Compte rendu – Groupe d’amitié « France-Népal »

Audition de Son Exc. M. Gilles Bourbao, ambassadeur français au Népal

Mercredi 22 mars 2023, visioconférence

 

 

Députés présents :

Mme Graziella Melchior

Mme Véronique Riotton

Mme Sandrine Le Feur

M. Philippe Fait

M. Nicolas Forissier

 

 

Une actualité politique marquée par l'instabilité et l’émergence de nouvelles figures politiques « indépendantes »

 

M. Gilles Bourbao - La vie politique népalaise peine à se stabiliser depuis les élections générales du 20 novembre dernier. Il y a d’abord eu en mai 2022 des élections municipales qui ont consacré la victoire de la coalition au pouvoir de l’époque conduite par l’ancien Premier ministre Deuba (parti du Congrès) avec les maoïstes. Les marxistes léninistes conduits par KP Sharma Oli dans l’opposition se sont maintenus. Il y a également eu l’émergence de candidats indépendants soutenus par la jeunesse népalaise, avec notamment l’élection d’un rappeur de 30 ans à Katmandou, issu d’une caste plutôt défavorisée, Balendra Shah.

 

Puis, les élections générales se sont tenus le 20 novembre dernier. La coalition au pouvoir depuis juillet 2021 conduite par Deuba, président du parti du Congrès, avec son partenaire maoïste « Prachanda » a, à nouveau, remporté à quelques voix près la majorité à la Chambre des représentants.

 

Mais cette coalition consacrée par les suffrages populaires n’a pas tenu. Alors que le parti communiste maoïste n’a obtenu que 11 % de voix à la Chambre des représentants loin derrière le parti du Congrès (32 %), son chef, « Prachanda » a demandé à devenir Premier ministre. Pour obtenir ce poste, il a rompu l'alliance et s’est allié, le 25 décembre, avec Oli du parti marxiste-léniniste. Il a réussi à obtenir un vote de confiance à l’unanimité de la Chambre des représentants et forme un gouvernement avec une majorité de marxistes-léninistes. Mais face aux velléités de pouvoir d’Oli, Prachanda a noué un nouvel accord avec Deuba en vue de l’élection présidentielle. Deuba est parvenu ainsi à faire élire, le 9 mai 2022, son candidat grâce aux voix du parti de Prachanda.

 

Lundi 20 mars 2023, Prachanda n’obtient plus le vote de confiance des marxistes léninistes mais celui des élus du Parti du Congrès. Une nouvelle formation de gouvernement est actuellement attendue.

 

Lors des élections générales de novembre dernier, de nouveaux élus indépendants ont également émergé et se sont structurés autour du parti indépendant, le Rastriya Swatantra Party, conduit par un ancien journaliste vedette de la télévision népalaise, Rabi Lamicchane. Ce parti est devenu la quatrième force politique du pays avec environ 10 % des voix après les trois partis classiques (Parti du Congrès, marxistes léninistes et maoïstes).

 

Mme Véronique Riotton interroge monsieur l’Ambassadeur sur les réactions des citoyens et leur implication plus générale dans la vie politique. 

 

M. Gilles Bourbao - La situation n’est pas vraiment nouvelle ; la vie politique étant structurée autour des mêmes hommes et des mêmes partis depuis maintenant plus de dix ans. Les jeux de pouvoir entre les trois forces politiques principales du pays paralysent néanmoins les affaires de gouvernement ; ce qui nourrit une certaine lassitude et des frustrations au sein de la population et explique une tendance au renouvellement dans les scrutins, y compris orientée vers d’anciennes formations politiques comme les monarchistes.

 

Mme Graziella Melchior interroge monsieur l’Ambassadeur sur le contenu des programmes des trois principaux partis qui structurent la vie politique népalaise.  

 

M. Gilles Bourbao : Au-delà des luttes d’hommes et des jeux de pouvoirs, il n’y a pas de différences idéologiques fondamentales entre ces trois forces politiques. Le parti du Congrès se présente comme étant socialiste ; le parti de Oli, marxiste-léniniste ; le parti de Prachanda, maoïste. Pour ces trois partis, le rôle de l’État reste très important avec une logique de planification de l’économie. En matière de politique étrangère, il y a une recherche d’équilibre et de neutralité par rapport aux deux grandes puissances voisines, l’Inde et la Chine, et le souci de préserver l’indépendance nationale.

 

Mme Véronique Riotton - Comment caractérisez-vous les nouveaux élus indépendants et que leur manque-t-il selon vous pour s’affirmer davantage sur la scène politique nationale ?

 

M. Gilles Bourbao - Les nouveaux candidats dits « indépendants » représentent la jeunesse urbaine népalaise. Ils font campagne sur les réseaux sociaux, sont plus libéraux sur le plan économique et social et influencés par les modèles occidentaux. Ils affichent surtout un rejet de la corruption et des partis traditionnels clientélistes, et se prononcent en faveur pour un renouveau de la vie politique.

 

Toutefois, cette nouvelle force politique n’est pas encore bien structurée sur le plan idéologique. Il n’y a pas de programme politique commun entre tous ses représentants : par exemple, il n’y a pas de position commune sur la question essentielle du fédéralisme ou du centralisme dans le pays.

 

 

Une situation économique toujours fragile mais qui se redresse depuis la crise sanitaire

 

M. Gilles Bourbao ­- Le Népal demeure le deuxième pays le plus pauvre d’Asie en termes de PIB/habitant après l’Afghanistan. Il est positionné parmi les pays les moins avancés (PMA) selon la classification des Nations Unies.

 

Il a été fortement impacté par la crise sanitaire notamment du fait de la mise à l'arrêt du secteur touristique. Il y a eu des inquiétudes récentes sur les réserves de change car c’est un pays qui est très dépendant aux exportations (hydrocarbures notamment). Toutefois, la situation se redresse rapidement avec un taux de croissance de 4 à 5 % par an. La fréquentation touristique reprend, de même que la circulation des travailleurs népalais et donc les transferts financiers de l’étranger.

 

Les organes internationaux alertent toutefois sur les effets de paupérisation dus à l’inflation pour les familles les plus modestes.

 

L’office du tourisme népalais a annoncé par ailleurs récemment, par communiqué, l’obligation pour les touristes étrangers de recourir aux services d’un guide népalais pour réaliser tout trek en montagne. C’est une mesure qui répond à des objectifs de développement économique et plus officiellement, des raisons de sécurité. Mais il n’y a pas, par ailleurs, de volonté politique d’encadrer plus strictement l’attribution du statut de guide de montagne.

 

Les échanges commerciaux entre la France et le Népal restent limités et asymétriques. La balance commerciale avec la France est positive. La France exporte notamment au Népal des produits aéronautiques (hélicoptères d’Airbus, avions ATR sur les lignes domestiques…) ou encore des documents sécurisés officiels (passeports, permis de conduire…).

 

 

Projets économiques actuels impliquant la France

 

M. Gilles Bourbao - Il y a actuellement un projet d’accord entre EDF et le groupe indien GMR pour construire un barrage au Népal (pour un montant d’environ 1 milliard de dollars). Le Népal a en effet un potentiel hydraulique considérable. Le pays est quasiment autosuffisant pour sa consommation d’électricité (avec 2 gigawatts produits et un potentiel théorique de 80 gigawatts). L’Inde voisine qui produit beaucoup de son électricité à partir de charbon et souhaiterait renforcer les exportations hydro-électriques népalaises pour sa transition écologique attend beaucoup de ce partenariat. Le Népal qui craint la dépendance vis-à-vis de l’Inde reste prudent. Les négociations sont également compliquées sur la question environnementale car EDF attend des garanties et le respect des standards européens en termes de préservation de la biodiversité.

 

La banque asiatique de développement, premier bailleur de fonds au Népal notamment en matière d’infrastructures, met actuellement en place un programme ambitieux de développement des transports de passages et de marchandises au Népal. Un volet serait consacré aux téléphériques ; ce qui pourrait permettre de soutenir le projet ancien de téléphérique urbain à Katmandou, fondé sur une technologie française, même si rien n’est confirmé à ce jour.

 

 

La question tibétaine au Népal

 

M. Philippe Forissier interroge l’Ambassadeur sur les rapports des Népalais avec le Dalaï Lama et le Tibet.

 

M. Gilles Bourbao - Le Népal a longtemps été une terre d’accueil des réfugiés tibétains. Le passage de la frontière est aujourd’hui beaucoup plus difficile en raison du renforcement du contrôle aux frontières de la Chine. Le Népal par ailleurs a été soucieux de préserver de bonnes relations avec la Chine et ne s’est donc jamais opposé à la doctrine de la Chine unifiée. De ce fait, le Népal n’accorde plus le statut de réfugiés aux Tibétains et ne facilite pas leur intégration dans la société. Les Tibétains (dont la communauté est estimée à environ 10 000 personnes au Népal) restent soutenus par la communauté internationale au Népal, en particulier anglo‑saxonne.