manière très générique. Malheureusement, l’ensemble des cas de figure que vous avez évoqués sont possibles, voire, pour certains, probables. Les effets de l’insécurité alimentaire en Afrique du Nord, peuvent conduire à des remises en cause internes et à des crises politiques, voire à un effondrement, qui auraient des effets migratoires majeurs.
En Syrie et en Irak, la résurgence de Daech n’est pas imminente mais ne saurait être exclue. Il pourrait y avoir un risque – qui, aujourd’hui, n’est pas avéré – d’assister, comme en 2012 et 2013, à une radicalisation du pouvoir chiite, qui permette à des mouvements djihadistes sunnites d’utiliser cet oxygène sur les flammes pour recruter et de susciter des violences sectaires qui nourriraient un projet terroriste. Nous devons l’éviter.
C’est une des raisons pour lesquelles nous tenons autant à notre relation stratégique avec l’Irak, une des raisons pour lesquelles le Président a beaucoup investi et continuera d’investir sur cette relation, et pour lesquelles nous sommes attachés à ce que le processus de Bagdad se poursuive, avec un sommet en soutien à la souveraineté irakienne qui se tiendra la semaine prochaine, non pas à Bagdad mais Amman.
À mon sens, le risque le plus élevé de tous est celui d’une crise dans le Golfe. Nous avons peu parlé du dossier nucléaire iranien mais, aujourd’hui, l’Iran est dans une triple fuite en avant : en matière de répression interne, en matière de poursuite de son programme nucléaire qui la rapproche d’une capacité nucléaire militaire, et en matière de déstabilisation externe.
Idem en termes de dérapage possible par suite de possibles actions israéliennes après l’arrivée de B. Netanyahou au pouvoir, ou de l’autonomisation de certaines milices pro‑iraniennes en Irak qui franchiraient une ligne rouge vis-à-vis des Américains.
Ce n’est pas une zone où nous sommes seuls, mais c’est une zone où il faut en permanence avoir à l’esprit ce risque de dérapage, une zone où nous devons allier une posture très ferme sur les trois fronts que j’ai mentionnés – interne, nucléaire et déstabilisation régionale –, maintenir, malgré toutes les difficultés, un canal de dialogue et favoriser un dialogue régional ; je vous renvoie à cet égard au Sommet de Bagdad II.
Mme Alice RUFO, directrice générale. Dans la continuité de la réponse qui vient de vous être apportée et pour en venir à la préparation de la LPM, nos engagements auprès de l’Irak, pour le renforcement de sa sécurité, sont absolument essentiels, tout comme les opérations et missions que nous menons, comme l’opération Agenor dont vous savez sans doute que nous souhaitons le rapprochement avec l’opération Atalante, afin de permettre le renforcement de la présence européenne dans cette zone si importante pour notre sécurité également.
Cela fait partie d’éléments d’évolution absolument clés dans un contexte dans lequel, comme cela a été dit, la responsabilité des Européens sera de plus en plus appelée à être première sur certains théâtres, tandis que les Américains confirment leur pivot asiatique. La tendance devrait nous amener, dans la construction de notre posture, à ne jamais oublier les autres dangers, à éviter tout effet de myopie, comme nous le disions en introduction.
Quant au rôle de la direction générale des relations internationales et de la stratégie, je le découvre tous les jours et j’en mesure l’ampleur. Pour ce qui est des travaux qui seront menés pour l’élaboration de la loi de programmation militaire, la direction générale a fortement contribué à la revue nationale stratégique pilotée par le SGDSN, aux côtés du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et de l’état-major des armées. Le travail fourni par les équipes a été très important et de grande qualité.
Sur ce sujet de la stratégie, la direction générale assume, outre le pilotage de l’action internationale du ministère, qui consiste notamment à mener des échanges internationaux et à construire la politique internationale aux côtés des autres entités du ministère, le pilotage des travaux de prospective stratégique et de préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ainsi que son actualisation régulière. Sa fonction en matière de stratégie de défense l’a ainsi amenée au cœur des discussions que nous avons eues pour la revue nationale stratégique et au cœur des travaux qui seront conduits par la suite pour l’élaboration de la loi de programmation militaire.
Monsieur le député, vous pourrez dire à votre collègue que je suis d’accord avec lui : la LPM dépasse largement la dimension budgétaire. L’effet militaire doit être le premier recherché et doit présider à nos travaux. C’est l’impact pour notre sécurité, notre souveraineté et notre rôle dans le monde qui doit nous guider collectivement.
Pour compléter la réponse sur les sujets cyber et spatial, que nous avons déjà évoqués, s’il est vrai que nous pouvons, au niveau de la direction générale, contribuer à la politique définie dans ce domaine, je pense que vous pourrez également revenir sur le capacitaire avec d’autres interlocuteurs du ministère. Je soulignerai toutefois deux points.
Tout d’abord, quand on évoque le cyber et le spatial, il ne faut pas non plus, dans ces espaces communs, oublier les fonds marins. Il faut vraiment avoir ces trois secteurs en tête car, dans les trois, nous assistons à une compétition, qui devient une réelle confrontation. Nous y sommes, c’est-à-dire que tout ce que nous avions anticipé, écrit et discuté, s’observe désormais.
Notre réponse s’est améliorée, notamment en cyberdéfense, tout comme notre résilience en termes d’organisation et de capacités dans le domaine spatial, mais le niveau de conflictualité augmente notablement et touche à nos intérêts critiques, nos infrastructures et notre résilience nationale. Il y a sur ce sujet une prise de conscience nette des travaux qui ont été engagés et des progrès à réaliser pour monter en puissance au niveau national mais surtout européen, ainsi que dans le cadre de nos partenariats et de nos alliances. Au-delà de l’investissement dans ces domaines, du constat que nous faisons et du maintien de nos intérêts de sécurité face à la conflictualité, il y a, je pense, également un travail de doctrine à approfondir et de régulation et de construction de normes à réaliser dans ces espaces communs qui sont devenus conflictuels.
M. le président Thomas Gassilloud. Il me reste à vous remercier pour ces réponses complémentaires qui nous éclairent utilement sur les conséquences de la guerre en Ukraine.
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La séance est levée à dix heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Martine Etienne, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. Laurent Panifous, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Julien Rancoule, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Bruno Studer
Excusés. - M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Anne Genetet, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Bastien Lachaud, Mme Murielle Lepvraud, M. Olivier Marleix, Mme Lysiane Métayer, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin