Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique 2
Mardi 28 mai 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 58
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Jean-Marc Zulesi,
Président
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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique.
M. le président Jean-Marc Zulesi. Bonjour à tous. Monsieur le Premier président, merci d’avoir accepté notre invitation dans le cadre du rapport que la Cour des comptes a présenté en séance publique le 13 mars dernier. Ce rapport, qui porte sur l’adaptation au changement climatique, est d’une importance particulière pour notre commission. Il souligne la nécessité d’une mobilisation accrue de la communauté internationale, conformément aux accords de Paris. Deux grandes réflexions émergent de ce rapport pour répondre aux enjeux de l’adaptation des politiques publiques : un besoin accru de transparence ; une nécessité de cohérence des actions menées par la France, notamment en matière de transition écologique. Une question se pose à propos des actions qui pourraient être engagées dans le cadre du plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), que le gouvernement devrait présenter dans les semaines à venir.
Le rapport aborde également la question de la gouvernance, en particulier la coordination des interventions des entités du bloc communal. Il est essentiel de souligner le rôle des collectivités territoriales. Comment envisagez-vous leur coordination, ainsi que la place de l’État, en respectant le principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales ?
Le sujet du financement est également majeur. Le rapport aborde deux points : le mécanisme de solidarité financière pour soutenir cette adaptation ; la nécessaire création d’un fonds d’aide à la recomposition du littoral, auquel les collectivités, les entreprises et l’État pourraient contribuer. Selon les estimations de l’institut de l’économie pour le climat (I4ce), ce fonds nécessiterait environ 2,3 milliards d’euros par an. Pouvez-vous détailler le fonctionnement de ce fonds d’aide et expliquer comment il pourrait être alimenté ?
Je vous remercie pour votre action et pour votre réactivité puisqu’alors que ce rapport a été présenté le 13 mars dernier, vous êtes présents devant notre commission le 28 mai.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Nous aurions pu être beaucoup plus réactifs si vous nous aviez sollicités plus tôt mais je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui. Je comparais fréquemment devant la commission des finances et celle des affaires sociales, qui disposent d’un droit de tirage. À leur demande, nous produisons une dizaine de rapports par an. Depuis 2021 que je suis Premier président de la Cour des comptes, le rapport public est plus thématique. Nous avons choisi cette année de nous concentrer sur le thème de l’adaptation au changement climatique. Cette orientation reflète ma volonté d’« écologiser » la Cour des comptes. De plus en plus de rapports ont vocation à être produits sur ce sujet.
L’adaptation au changement climatique renvoie à l’ensemble des mesures nécessaires pour continuer à vivre de manière supportable avec un climat profondément modifié. Elle se distingue de l’atténuation, qui vise à limiter le changement climatique lui‑même. La hausse des températures est déjà en cours, comme en témoignent les années récentes, parmi les plus chaudes du siècle. Le Pnacc 3 prévoit une hausse de quatre degrés d’ici la fin du siècle. Bien qu’il ne nous appartienne pas de juger la pertinence de cette évaluation, il est préférable d’adopter une attitude prudente en espérant de bonnes surprises plutôt que l’inverse. Il s’agit donc d’une bonne base de raisonnement. Nous avons choisi de nous concentrer non pas sur l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre mais sur l’adaptation, qui impacte notre quotidien et pose de nombreux défis à l’action publique. Nous avons structuré notre rapport en seize chapitres thématiques, issus de travaux réalisés conjointement par la Cour des comptes et nos chambres régionales des comptes. Nous avons insisté sur la territorialisation et une approche transversale, ce qui correspond à la réalité nationale. Le Pnacc est complété par des stratégies sectorielles. La préparation du troisième Pnacc a débuté en 2022, avec une publication annoncée pour septembre 2024. Elle s’inscrit dans un contexte profondément renouvelé puisque le ministre de la transition écologique a appelé à se préparer à un réchauffement climatique de quatre degrés d’ici la fin du siècle.
Le défi réside dans l’absence d’un chiffrage exhaustif et cohérent, actuellement impossible à réaliser. L’I4ce a évalué le coût de 18 mesures prioritaires, mais non exhaustives, à 2,3 milliards d’euros. Le rapport Pisani-Ferry - Mahfouz évoque plutôt 3 milliards d’euros, avec quelques prudences méthodologiques. Il est également nécessaire de réfléchir secteur par secteur et d’ajouter les actions des collectivités territoriales. Nous n’avons pas prétendu adopter cette approche exhaustive.
Nous avons voulu offrir un panorama objectif et transversal de l’adaptation au changement climatique en France, avec trois angles d’attaque : les effets relatifs aux secteurs transversaux, comme le financement de l’économie, qui irrigue l’ensemble des activités et des secteurs ; l’impact sur les grandes infrastructures (équipements, villes et, plus généralement, tout ce qui a été construit par l’homme) ; l’environnement physique et biologique, soit la nature et les personnes. Ces trois approches se répartissent en seize thèmes. Les trois premiers thèmes sont de portée transversale, sur la place et le rôle de la recherche publique dans l’adaptation au changement climatique, les institutions financières et bancaires, ainsi que l’Agence française de développement (AFD) et l’adaptation des pays en développement.
La deuxième partie regroupe les enquêtes relatives aux effets du changement climatique sur le cadre de vie français et sur les grandes infrastructures. Cela inclut l’adaptation des logements, sujet fondamental, ainsi que l’adaptation des villes au changement climatique et la prise en compte de l’adaptation de la politique immobilière de l’État. À ce sujet, il est important de noter que la stratégie immobilière de l’État n’a pas encore intégré l’adaptation au changement climatique. La priorité a été accordée à l’atténuation. Sur les 300 000 bâtiments concernés, 100 000 n’ont fait l’objet d’aucun bilan. Un chapitre est dédié à l’adaptation, d’une part des centrales nucléaires et des ouvrages hydroélectriques, d’autre part des réseaux de transport et de distribution d’électricité et enfin des voies ferrées au changement climatique. Ce dernier point constitue un enjeu majeur pour le quotidien des Français, sachant que les intempéries sont responsables de 20 % des minutes perdues imputables au réseau ferré. À l’horizon 2100, les événements météorologiques pourraient causer 8 à 11 fois plus de retard.
La troisième partie concerne l’environnement naturel et ses impacts, incluant la gestion de la forêt et la prévention des catastrophes naturelles dans les territoires ultramarins. Un chapitre aborde le trait de côte, la séparation entre la mer et la terre, avec des dizaines de milliards d’euros menacés d’ici 2050. Or la connaissance du risque et son intégration dans les politiques d’aménagement restent très hétérogènes. Un chapitre est consacré à l’adaptation des cultures céréalières. Enfin, un autre chapitre, qui a suscité un certain émoi, concerne les stations de montagne face au changement climatique. Un rapport particulier a été publié à ce sujet, tant ce dernier a été impactant. Je comprends les critiques et les débats qu’il a provoqués. Il est essentiel de réfléchir à la fois à l’adaptation au changement climatique et aux impacts économiques, sans les négliger. Néanmoins, il serait irréaliste de ne pas reconnaître la gravité de ce rapport. En effet, en 2050, l’économie même des stations de montagne risque d’être profondément bouleversée, en raison de l’attrition et de la fonte des glaciers.
Le rapport va au-delà des généralités et j’insisterai sur les leçons que nous devons tirer. Premièrement, il est essentiel de mieux comprendre les effets du changement climatique, les risques auxquels nous devons nous adapter et leur ampleur. La prise de conscience de l’urgence de l’adaptation est réelle mais elle varie considérablement selon les secteurs. Pour certains domaines et acteurs, comme les gestionnaires de réseaux, cette prise de conscience remonte aux tempêtes de 1999. Pour d’autres domaines, tels que le logement, cette priorité est plus récente, voire totalement absente ou inefficace pour l’immobilier de l’État. Acquérir cette connaissance n’est pas simple. Une leçon importante que nous tirons est la nécessité d’améliorer les prévisions et les données disponibles. Sans données fiables, il est impossible d’effectuer un chiffrage global. Sans prévisions adéquates, il est impossible de conjurer certains risques climatiques. Par exemple, des progrès significatifs sont nécessaires, notamment en outre-mer, concernant les prévisions météorologiques. Il est paradoxal que celles-ci soient plus fiables en métropole qu’en outre-mer, où les risques de tempêtes, cyclones et ouragans sont pourtant bien plus élevés.
Deuxièmement, il importe d’informer les citoyens et les décideurs publics sur l’adaptation et ses enjeux. Il est essentiel de clarifier l’articulation entre adaptation et atténuation, afin que citoyens et décideurs deviennent des acteurs de ces politiques publiques, et que celles-ci soient véritablement mises en œuvre. Par exemple, le chapitre sur l’adaptation des soins aux personnes vulnérables montre combien la communication est essentielle pour prévenir les conséquences des périodes de forte chaleur. Depuis la canicule de 2003, ces épisodes se sont multipliés et entraînent toujours une mortalité accrue. Il est donc crucial de diffuser des messages adaptés via tous les supports disponibles (télévision, radio, mais aussi réseaux sociaux et téléphones portables). Informer permet d’emporter l’adhésion des citoyens et de les faire participer aux efforts d’adaptation. Prenons l’exemple de MaPrimeRénov’, un dispositif qui permet de financer l’amélioration du confort des résidents tout en créant de l’emploi en favorisant le recrutement dans les entreprises du bâtiment. Bien que perfectible, comme l’a souligné un rapport raisonnablement critique de la Cour des comptes, ce dispositif est solide et robuste et représente une voie d’avenir.
Troisièmement, la planification est majeure. La Cour des comptes relève que les objectifs d’adaptation doivent être conciliés avec ceux de nombreuses autres politiques publiques, ce qui n’est pas une tâche aisée. Par exemple, dans les stations de montagne ou les littoraux, les politiques d’adaptation doivent être combinées avec le souhait des élus et des populations de préserver le plus longtemps possible la pérennité du modèle économique, tout en le faisant évoluer. À cette fin, une planification est nécessaire. En somme, il est impératif de souligner l’importance des efforts pour convaincre de la nécessité et des bienfaits de l’adaptation, tout en effectuant une planification cohérente avec les autres politiques publiques. Cette culture de la planification et de la gestion du risque doit se diffuser. Cela concerne la coordination entre le niveau national, le Pnacc et les collectivités territoriales. Il existe plusieurs planifications et non pas une seule. Elles doivent s’articuler au mieux et être coordonnées à l’échelle appropriée. La Cour des comptes préconise notamment de mieux coordonner les politiques d’adaptation entre les entités du bloc communal. Cette recommandation s’applique à divers secteurs, comme la rénovation thermique, les bâtiments publics ou la végétalisation des espaces urbains. Enfin, dans certains secteurs relevant de sa compétence, l’État lui-même ne joue pas correctement son rôle de stratège, qui consiste à fixer des objectifs clairs et à définir une trajectoire pour les atteindre. Par exemple, il est nécessaire de sortir d’une logique de réponse au cas par cas et de construire une stratégie d’adaptation. Les gestionnaires d’infrastructures ferroviaires doivent pouvoir se référer à un niveau de résilience cible, partagé par toutes les parties prenantes, y compris les usagers. Or la définition de ce niveau acceptable d’indisponibilité du réseau relève de la responsabilité de l’État, qui ne joue pas pleinement son rôle. Il en va de même pour les objectifs d’adaptation assignés aux gestionnaires des réseaux d’électricité, qui devraient figurer de façon explicite dans les contrats de service public passés par l’État avec RTE et Enedis.
Quatrièmement, il convient de déterminer comment financer les politiques d’adaptation et leur mise en œuvre et comment assurer la qualité de la dépense publique. Les seize enquêtes que nous présentons montrent l’ampleur du défi qui nous attend. Tous les secteurs et les territoires doivent s’adapter aux effets du changement climatique. Nous avons essayé d’analyser les moyens de mettre en œuvre des politiques d’adaptation efficaces et financièrement soutenables. Avant tout, il est impératif d’éviter la mal-adaptation. Celle-ci se caractérise par une logique de court terme, des réponses dans l’urgence et des décisions qui, à long terme, vont à l’encontre de l’objectif d’adaptation. Cela revient à dépenser de l’argent public de manière inefficace. Par exemple, déployer systématiquement des outils de production de neige, parfois même à température positive, dans certaines stations de montagne à basse altitude, est une politique absurde. De même, le rechargement des plages en sable pour faire reculer le trait de côte ne fait que repousser l’échéance. Enfin, le recours excessif à la climatisation, très énergivore, pose également problème. La Cour souligne que le rôle de la recherche est absolument essentiel pour trouver des solutions adaptées, alors que les acteurs publics sont parfois démunis pour choisir les options les plus efficaces. Le rapport montre enfin que l’évaluation des coûts de l’adaptation est lacunaire, voire inexistante. Nous rappelons que l’adaptation ne doit pas nécessairement passer par de nouvelles dépenses publiques. Nous possédons une dette financière et une dette écologique et les deux sont intrinsèquement liées. Il est évident que des investissements de plusieurs dizaines, voire de centaines de milliards d’euros seront nécessaires pour assurer la transition écologique. Toutefois, si notre dette publique et la charge annuelle de cette dette sont trop élevées, nous nous privons de toute marge de manœuvre pour ces investissements, sacrifiant ainsi l’avenir au présent. Nous n’avons aucune objection à une préférence collective forte pour la dépense publique, à condition que les services publics soient correctement financés, fonctionnent efficacement, que la qualité de la dépense soit assurée et que des marges de manœuvre soient préservées pour les investissements futurs. Les décideurs doivent s’approprier les données, les outils et les solutions disponibles.
Je vous ai donc présenté très rapidement ce rapport. J’insiste sur le fait que pour nous, la transition écologique représente un véritable changement de paradigme et une modification profonde de l’analyse de la politique publique. Nous nous rencontrerons certainement à d’autres occasions. J’envisage notamment la publication d’un rapport annuel sur cette question de la transition écologique et je souhaite que toutes les chambres de la Cour et toutes les chambres régionales des comptes travaillent ensemble sur cet objectif transversal. Il ne s’agit pas d’un défi temporaire ou d’une crise passagère, mais d’une réalité permanente à laquelle nous devons nous adapter. Ce rapport démontre que la prise de conscience est en cours, même si l’adaptation est encore très lacunaire et fragmentée, insuffisamment coordonnée et pas toujours bien financée. De gros progrès restent à faire.
M. le président Jean-Marc Zulesi. Je vous remercie pour cette présentation synthétique et laisse la parole aux représentants des groupes politiques.
Mme Olga Givernet (RE). Au nom du groupe Renaissance, je tiens à féliciter la Cour des comptes pour avoir choisi de traiter la question de l’adaptation au changement climatique. Ce travail remarquable met en lumière les considérations budgétaires, qui ne peuvent plus être dissociées de l’urgence climatique. L’adaptation au changement climatique est au cœur des préoccupations de nos concitoyens et de l’action gouvernementale, alors que la France a connu un record de température en 2023, avec une augmentation moyenne de 1,48 degré. Le troisième Pnacc, visant à se préparer à un réchauffement de plus de 4 degrés, est prévu pour l’été 2024. Nous espérons tous que ce scénario n’est pas inéluctable, mais il est impératif de s’y préparer. Ignorer cette nécessité serait une folie. Toute la société devra s’adapter, comme les individus, des infrastructures aux gestes du quotidien.
