Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
–– Audition, à huis clos, de M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l’état-major des Armées, sur le retour d’expérience d’Orion.
Mercredi
7 juin 2023
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 87
session ordinaire de 2022-2023
Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président
— 1 —
La séance est ouverte à onze heures cinq.
M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir le M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l’état-major des armées, dans le cadre du cycle d’auditions que nous conduisons ce matin, consacré au retour d’expérience de l’exercice Orion.
Mon général, vous avez déjà été auditionné dans des formats plus restreints dans le cadre de missions d’information, mais c’est la première fois que nous vous recevons devant l’ensemble des commissaires de la défense.
L’exercice Orion s’est déroulé en quatre phases : une première phase de planification opérationnelle, une deuxième phase consistant en une « entrée en premier » de nos forces dans le sud-ouest de la France, une troisième phase « civilo-militaire », que nous avons évoquée ce matin avec des représentants du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et une dernière phase, qui s’est tenue de la mi-avril à début mai, sous la forme d’une opération aéroterrestre d’envergure de niveau divisionnaire, avec des alliés.
Une délégation de notre commission a eu la chance de prendre part aux journées VIP de l’exercice Orion, occasion pour les commissaires de la défense de constater de leurs propres yeux l’importante mobilisation de nos armées dans le cadre de cet exercice hors norme qui a mobilisé près de 12 000 militaires français et étrangers sur près de dix-neuf jours d’exercice.
Mon général, nous serions heureux de vous entendre sur les défis qu’a représenté cet exercice conduit en interarmées et en multinational, avec neuf de nos partenaires, pour la préparation opérationnelle de nos forces et leur interopérabilité. En particulier, pourriez-vous revenir sur les apports de la simulation et sur l’intégration des champs immatériels dans cet exercice, à travers, notamment, la prise en compte de la lutte informationnelle, mais également la création de volets dédiés au cyber et à l’espace ?
Je me plais à rappeler ce que nous disait le chef d’état-major des armées (Cema) : « Si je vous disais que tout va bien, vous penseriez, soit que je vous mens, soit que le niveau d’ambition n’était pas assez élevé. » Nous serions donc heureux que vous nous fassiez part du retour le plus transparent possible sur ce que cet exercice a montré de nos capacités et des points de progrès et d’attention à avoir dans les années qui viennent.
M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l’état-major des armées. L’idée de l’exercice Orion est née en 2019-2020 au sein de l’armée de terre, qui a estimé nécessaire de faire un test de déploiement de grande envergure. Puis l’état-major des armées se l’est approprié et il a été interarmisé, afin de lui donner une dimension multimilieux et multichamps et de tester les mécanismes d’engagement majeur dans un environnement interarmées. Fait exceptionnel, le document fixant les objectifs et les modalités de préparation de l’exercice a été validé par le chef d’état-major des armées en personne. Ce document de spécifications d’exercice compte 173 pages, ce qui illustre le niveau de détail et de préparation. Le but était de renforcer la crédibilité militaire de la France et de dissuader nos compétiteurs en montrant au travers de cet exercice la capacité des armées à conduire un engagement en haute intensité, en multimilieux et multichamps.
Trois séries d’objectifs étaient associées.
La première visait à réaliser un entraînement durci. Le cœur du sujet était d’entraîner les armées à l’hypothèse de combat de haute intensité dans une ambition de nation-cadre. Il fallait tester un certain nombre de mécanismes pour emmener des partenaires et donner corps au concept de nation-cadre à la française.
La deuxième série visait à réaliser un test de vérité. Comment l’hypothèse d’engagement majeur, présente dans nos Livres blancs depuis de nombreuses années, se traduisait-elle concrètement pour les armées ? Après une longue phase d’engagements expéditionnaires, l’hypothèse d’engagement majeur devient une option assez crédible au regard de l’actualité géostratégique en Europe.
La troisième série concernait la communication et l’influence. Dissuader nos compétiteurs et rassurer nos partenaires, implique la déclinaison d’un volet dans ce domaine.
Monsieur le président, vous avez rappelé les quatre phases de l’exercice Orion. J’insisterai sur l’originalité de la phase civilo-militaire 03. Habituellement, quand on bâtit des exercices militaires, qu’il s’agisse de séquences tactiques ou à une échelle interarmées opérative, on appréhende la dimension civilo-militaire par l’approche globale, on s’inscrit dans un ensemble diplomatique, économique, mais on ne sollicite pas des mécanismes de coopération civilo-militaire. En l’occurrence, dès la conception de l’exercice, on a estimé à juste titre qu’on ne pouvait concevoir d’engagement majeur des armées en faisant abstraction de tous les mécanismes civilo-militaires qui doivent l’accompagner, mécanismes dont on avait perdu les automatismes depuis la fin de la guerre froide. Dans le contexte actuel, il était important de réactiver ces mécanismes et de les explorer en interministériel.
Concernant le bilan global à chaud, nous sommes dans un processus de Retex très complet. Comme nous attendions beaucoup de l’exercice Orion, nous avons constitué une chaîne de retours d’expérience dense, mettant en œuvre de nombreuses équipes à tous les niveaux avec des mandats d’étude détaillés. Ces chaînes sont en train de produire un volume de résultats qui se rapproche de la production de l’Otan. Le défi est de digérer, de bien exploiter tout ce Retex, ce retour d’expérience, de le mettre en perspective des différentes cibles, afin d’en tirer la substantifique moelle.
Huit points apparaissent d’ores et déjà.
Le premier, positif, c’est que nous avons réalisé intégralement le scénario d’exercice prévu, malgré le contexte sécuritaire, malgré la guerre en Ukraine, malgré les événements au Soudan. L’opération Sagittaire a un peu perturbé la phase 4 mais, en dehors de l’annulation d’un exercice aéroporté, nous avons pu employer tous les moyens prévus. En particulier, ceux de l’armée de l’air, très mobilisés sur l’opération Sagittaire, ont été maintenus. Nous avons réalisé tout ce que nous voulions faire. Par son ampleur, moins dans les volumes que dans la complexité des mécanismes, l’exercice était clairement une première. Depuis la fin des années 1980 et la guerre froide, on n’en avait jamais réalisé de ce niveau en France.
Deuxièmement, nous avons démontré notre capacité de nation-cadre, à la fois dans la création et la conduite de l’exercice, et en accueillant un certain nombre de partenaires. En accueillant des renforts de nos partenaires au sein de nos composantes, en manifestant une interopérabilité mature avec eux, en les faisant travailler à nos côtés, nous avons démontré une capacité d’intégration, donc de nation-cadre.
Troisièmement, nous avons confirmé nos capacités d’engagement d’urgence. Nous les maîtrisions déjà, mais nous voulions les tester à une échelle supérieure, en particulier le couple porte-hélicoptères d’assaut et groupement tactique embarqué pour l’opération amphibie de la phase 2, associée à une opération aéroportée d’envergure. Tous les savoir-faire tactiques de combat pour l’entrée en premier ont été testés à l’occasion de cette phase. Nous avons eu confirmation de l’agilité de notre système d’échelon national d’urgence, singularité en Europe, qui nous permet de répondre de façon adaptée à tout type de crise.
Le quatrième point, tout aussi positif, est l’accueil très favorable de la population. Pour les déploiements terrestres en terrain libre, dans les régions de Sète et de Castres ou, pendant la phase 4, en Champagne, nous avons comptabilisé 3 000 communes potentiellement concernées, ce qui illustre l’ampleur de la manœuvre sur le territoire. Nous craignions de perturber la circulation, de créer des nuisances. La multiplication des mouvements aériens pendant les phases 2 et 4 a affecté la circulation aérienne. Il a fallu adapter des couloirs et la coopération avec la direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour assurer la fluidité d’ensemble. Tout s’est très bien passé. Nous avons reçu un accueil favorable de la population qui a compris l’intérêt des opérations et ce fut l’occasion de communiquer sur l’entraînement des armées à la haute intensité.
En interne, nous avons tiré de nombreux enseignements opérationnels, notamment en matière d’intégration multimilieux et multichamps, dimensions dans lesquelles il faut combattre. Nous y avons ajouté le spatial, le cyber, la lutte informationnelle et le champ électromagnétique, difficile à appréhender. Combiner tous les effets dans des cadres d’espace-temps resserrés nécessite un vrai savoir-faire, alors qu’il est déterminant de maîtriser ces mécanismes pour prendre l’ascendant sur l’adversaire et éviter qu’il attaque nos vulnérabilités, notamment en matière de connectivité. Ces mécanismes, nous les avons testés, rodés aux niveaux tactique et opératif. Nous avons progressé sur le plan opérationnel, notamment pour nos chaînes de commandement (C2), en particulier les composantes de milieu.
Pour ce faire, nous avons fusionné dix-sept exercices programmés, ce qui donne une idée de la complexité de l’opération. Dire aux armées : ce que vous aviez prévu de faire seuls, nous allons nous en emparer, l’agréger et tout faire ensemble, nous allons mutualiser les moyens, augmenter le champ de complexité et essayer d’être encore plus réalistes que par le passé ; ce fut un véritable défi, que nous avons relevé.
L’exercice d’emploi de la réserve a constitué également une réussite. Dans la phase 4, 8 % de l’effectif ont été réalisés à partir des réservistes opérationnels. Pour un exercice très complexe, ce volume est supérieur à ce qui a pu se faire par le passé. Nous avons associé nos réservistes à tous les niveaux. En particulier, l’emploi d’un grand nombre de ces derniers dans les structures de commandement traduit la maturité de notre système de réserve opérationnelle. Nos réservistes ne sont pas des professionnels à temps partiel mais des personnes motivées qui, sur court préavis, rejoignent les états-majors et s’intègrent immédiatement dans un environnement complexe.
L’ébauche de travaux interministériels dans le cadre de l’hypothèse d’engagement majeur (HEM), à mes yeux, l’un des acquis les plus importants de l’exercice Orion, est une première étape qui doit être prolongée. Nous avons sensibilisé les autres ministères aux mécanismes, aux attentes et aux besoins
Un autre objectif de l’exercice Orion était de donner une vision plus objective des lacunes à combler. Il s’agissait de se mettre sous tension pour faire un test de vérité et objectiver des lacunes sur lesquelles nous travaillons depuis des années, en particulier concernant les hypothèses d’engagement majeur. Nous avions, de façon théorique et abstraite, travaillé dans les états-majors sur ces hypothèses, nous les avions modélisées, nous avions regardé ce qui manquait à nos contrats opérationnels ou les difficultés que nous pourrions rencontrer ; Orion a permis de croiser ces études théoriques avec des tests de réalité. Il n’y a pas mieux que le déploiement en grandeur réelle sur le terrain pour mesurer les interactions entre les domaines du soutien, de la logistique, et de l’administration.
Cet exercice de vérité était très utile pour faire progresser nos doctrines et l’emploi de nos moyens, dans le cadre de la bascule d’une logique expéditionnaire vers une logique d’engagement majeur que nous sommes en train d’opérer. La haute intensité est bien l’un des pivots de la loi de programmation militaire. Après une période de communication, nous entrons dans le réel, nous nous y confrontons, nous essayons de modéliser la haute intensité de façon aussi réaliste que possible afin de conditionner nos unités au combat et qu’elles y soient prêtes.
Je ne détaillerai pas les bilans chiffrés. Je ne suis pas certain que les volumes de forces engagés traduisent véritablement le niveau d’ambition et le niveau d’attente. Nous avons déclaré 7 000 militaires engagés pour la phase 2 et 12 000 pour la phase 4.
M. le président Thomas Gassilloud. Dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ?
M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l’état-major des armées. Oui.
Quand on fait des exercices de grande ampleur, le traité sur les forces conventionnelles en Europe prévoit, dessus de l’emploi de 9 000 militaires, de les déclarer, ou, au-delà de 13 000, la possibilité de les faire contrôler.
Le test grandeur nature pour éprouver nos limites et progresser ne s’est pas déroulé sans difficulté. Vous l’avez dit, Monsieur le président, si on affirmait qu’il ne manque pas un bouton de guêtre, on enverrait le pays « dans le mur » comme par le passé. Au contraire, regardons objectivement nos difficultés et nos marges de progrès.
Cet examen lucide de nos limites concerne en particulier le domaine des soutiens. Par un tour de force, nos services de soutien se sont livrés à l’exercice, tout en continuant à remplir leurs missions quotidiennes pour l’ensemble des armées, ce qui est remarquable. Le service du commissariat des armées (SCA) a fait, de la phase 2 à la phase 4, une bascule du sud à l’est de la France, manœuvre complexe pour ces groupements de soutien.
Félicitons-nous de cette réussite et de cette agilité, mais n’oublions pas que nous agissions à domicile, situation qui affranchit de nombre de contingences que nous aurions connues à l’étranger, notamment dans un pays à l’architecture économique dégradée.
Nous avons perçu des tensions en matière de ressources humaines, en particulier pour les métiers les plus techniques. Pendant la phase 2, nous avons déployé un dispositif de santé d’une capacité d’accueil de douze blessés en urgence absolue par jour. En haute intensité, il faut s’attendre à des taux de perte nettement plus élevés. Le service de santé des armées s’emploie, et c’est un des enjeux de la LPM, à constituer une chaîne santé et à revoir sa doctrine de soutien, puisqu’en haute intensité, le concept français de médicalisation de l’avant ne sera plus possible. Nous avons mesuré qu’on ne pouvait pas exposer nos équipes médicales, nos médecins, sur la ligne de contact, là où le taux de perte est le plus fort.
Il est difficile de simuler la transparence du champ de bataille. C’est l’un des enseignements de la guerre en Ukraine. Quand la force adverse simulée n’a pas tous les moyens de renseignement à sa disposition, parce qu’on ne peut pas les mettre à la fois à la disposition des bleus et des rouges, on manœuvre avec un sentiment de sécurité artificiel. Dans nos exercices de haute intensité, il faut mettre les gens dans une disposition d’esprit telle que, quel que soit le mouvement ou l’émission électromagnétique, la vulnérabilité soit immédiatement prise en compte, ce qui change les contraintes de manœuvre.
Pour des simulations de lutte informationnelle, des espaces de communication virtuelle ont été créés pour affronter une force adverse. Mais comment, dans ces conditions, en mesurer l’effet sur la psychologie de l’adversaire, notamment sur celle du chef adverse ? Ce qui est difficile dans la réalité, l’est plus encore en exercice. Dans le champ immatériel de la lutte informationnelle, le réalisme ne peut qu’être touché du doigt.
Dans le domaine de la guerre électronique, nous avons mesuré notre empreinte électromagnétique. En scannant la force, on voit où sont les PC et la logistique, et nous avons mesuré nos vulnérabilités. En dynamique, notamment dans une manœuvre, les forces pour la phase 4 n’étaient pas scrutées par des moyens de guerre électromagnétique qui, en temps réel, révèlent les fautes de comportement électromagnétique. Il faut aller plus loin dans le réalisme.
Nous avons confirmé des besoins capacitaires. Evalués dans les études sur l’hypothèse d’engagement majeur, ils ont alimenté nos réflexions sur la loi de programmation militaire et ont été confirmés pendant Orion. Dans le domaine du renseignement et du ciblage, nous avons l’ambition de disposer d’un système de combat constitué autour de réseaux Muti-senseurs, multi-effecteurs. Nous voudrions avoir, à tous les niveaux, stratégique, opératif et tactique, un système en constellation qui communique en permanence, capable de partager les informations pertinentes, afin d’attaquer l’adversaire dans le champ cinétique ou immatériel, de la façon la mieux adaptée possible. C’est un défi, parce qu’il faut des moyens et surtout des réseaux pour les mettre en connexion. Dans le domaine des systèmes d’information et de communication (SIC), nous avons atteint nos limites. Nous avons été très contraints, notamment dans les flux de données. On estime qu’il nous faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n’en disposons aujourd’hui pour transmettre et échanger toutes les données qui nous sont nécessaires.
La manœuvre spatiale conditionne les rapports de force des milieux physiques. Tout part de là. Dans le rapport de force général avec un adversaire, qu’il s’agisse de nos communications, de nos vulnérabilités ou du renseignement spatial, tout part du champ spatial, se décline dans les différents champs et se termine au niveau terrestre. Tout est lié. Dans le domaine spatial, il nous faut plus de capacités de communication, plus de moyens de renseignement et surtout protéger nos moyens spatiaux contre les capacités d’agression adverses, ce que prévoit la LPM.
Élément très positif, le commandement de la cyberdéfense (Comcyber) est descendu au niveau des structures de commandement opératives, à la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun. Il a fait une démonstration pédagogique de l’apport de la cyberdéfense à une force en haute intensité. Il est venu à la rencontre des composantes tactiques qui s’étaient saisies du fait cyber, sans être véritablement capables de l’utiliser. Nous avions du mal à définir ce qui relevait du niveau des compétences stratégiques du Comcyber et ce qu’une composante tactique pouvait réaliser en effets cyber à son niveau. Le fait que le Comcyber soit descendu à la rotule du contrôle d’exercice à Lyon-Mont-Verdun a permis à tout le monde en même temps de comprendre comment cela pouvait s’articuler et quelles étaient les opportunités tactiques d’action cyber. Par exemple, nous avons prévu un coup de main commando sur un radar mais, avant de le détruire, nous avons introduit un virus dans le réseau au moyen d’une clé USB. L’adversaire a cru que notre coup de main commando était destiné à détruire le radar, alors que nous avions inoculé dans son système un virus que nous avons activé lors du lancement de la grande offensive en Méditerranée et sur Castres. Ce mode d’action a permis à tout le monde de comprendre son rôle en matière de lutte informatique et au Comcyber d’expliquer la nécessité d’une cohérence stratégique.
M. le président Thomas Gassilloud. La parole est aux représentants des groupes politiques.
M. François Cormier-Bouligeon (RE), rapporteur pour avis des crédits de l’armée de terre. Orion 2023 est le premier d’une nouvelle génération d’exercices inscrivant l’entraînement des forces terrestres dans une dimension résolument interarmes, interarmées et interalliés. Le contexte géopolitique de la guerre revenue sur le sol ukrainien, ainsi que les tensions dans la zone indopacifique confirment a posteriori la pertinence de cet exercice pensé dès 2020, essentiel à la préparation opérationnelle de nos armées. Jamais un exercice d’une telle ampleur n’avait été déployé sur notre territoire depuis la fin de la guerre froide. Je tiens à saluer nos militaires qui ont œuvré au défi de planification de ce scénario ambitieux s’inscrivant dans une dimension multimilieux, multichamps, tout comme ceux qui ont participé à sa mise en œuvre.
Lors de la phase 4, organisée de la mi-avril à début mai, avec quelques rares collègues députés accueillis par les généraux Marchenoir et Cadapeaud et intégré avec Valérie Bazin-Malgras au sein d’un escadron du 12e régiment de cuirassiers, j’ai vu les forces françaises assurer le rôle de nation-cadre d’une coalition, dans cet exercice qui avait pour but d’assurer la coordination d’un système complet de combat divisionnaire.
Quelle évaluation faites-vous de l’efficacité du dispositif multinational sous commandement français et de l’interopérabilité des armées engagées dans cet exercice ? Quels enseignements en tirez-vous sur la défense européenne voulue par le Président de la République ?
Les objectifs de la préparation opérationnelle ont-ils été pleinement atteints ? Quels enseignements tirez-vous d’Orion en termes de formation et de préparation des soldats ? Les simulateurs computers assisted exercices et live exercice ont-ils été utilisés ? Quels enseignements tirez-vous de ces instruments numériques eu égard aux exercices conduits sur le terrain ? Face aux menaces hybrides dans un contexte de guerre d’influence, la France vous paraît-elle suffisamment armée et préparée ?
M. Laurent Jacobelli (RN). J’ai eu la chance d’assister à la journée VIP Day de la phase Orion 4 avec plusieurs de nos collègues de la région Grand-Est. C’était un honneur d’être au milieu de nos soldats et de nos gradés pour vivre cette expérience. Nous avons été impressionnés par la logistique mise en place et par l’organisation de cette journée, ce qui en disait long sur les capacités de nos armées de se mobiliser.
J’ai été surpris de voir nos hommes se pencher sur des cartes en papier, en raison de difficultés de réseau. Vous l’avez dit, un exercice aide à voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. C’est l’occasion de s’interroger sur le rapport, dans la stratégie militaire, entre le tout technologique et l’humain. Sans l’humain, sans la capacité des femmes et des hommes qui composent nos armées à ressortir au dernier moment une carte et à s’adapter, rien n’est possible.
Vous le savez, la LPM que nous allons, je l’espère, voter, fait un certain nombre d’anticipations en matière de ressources humaines, de stratégie, de besoins capacitaires, de matériel. Vous semblent-elles validées par cet exercice ?
Mme Martine Étienne (LFI-NUPES). La phase 4, dirigée par la France, qui visait à simuler le déploiement d’une coalition internationale sous mandat de l’ONU et de l’Otan, a réuni neuf pays dont l’Allemagne, les Émirats arabes unis, les États-Unis ou la Grèce. Comment cette coalition a-t-elle été mise en place ? Ces armées ont-elles apporté leur spécificité dans le cadre d’Orion ? Quels ont été les retours des États participants sur nos capacités de planification et de déploiement opérationnel ?
Y a-t-il eu un retour de terrain des soldats et des personnels des différents services mobilisés dans les forces d’Arnland et de Mercure ? L’exercice militaire d’Orion a-t-il montré la capacité de nos armées à s’engager sur la durée avec un haut degré d’attrition ?
De nombreux chercheurs pointent le manque de volume des armées nécessaire pour poursuivre le combat longtemps. On craint aussi que nos chaînes d’approvisionnement en pièces détachées ne suivent pas la maintenance de nos équipements dans le contexte d’un conflit de haute intensité. Avez-vous repéré ou confirmé des besoins essentiels pour garantir le caractère opérationnel de nos armées ?
M. le général de division Yves Métayer. L’interopérabilité au niveau de la division est totale avec les Belges, dans le cadre du partenariat stratégique CaMo. Elle a acquis une maturité et nous avons les mêmes matériels. L’intégration est possible à très bas niveau. Or c’est souvent dans les plus bas niveaux tactiques qu’il est difficile de faire du multinational. Il vaut mieux avoir des unités complètes, cohérentes de différentes nations plutôt que de mixer plusieurs nations au sein d’une compagnie de l’armée de terre ; nombre d’automatismes tactiques à acquérir à l’entraînement sont difficiles à créer dans le cadre de la multinationalité du dernier instant.
Autre enseignement, l’armée de terre s’entraîne selon les standards de l’Otan. Le corps de réaction rapide, les divisions s’entraînent sur des standards de l’Otan. Quand nos partenaires européens qui s’entraînent sur les mêmes standards viennent travailler avec nous, nous appliquons les mêmes règles et les mêmes façons de procéder et nous allons donc beaucoup plus vite. Nous en tirons l’enseignement qu’en matière d’entraînement et de multinationalité, le cadre de l’Alliance atlantique permet la standardisation et de fonctionner ensemble de façon plus efficace, plus rapide, ce qui nous paraît particulièrement adapté à la haute intensité.
Nous avons atteint les objectifs de préparation opérationnelle, parfois déclinés à des niveaux très bas. C’est le cas du niveau bataillonnaire de l’armée de terre, dont le poste de commandement est testé dans le cadre de l’exercice Antares. Plusieurs exercices Antares ont été réalisés pour des régiments de l’armée de terre pendant Orion. C’est un niveau que nous n’avions pas vu à l’état-major des armées, et cela veut dire que l’armée de terre y a trouvé son compte. Elle a également réalisé deux certifications de PC de brigade dans un cadre beaucoup plus réaliste. Au lieu d’être faites dans un certain confort, sans être perturbé par les voisins ou le dessus, elles ont eu lieu avec tous les frottements et contingences d’une opération multinationale, dans tous les milieux et champs.
Nous avons mesuré les limites de la simulation. L’exercice en grandeur réelle fait prendre contact avec des réalités à ne pas perdre de vue, notamment dans le domaine des soutiens, qu’il est très difficile de simuler. En exercice sur ordinateur, on fait parfois des déplacements instantanés pour des convois simulés. Faute de temps pour déplacer une grande unité, en deux clics de souris, on la remet au bon endroit et l’exercice se poursuit. Mais dans la réalité, cela n’arrive jamais et cela peut même vous faire perdre. En revanche, pendant la phase 4, cela a permis à la division d’avoir un environnement tactique complet, en particulier avec la 34e division américaine qui a agi en simulé sur ordinateur. Elle a alimenté notre 3e division française avec tous les échanges de données, les demandes, les renforcements mutuels qui seraient ceux de la réalité, sans qu’il soit nécessaire de déployer une division américaine à côté de la nôtre. Pour les structures de commandement, la simulation offre une caisse de résonance qui hausse les standards vers la haute intensité.
Dans la phase 3, nous avons fait un grand pas en avant dans la compréhension de l’hybridité. Nous avons créé un scénario d’hybridité dérivé du thème Orion pour mettre tous les ministères en tension pour le « War Game » du 30 mars. Nous avons imaginé tout ce qui, dans le cadre d’un engagement majeur comme Orion, pourrait se produire à l’encontre de la France sur le territoire national, sur nos territoires ultramarins, voire sur une communauté française menacée dans un pays étranger, toujours par manipulation de Mercure. On a modélisé ce que pourrait être un scénario multicrises, tout à fait probable dans le cadre d’un engagement majeur. Cela a permis à l’état-major des armées de tester la robustesse de notre référentiel opérationnel, c’est-à-dire nos contrats opérationnels, en particulier ceux figurant dans le rapport annexé à la LPM, et de se demander si l’on est capable de faire face à toutes ces situations, simultanément, en engagement majeur ? C’est ainsi que nous avons appréhendé l’hybridité. Tactiquement, dans le domaine cyber, dans le domaine de la lutte informationnelle, par module, des gens ont travaillé sur un savoir-faire adapté à l’hybridité.
L’utilisation de moyens dégradés, de réseaux qui ne fonctionnent pas, révèle les limites de notre système et que l’humain est au cœur de tout. Ce n’est pas pour rien que le facteur humain est un axe de la vision stratégique de la capacité opérationnelle des armées du CEMA. Le jour où cet axe sera fragilisé, pour des raisons de recrutement, de fidélisation, de conditionnement au combat, aurait-on les meilleurs matériels du monde, qu’on n’y arriverait pas. Pour l’exercice Orion, le défi était de conditionner collectivement des citoyens français au combat de haute intensité, auquel, lors des vingt à trente premières années de leur existence, ils n’ont absolument pas été confrontés. Être capable de préparer collectivement des militaires à l’engagement de haute intensité avec sa violence, ses pertes, ses multiples contingences, est un véritable défi. C’est pourquoi nous redisons qu’à côté du conditionnement technique et tactique, le conditionnement moral est au cœur de la force de nos unités dans tous les milieux et champs. En termes de résilience, ils doivent être capables d’affronter n’importe quelle situation et de s’adapter. Si les réseaux tombent, même s’ils ont utilisé le GPS ou Waze pendant toute leur existence, ils doivent être capables de lire une carte, de situer où est le nord et de se repérer.
Nos armées se réapproprient l’utilisation de systèmes dégradés dans leur doctrine d’exercice. En mode nominal, on est très efficaces, on gagne du temps, on prend vite l’ascendant, mais soyons toujours prêts, s’il survient un pépin, provoqué par l’adversaire ou par des contingences techniques, à travailler en mode dégradé. Il faut mener les deux de front. Il ne faut pas être dépendant d’une technologie qui, au moindre grain de sable dans nos systèmes, aussi performants soient-ils, peut être défaillante. Concernant le Retex de terrain, des exercices de certifications ont été réalisés à tous les niveaux, mais il appartient à chaque armée de tirer les enseignements de l’exercice Orion. Nous avons créé une chaîne de Retex très dense, mais elle a été complétée par des évaluations que nous n’avions pas imaginées. Dix bases aériennes ont été impliquées dans l’exercice Orion. Je sais que les dix commandants de base ont été sollicités par le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) pour dire comment ils l’ont vécu, comment ils ont mobilisé leur base, comment ils ont constitué leurs équipes techniques pour réaliser les sorties opérationnelles des avions de transport ou des avions de chasse. Ils ont testé des mécanismes de réactivité après que des missions ont été déclenchées au débotté. Ils se sont testés dans des conditions plus ambitieuses que dans d’autres exercices. Le Retex est toujours collectif. Des arbitres extérieurs nous observent, mais un Retex est complet quand chacun, y compris le chef au plus bas niveau, exprime la façon dont il a vécu la mission. L’enjeu est de retricoter et de remettre l’ensemble en perspective. Il ne faut pas édulcorer les difficultés vécues par les gens sur le terrain mais les mettre en perspective.
Avec Orion, nous avons fait une guerre de haute intensité au niveau d’ambition correspondant aux capacités attendues en 2030 avec nos moyens de 2023 et nous avons éprouvé des difficultés liées à ce décalage. Toutefois, il ne s’agit pas de courir derrière un modèle, mais d’être capable de faire la guerre avec les moyens dont nous disposons aujourd’hui. Toutes les adaptations de doctrine abordées pendant l’exercice Orion visent à être capables d’opérer selon le modèle très ambitieux prévu à la terminaison de la LPM, mais s’il fallait faire la guerre ce soir avec notre échelon national d’urgence (ENU), ou dans le cadre d’un engagement majeur, nous le ferions avec ce que nous avons. On s’adapterait, on n’opérerait pas seuls mais avec des alliés avec lesquels on sait travailler.
Il est clair pour tout le monde que la haute intensité, en particulier dans le milieu terrestre mais aussi dans le milieu maritime, cloisonne. Confronté à un adversaire coriace qui perturbe vos flux logistiques, vous vous retrouvez un peu seul. Il faut donc densifier l’autonomie logistique des modules opérationnels d’un combat de haute intensité tactique. Les capacités d’emport, notamment pour l’armée de terre et les unités de contact, doivent être supérieures à celles évaluées pour nos engagements des trente dernières années. Il faut projeter vers l’avant des stocks un peu plus importants et
M. Jean-Louis Thiériot (LR). La LPM affiche l’ambition d’être une loi de programmation militaire de cohérence, visant à combler les trous capacitaires et à éviter le fonctionnement en silo. Quels trous capacitaires avez-vous identifiés et lesquels seraient à combler ?
Sur le terrain, on a évoqué la problématique de la défense sol-air (DSA) et la vulnérabilité des hélicoptères dans les opérations. Quelle est votre vision d’ensemble de la DSA ?
L’un des sujets de la LPM est la mise en œuvre de la capacité de nation-cadre corps d’armée. Comment cela a-t-il été géré dans l’exercice Orion ? Ces soutiens corps d’armée étaient-ils fournis par nos partenaires de coalition ?
Enfin, vous avez parlé du traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE). La Russie et la Biélorussie en font-elles encore partie ? Lors de leur préparation opérationnelle face à l’Ukraine, avons-nous été invités ?
M. le président Thomas Gassilloud. Je crois savoir que les Russes ont joué habilement de certaines déclarations.
M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Mon général, depuis la publication de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, en 2017, cadre de réflexion qui a jeté les bases de la dernière loi de programmation militaire, le contexte international s’est considérablement dégradé. C’est pourquoi l’état-major a décidé, dès 2020, d’engager le nouveau cycle d’exercices Orion. Le nombre de forces engagées, la durée de l’entraînement, la dimension multi-milieux ou l’intensité de l’exercice devraient éprouver nos forces et participer à la préparation de nos armées dans le cadre d’opérations dites de haute intensité.
Ces exercices et mises en situation se répartissaient en quatre phases : planification opérationnelle, entrée en premier, travaux civilo-militaires et opérations d’envergure. Laquelle de ces quatre phases constituait pour vous le premier enjeu d’Orion et laquelle constitue la plus grande satisfaction dans sa réalisation ?
L’armée française attendait beaucoup du retour d’expérience d’Orion. La réalité de la guerre est toujours sans précédent et les imprévus sont nombreux. Quel enseignement tirez-vous à la suite de la fin de la phase 4 de cet exercice pour nos armées ?
Mme Anna Pic (SOC). Avant l’examen du projet de loi de programmation militaire dont nous achevons la discussion, j’ai rédigé avec ma collègue Brigitte Liso un rapport sur la préparation opérationnelle. Quelles furent les plus grosses difficultés rencontrées par nos armées pour la réalisation de cet exercice ? Quels creux capacitaires les ont mises en difficulté ? L’exercice affichant la volonté de préparer les armées à l’engagement dans tous les milieux et champs de conflictualité, dans quelle mesure celle-ci fut elle satisfaite ?
La Revue nationale stratégique considère l’action d’influence comme une priorité. Un exercice comme Orion vise à faire un signalement stratégique à nos partenaires mais également à nos compétiteurs. Nos armées rencontrent une difficulté de fidélisation dans le secteur cyber, où le secteur privé exerce une attractivité forte. Quels apprentissages nos armées tirent-elles de cette lutte spécifique ? Comment s’assurer de la pérennité des savoir-faire acquis par ces personnels dédiés au cours de l’exercice ?
Au cours de l’examen de cette LPM, la clause de revoyure a été évoquée. Ce type d’exercice est envisagé au rythme de tous les trois ans, mais ne devrait-il pas avoir lieu de nouveau avant la formulation d’une programmation ? Ne pourrait-on évaluer plus régulièrement le franchissement des étapes nécessaires pour atteindre le niveau d’ambition de 2030, dans le cadre de la préparation sinon des lois de programmation, du moins des clauses de revoyure promises ?
M. le général de division Yves Métayer. Parmi les domaines capacitaires à renforcer, j’ai cité les capteurs de renseignements (spatial, guerre électronique), les moyens ISR et surtout les moyens de partage de tous ces flux d’information. Nous avons identifié parmi les moyens déterminants pour prendre l’ascendant des lacunes qui sont au cœur de l’ambition capacitaire de la LPM.
Il convient de poursuivre le virage des drones, en particulier pour les opérations aéroterrestres. Au regard des stratégies A2/AD de déni d’accès et d’interdiction de zone dont nous avons un important Retex en Ukraine, nous ne pourrons pas engager des hélicoptères ou des avions de transport d’assaut aussi librement que par le passé. Le drone va nous permettre, pour des manœuvres de saturation, de développer le concept de manœuvres en essaim, observé de façon embryonnaire en Ukraine. C’est une façon de saturer les défenses adverses, d’ouvrir un couloir ou de réaliser des effets qu’on ne peut développer avec les moyens classiques dont nous disposions jusqu’à présent. Il faut poursuivre le développement capacitaire des drones.
L’exercice Orion nous a fait toucher du doigt des vulnérabilités en matière de défense sol-air. Sans même avoir modélisé une force adverse qui viendrait nous agresser par ses moyens héliportés ou d’aviation de combat, nos systèmes arrière, les PC les plus lourds et les systèmes logistiques, sont très vulnérabilisés par une empreinte au sol qu’on ne peut réduire. Le nombre de containers d’un groupement de soutien divisionnaire est colossal. Malgré des doctrines visant à éparpiller et camoufler cette logistique, elle reste vulnérable et il faut à tout prix la protéger de la menace aérienne. La DSA est davantage articulée autour du contrat de protection de la dissuasion nucléaire qu’autour de la protection d’une importante force aéroterrestre d’engagement majeur. Il y a certainement des déficits capacitaires à combler. C’est valable aussi pour la défense sol-air d’accompagnement. Lorsqu’une grande unité comme la 3e division s’engage en territoire Arnlandais pour repousser la division Mercure, elle doit être protégée par une défense sol-air d’accompagnement.
Concernant l’idée de nation-cadre, nos alliés ne nous ont pas apporté de capacités de soutien en termes de corps d’armée. Nous avons fait seuls avec nos moyens. De façon un peu dégradée, le corps de réaction rapide-France (CRR-Fr) n’était pas en exercice, mais il faisait travailler la division et avait peu besoin de son environnement de soutien. Les deux régiments de transmissions qui doivent le faire, aussi bien pour la division que pour le corps, ont été mobilisés. Ils ont pu soutenir l’exercice Orion dans les limites soulignées pendant ces échanges.
La difficulté, et nous ne sommes pas les seuls en Europe à la ressentir, se trouve du côté des éléments organiques indispensables pour faire manœuvrer une division et, à l’échelon supérieur, un corps d’armée, en haute intensité. L’Otan a demandé à chaque État membre de dire ce qu’il était capable de consacrer à l’activation potentielle des plans régionaux. Il faudra engager cette réflexion avec nos partenaires allemands qui ont aussi nombre d’éléments organiques. En Europe, aucune nation ne dispose de l’intégralité des éléments organiques et de soutien pour tous les niveaux. Les seuls à l’avoir, ce sont les Américains. Dans le cadre de l’autonomie européenne, il faut poursuivre l’effort en commun pour être capables de faire face à une problématique de sécurité sur le continent européen.
M. le président Thomas Gassilloud. Personne n’a la totalité de ces moyens, mais agréger tout permettrait-il d’atteindre cette totalité ?
M. le général de division Yves Métayer. L’Otan va nous permettre de créer des modules de combat complets incluant les soutiens et les appuis nécessaires dont personne ne dispose. L’Otan nous a invités à discuter entre nous, dans le cadre du processus d’affiliation et de revenir vers lui avec des modules complets, sans les Américains, qui n’ont rien déclaré à ce stade. Les Allemands agrègent autour de la zone centre. Les Britanniques ont la joint expeditionary force (JEF), sorte d’alliance opérationnelle avec les États scandinaves et baltes. Nous, Français, sommes à 360 degrés et n’avons pas jeté notre dévolu sur une région particulière, ce qui s’explique par la position géographique de la France, à la poignée de l’éventail européen. Nos engagements opérationnels, notre façon de concevoir notre défense et notre sécurité nationale confirment ce positionnement. L’Otan nous dira, dans le courant de l’année, que, pour les plans de l’Otan, pour la défense de l’espace euro-atlantique, telle nation doit travailler avec telle nation sur la zone centre et telle autre avec telle nation sur la zone sud-est. L’Otan va jouer un rôle de régulation des partenariats stratégiques, au bénéfice des capacités européennes. Parallèlement, ces mécanismes ne sont pas encore mis en place au niveau de l’ambition de la Boussole stratégique européenne. En tout cas, nous ne le mesurons pas à l’état-major des armées.
Il m’est difficile de vous dire quelle phase était la plus intéressante.
L’EMA était très concentré sur les opérations des phases 2 et 3.
La phase 2, c’était l’interarmées 2.0, le multimilieux, multichamps pour de vrai, déployés sur le terrain. Il s’agissait de faire travailler ensemble des composantes très compétentes dans leur milieu en mutualisant les efforts, les énergies et en maximisant les effets. Nous avons théorisé l’intégration multimilieux, multichamps, qui figure dans notre concept d’emploi des forces de fin 2020. Nous voulions le tester en grandeur nature et nous l’avons bien touché du doigt.
La phase 3 visait le déclic interministériel, qui n’est qu’une première étape. Ensuite, il faudra sensibiliser les collectivités territoriales et, enfin, le citoyen. Il faudrait viser la création en France du concept de défense globale des Scandinaves. De ce point de vue, cette phase était très intéressante.
Dans la phase 4, l’armée de terre a soutenu, assez logiquement, avec l’armée de l’air, les objectifs. Était-on capable de se déployer à ce niveau d’ampleur ? La réponse est oui, avec toutes les limites soulignées. C’était très intéressant aussi.
La phase de planification, qui a duré quasiment un an, a également été très riche. En planifiant, nous avons beaucoup appris à froid sur nos doctrines de combat et notre organisation du commandement. C’est la composition des quatre phases qui fait la richesse de l’exercice Orion, en plus des Retex de chacune d’entre elles.
Outre les difficultés sur les SIC et le niveau des parcs matériels, quelles ont été les difficultés de préparation opérationnelle ? Pour constituer son PC, la 2e brigade blindée a perçu ses matériels dans vingt et une formations de l’armée de terre. C’est la réalité de notre système, fondé sur l’efficience, et un modèle ajusté pour minimiser les coûts induits et pour réaliser nos contrats opérationnels dans une logique expéditionnaire. Nous avons un système en flux et non en stock. Nous n’avons pas de matériels qui dorment dans les garages de nos unités opérationnelles. Il n’y a pas de Rafale attendant sous cocon qu’un jour, un pilote le fasse voler. Nous sommes en flux tendu. Quand nous réalisons un exercice de grande ampleur, nous nous mettons en tension et il est donc difficile de rassembler la ressource le temps de l’exercice.
Les résultats en matière de communication et de lutte informationnelle sont très difficiles à évaluer sur l’adversaire, un peu plus faciles sur nos partenaires. Ceux qui sont venus ont exprimé le satisfecit d’avoir pu s’entraîner dans des conditions très intéressantes sur l’interopérabilité. Il n’y a pas eu de bug majeur interdisant de communiquer avec une unité, aussi bien avec les hélicoptères espagnols qu’avec les Rafale indiens, venus pour la phase 4, qu’avec tous les bâtiments ayant participé à la phase 2. Nous avons eu un satisfecit de la part de l’Otan, puisque le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur - supreme allied commander Europe) en personne, a dit de l’exercice Orion à l’ensemble des nations européennes membres de l’Otan que c’était vers cela qu’il fallait aller.
Dans le domaine cyber, de façon très pédagogique, le Comcyber est descendu au niveau du contrôle d’exercice et a indiqué comment il concevait la mise en cohérence des effets cyber de lutte informatique défensive, de lutte informatique d’influence et de lutte informatique offensive, ce qui a permis à cette rotule impérative entre le stratégique et la composante tactique de bien comprendre qui fait quoi. Nous avons vraiment progressé.
Dans le domaine de la lutte informatique d’influence, l’état-major du Comcyber venu à la base de Lyon-Mont-Verdun a été un contributeur majeur de la conception de la manœuvre d’influence et de lutte informationnelle. La lutte informatique d’influence ne s’opère pas seulement sur les réseaux sociaux. Dans le monde dans lequel nous vivons, c’est un champ de bataille majeur. Le Comcyber y est rodé.
L’exercice Orion représente un chantier considérable. Nous avons commencé à le préparer en 2019-2020. Grâce aux acquis d’Orion 2023, nous irons plus vite pour la prochaine séquence, mais on a fixé un rythme triennal et prévu un exercice intermédiaire annuel de la chaîne de commandement de niveau bien moindre. En interministériel, on estime que pour scander le travail de la CIDN, il faudrait un exercice annuel. Mais il n’est pas soutenable de faire le grand exercice de déploiement en grandeur réelle à un pas inférieur à trois ans. Le prochain aura lieu en 2026.
M. le président Thomas Gassilloud. J’espère qu’on apprend aussi de nos participations à d’autres exercices multinationaux complémentaires de type Otan. Cela permet de réaliser des exercices réguliers au-delà de la récurrence des exercices menés par la France.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Orion est un exercice très attendu, nécessaire, qui accompagne un retour au tragique de l’histoire, la fermeture d’une parenthèse irénique de trente ans et permet de renouer avec une vision républicaine du lien armées-nation.
En matière de logistique, cette fonction opérationnelle oubliée, peut-on considérer le niveau de la flotte de camions tactiques comme un trou capacitaire ?
Concernant la gestion de flux, ne serait-ce que du point de vue des ressources humaines, on a constaté qu’il était difficile de gérer les dépôts de l’arrière, du milieu, de l’avant, malgré toutes les limitations de l’exercice que vous avez évoquées.
Vous l’avez dit en introduction, notre doctrine du service de santé des armées est fondée sur la projection et la médicalisation de l’avant. Les paramètres d’exercice d’Orion prévoyaient un nombre de blessés et de morts de près de dix fois inférieur à ceux que l’on trouve aujourd’hui sur des théâtres, notamment en Ukraine. Dans cette configuration, on peut imaginer que le service de santé des armées (SSA) serait submergé, notamment après la réquisition de capacités hospitalières civiles. Voyez-vous une évolution de la doctrine et des efforts de formation à fournir pour les personnels, en particulier les auxiliaires sanitaires ? J’ai eu quelques éléments de Retex sur les problèmes liés aux formations médicales et paramédicales et au sujet des super-infirmiers, qui font d’ailleurs l’objet d’un volet législatif ?
Comment réduire la fragilité des tuyaux de télécoms ? Faut-il hybrider les communications civiles et militaires pour gagner en volume, définir une nouvelle politique d’émission, qualifier le niveau des valeurs de données, savoir qui mérite des canaux sécurisés ou non ?
Comment réformer le C2 et le commandement et contrôle des opérations interarmées pour, à travers la mise en réseau des senseurs, les effecteurs et le combat collaborateurs, obtenir de meilleurs résultats ?
M. le président Thomas Gassilloud. Nous allons passer maintenant aux questions des députés.
Mme Delphine Lingemann (Dem). Général, quelles sont les principales conclusions du Retex sur l’appel aux prestataires pour la mise en œuvre de l’exercice Orion ? Quelles précautions ont été prises pour leur recrutement ? Quels types d’expertise êtes-vous allés chercher ? Quelles difficultés ont été rencontrées sur le terrain ? Quel a été le coût de ces prestataires et quel est le coût global de l’opération Orion ?
M. Michaël Taverne (RN). L’exercice Orion a démontré le caractère indispensable des communications satellitaires pour assurer la transmission des informations et des ordres au sein de nos forces armées. Le flux d’informations est très dense et l’enjeu est de nous assurer que nos satellites engagés en premier lieu, ceux des programmes Syracuse, seront capables, en cas de conflit de haute intensité, de le traiter de façon efficace, fiable, sécurisée et résiliente. Or la loi de programmation militaire a acté l’abandon de Syracuse IV C, troisième satellite Syracuse IV. À la lumière du retour d’expérience de l’exercice Orion, nos capacités satellitaires sont-elles en mesure d’assurer avec fiabilité et sur la durée d’un conflit de haute intensité la transmission des communications de nos armées ?
Mme Anne Le Hénanff (RE). Général, je voudrais remercier l’armée de terre pour son accueil, notamment le 12e RC et son chef de corps. Mes vingt-quatre heures passées nuit et jour à leurs côtés furent une expérience remarquable.
Le retour d’expérience sur la présence des équipes du Comcyber sur le terrain est-il de nature à réorienter les quelque 4 milliards d’euros de l’enveloppe destinée à la cybersécurité dans la loi de programmation militaire ?
Estimez-vous que l’interopérabilité entre les équipes cyber sur le terrain et les armes traditionnelles a bien fonctionné ou qu’il y a des enseignements particuliers à tirer de la coopération entre les équipes qui reçoivent les informations dans les véhicules blindés ou les chars et les équipes cyber qui agissent sur d’autres champs d’intervention ?
Mme Alexandra Martin (LR). Mon général, vous dites que l’humain doit être au cœur de tout. La LPM prévoit de doubler, pour les prochaines années, le nombre de réservistes, dont près d’un millier ont été engagés dans l’opération Orion. Alors qu’ils étaient destinés à sécuriser les arrières du front, les événements ont conduit les 160 membres du 24e régiment d’infanterie de Vincennes, composé de réservistes, en plein cœur du combat où ils ont participé au « nettoyage » de maisons occupées. Un exercice auquel ils n’étaient pas habitués mais qui est primordial, compte tenu de l’implication croissante des personnels de réserve au sein des armées. La préparation des réservistes à la guerre de haute intensité est un autre grand défi. Quelle expérience avez-vous tirée de ces exercices ?
M. le général de division Yves Métayer. La flotte de camions tactiques a éprouvé nos limites. Nous demandons à la chaîne de Retex de comparer ce qui a été observé avec ce qui serait nécessaire dans la réalité. Quand j’ai validé la directive administrative et logistique et les douze sous-fonctions logistiques de la direction et logistique de l’exercice Orion, j’ai insisté auprès des logisticiens sur le fait que les chaînes relatives au soutien de l’homme, devaient être déployées comme en réel. Tous les gens déployés dans l’est de la France devaient être logés et nourris, sans simulation. En revanche, pour des flux logistiques plus pondéreux, il devait y avoir des facilités, et, dans le Retex, je leur ai demandé de nous dire quel était le delta. Cela a permis de mesurer les besoins en termes de mobilisation de nos capacités en régie, ce qui était d’ailleurs l’enjeu de la phase 3. Pendant la phase 3 de septembre à mars, nous avons voulu savoir ce qu’on pourrait mobiliser dans le civil en matière de transport. Des chefs d’entreprise de compagnies de transport nous ont dit que si, jusque dans les années 1990, ils devaient rendre régulièrement un état de leur flotte et de sa disponibilité au commissariat général aux transports (Comigetra), qui le communiquait à la Défense, on ne leur demandait plus rien. Il faut réactiver ces mécanismes afin de savoir de quoi disposer dans le tissu civil, dans quelles conditions et comment y faire appel.
Le service de santé des armées représente un défi considérable en termes de moyens et de conditionnement. Dans un contexte de haute intensité, l’appui santé est d’une complexité absolue. Le SSA a engagé des réflexions sur une évolution de sa doctrine. Nous sommes prisonniers de normes considérant que tel acte ne peut être réalisé que par un médecin ou un infirmier diplômé d’État. Des nations partenaires font réaliser ces actes par des paramédics qui sont loin d’avoir le niveau de nos infirmiers diplômés d’État. Je comprends que la direction du SSA ne veuille pas dégrader un service de santé qui est certainement un des meilleurs au monde, capable de cumuler savoir-faire tactiques, intégration dans une force militaire au combat et technicité. Sur un théâtre d’opérations, il est bluffant de voir des chirurgiens des hôpitaux Percy ou Sainte-Anne, qui sont des pointures dans les blocs, armer un module de chirurgie vitale au milieu de nulle part pour sauver quelqu’un en quelques minutes. C’est la force de notre service de santé. Mais on n’est pas capables de le déployer à l’échelle d’une division. Imaginez ce que coûterait en nombre de lits dans les hôpitaux d’instruction des armées l’entretien d’autant d’équipes, qui doivent quotidiennement opérer et soigner !
Il y a un équilibre à trouver entre l’insertion du service de santé dans l’écosystème de santé publique et la spécificité qu’il doit entretenir pour accompagner les forces au combat. Il a testé sans grand résultat l’externalisation, le recrutement de médecins généralistes. Il doit conditionner ses praticiens par la formation initiale et ajouter la formation tactique militaire. Nous avons absolument besoin de ces hôpitaux d’instruction des armées qui sont l’écosystème d’entretien de cette technicité. Ils sont capables de générer des équipes mais pas le volume d’équipes nécessaire au soutien en haute intensité. Il faut donc revoir le système.
Nous avons engagé une réflexion avec le ministère de la santé pour savoir comment rendre le système civil capable de s’adapter à l’accueil de flux considérables de blessés lors d’un engagement majeur, en inversant la perspective. Aujourd’hui, la santé publique compte sur les hôpitaux d’instruction des armées pour contribuer à l’offre de soins, mais en hypothèse d’engagement majeur, non seulement elle ne peut plus compter sur les hôpitaux d’instruction des armées (HIA), mais elle doit faire tout ce que les HIA ne font pas, accueillir toute la patientèle civile qui allait dans les HIA et accueillir nos flux de blessés. Le système de santé civil doit impérativement anticiper et planifier cette situation.
En matière de télécoms et d’hybridation, nous tirons un enseignement de la guerre en Ukraine. Une division américaine qui s’entraînait en Pologne disposait d’outils crypto capables d’emprunter les flux civils en utilisant Starlink, estimant avoir un cryptage suffisamment robuste pour consentir à cette vulnérabilité. Nous avons suggéré de regarder quels sont les opérateurs en Europe, capables d’offrir ce genre de service en consentant des risques. En utilisant des canaux civils, on est beaucoup plus sujet aux interceptions, on est vulnérable à certaines perturbations, à des coupures qu’on ne maîtrise pas. Dans un système un peu « saturé » et en utilisant beaucoup de canaux, une hybridation peut être envisagée.
Nous cherchons à réformer le commandement et contrôle des opérations interarmées (C2IA) dans une logique de subsidiarité. La haute intensité produit un effet tunnel. Les composantes tactiques les plus basses se retrouvent face à un adversaire qu’elles doivent absolument vaincre pour que l’ensemble de la campagne réussisse. À l’occasion de l’exercice Orion, nous avons vu les composantes se concentrer sur leur adversaire mortel. En particulier la marine face à Mercure, en Méditerranée, où l’on avait fait venir le porte-hélicoptères amphibie (PHA) pour l’opération, Cette tension produit un effet tunnel. Concentré sur le danger mortel de l’adversaire, vous oubliez ce qui se passe à côté, derrière et au-dessus. Le rôle du commandement opératif, c’est la remise permanente en perspective et de consentir une subsidiarité. Il s’agit de dire : pendant quarante-huit, soixante-douze, ou quatre-vingt-seize heures, vous allez mener une séquence de combat très complexe, on ne vous demandera pas de comptes rendus toutes les heures, faites votre guerre, vous connaissez votre mission, faites-la et nous traiterons les résultats dans vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures.
Comme dans notre quotidien, nous avons fait appel à des prestataires pour des soutiens comme l’alimentation. Une boîte canadienne qui a l’habitude de travailler avec l’Otan a fait un travail considérable de rédaction du scénario qui aurait certainement mobilisé beaucoup de ressources de nos états-majors. Mais nous l’avons contrôlée. Nous avons injecté dans le scénario ce que nous souhaitions.
Concernant la lutte informationnelle, des boîtes civiles nous ont créé de faux espaces de réseaux sociaux dans lesquels les gens se sont battus sans créer des perturbations, sans faire apparaître sur Twitter, sans la mention « exercice », des informations inquiétantes comme celles diffusées sur les ondes de la CBS par Orson Welles, adaptant La Guerre des mondes, sur l’arrivée d’extraterrestres aux États-Unis. Dans une société surinformée, il est important de cloisonner l’espace de combat pour manœuvrer librement et nous avons besoin de prestataires extérieurs pour nous aider à le faire.
Nous n’avions pas la ressource pour faire voler des drones pour la force adverse. Une société a modélisé des capacités drones pour créer du danger.
Nous avons externalisé la communication, par l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (Ecpad), organisme remarquable dans le domaine de la communication, qui adapte des réalisations à nos besoins, ce qui serait trop coûteux à faire en régie.
Une entreprise civile a mesuré notre empreinte électromagnétique dans tous nos espaces de manœuvre.
Pour créer une opération amphibie, nous avions deux PHA et nous avons contractualisé un ferry pour avoir un volume de forces et éprouver les questions de la constitution de la force, de l’embarquement, du débarquement, de l’intégration d’un moyen civil dans une projection de force.
L’hybridation est la clef, en effet il y a une complémentarité à trouver entre les moyens souverains qui garantissent l’indépendance totale de notre système et d’autres moyens nécessaires pour transmettre un gros volume d’informations. On peut consentir des prises de risque s’agissant d’informations qui, deux heures plus tard, ne présentent plus aucun intérêt et pourraient presque être envoyées sur des réseaux non protégés comme WhatsApp. Si vous avez bougé, deux heures après, vous ne risquez rien. C’est ce que font les Ukrainiens. On apprend beaucoup de la façon dont les Ukrainiens utilisent les systèmes cellulaires.
Concernant les équipes du Comcyber sur le terrain, leur chef, qui serait mieux placé que moi pour en parler, est en train de constituer une fonction interarmées cyber, comme nous avons une fonction interarmées du renseignement ou comme nous avons constitué notre système des opérations spéciales. Il faut un commandement de cohérence qui pense la doctrine d’emploi, soit capable d’orienter les différentes composantes dans le domaine cyber et fasse ensuite appel à des effecteurs. Il en a dans la marine, dans l’armée de l’air et dans l’armée de terre. Il existe des unités spécialisées de l’armée de terre et elles vont continuer à se développer. Il n’a pas besoin de commandement direct, qui l’alourdirait sur le plan organique, mais il doit orienter ses unités pour que leur contrat opérationnel soit calibré sur ce qu’il estime nécessaire au niveau stratégique. Il y a une rencontre entre les investissements à consentir au niveau stratégique pour la création d’un commandement cyber, y compris les plus confidentiels, et des unités complémentaires sur le terrain qui font entrer quasiment dans le champ de la guerre électronique. Il peut y avoir une hybridation entre les actions cyber et les actions de guerre électronique. On peut pénétrer des réseaux adverses par la guerre électronique. Ce champ très tactique doit être laissé aux composantes d’armée. La marine s’en est emparée, il y a longtemps, l’armée de l’air et l’armée de terre également. Ils sont en train de créer des compétences tactiques redoutables. Cela doit mûrir dans le champ tactique de milieu, tandis que le Comcyber garantira la cohérence d’ensemble.
L’exercice Orion 4 nous a appris que le front peut bouger très vite, voire même ne plus exister, et l’adversaire est présent sur nos arrières. Dans la guerre de haute intensité, le plus grand danger se trouve-t-il sur la ligne des contacts de la brigade ou en zone arrière sur laquelle l’adversaire peut réaliser des frappes longue portée ou engager ses commandos ?. La notion de front devient donc relative. Quelle que soit leur spécialité – soutien, appui, combat – les unités doivent être capables de conduire des séquences de haute intensité en défensive ou en offensive. Le conditionnement au combat de nos unités est une trame commune. Les unités de soutien au Sahel, qui ont assuré, pendant des années, nos ravitaillements dans le nord du Mali, étaient les plus exposées. Chargées de ravitailler, de faire du transport logistique, elles avaient des compétences de combat mobile remarquables. La trame est commune, il n’y a plus le soldat de l’arrière et le soldat de l’avant. Il en est de même des réservistes, puisque l’exigence des standards pour nos réservistes est la même que pour les soldats d’active. Une unité de réserve n'assurera pas des missions à très haute technicité demandant des mois d’entraînement, mais elle doit être capable de riposter à une attaque. Il est d’un grand intérêt pédagogique qu’un changement de configuration du théâtre ait confronté les soldats du 24e RI à la réalité du combat de la guerre moderne.
M. le président Thomas Gassilloud. Merci, mon général.
*
* *
La séance est levée à douze heures cinquante.
*
* *
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Martine Etienne, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. David Habib, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Caroline Colombier, Mme Stéphanie Galzy, Mme Anne Genetet, M. Christian Girard, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo
Assistait également à la réunion. - M. Philippe Sorez