Votre rapport met en avant quatre grands défis pour déployer une politique d’adaptation efficace, objectif que le groupe Renaissance partage pleinement. Le premier défi concerne l’horizon des événements. Il est toujours difficile de se projeter dans des événements futurs plutôt que de se concentrer sur ceux qui sont immédiatement visibles. Pourtant, les signaux de ces événements futurs sont déjà présents. La planification lancée par le gouvernement, qui nous oblige à nous projeter à 50 voire 70 ans, est donc d’une importance capitale. Vous avez mentionné les prévisions. Comment envisagez-vous mener ces travaux de prévision ?
Le deuxième défi porte sur la clarté de la gouvernance. La multiplicité des plans peut nuire à la lisibilité de l’action publique, notamment au niveau communal. Le groupe Renaissance salue à cet égard le travail du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et le lancement des conférences des parties (COP) régionales. Nous collaborons avec les préfectures pour fédérer les efforts dans les territoires.
Le dernier défi que vous évoquez concerne l’adhésion des citoyens. Le plan de sobriété a démontré son efficacité. Comment pourrions-nous aller encore plus loin dans cette démarche ?
M. Emmanuel Blairy (RN). J’ai examiné avec une grande attention le rapport annuel 2024 de la Cour des comptes, en particulier le paragraphe concernant l’adaptation des villes au changement climatique. Les rapports de la Cour des comptes sont d’une richesse considérable en termes de contenu et d’analyse. Le gouvernement et les services de l’État devraient y consacrer davantage de temps et d’énergie, afin de corriger les erreurs identifiées.
Le rapport met en lumière que l’enchevêtrement des documents de planification crée une complexité inutile, entravant les solutions nécessaires pour lutter contre le changement climatique. Les administrations locales éprouvent des difficultés à appliquer certaines dispositions législatives ou réglementaires, souvent avec retard. Avec le Rassemblement national, nous combattons la surrégulation et l’inflation normative pour promouvoir des dispositifs simplifiés, une position partagée par la Cour des comptes.
Par ailleurs, certaines agglomérations commencent à fusionner des documents de planification, ce qui constitue un progrès. La Cour recommande des solutions simples et de bon sens pour la renaturation urbaine, telles que la végétalisation des sols. En plus de rafraîchir la ville, certains végétaux ont la capacité de capturer les particules en suspension, contribuant ainsi à la lutte contre la pollution. Il est frappant de constater que les effets du changement climatique pourraient être atténués par la mise en place de solutions de bon sens, que l’on cherche à imposer de manière verticale par un corpus normatif inflationniste, dont la mise en application est finalement peu contrôlée, sinon par ce rapport de la Cour.
En conclusion, il serait plus efficace pour le climat de planter des arbres plutôt que de rédiger des documents d’orientation expliquant pourquoi il faut planter des arbres.
Mme Clémence Guetté (LFI–NUPES). Je vous remercie pour votre intervention et pour la qualité du rapport, qui présente des constats critiques et indispensables. Aujourd’hui, nous faisons face à une contradiction. Le camp macroniste promet 1 000 milliards d’euros en Europe pour la croissance verte, tout en exigeant en France 20 milliards d’austérité sans vote. Dans cette grande cure, la politique écologique est la plus touchée ; la victime principale est MaPrimeRénov’. Alors que l’urgence consiste à élargir et à amplifier cette prime, comme pour tous les travaux sur l’adaptation, le gouvernement préfère réduire les aides, quand bien même le véritable problème réside dans les recettes. En effet, chaque année, la Macronie prive les finances publiques de plus de 70 milliards d’euros. Ces décisions sont incompréhensibles, et votre rapport le confirme. Notre pays est très loin d’être préparé aux effets du changement climatique. Ce n’est pas un problème pour plus tard ; les conséquences sont déjà tragiques pour des centaines de milliers de Français. Nous l’avons vu dans le Pas-de-Calais, où rien n’était prêt, où les mécanismes d’alerte n’ont pas fonctionné, où les secours étaient insuffisants en nombre et en moyens. Aujourd’hui encore, les 450 000 personnes touchées par les inondations ne sont pas correctement relogées ou indemnisées ; beaucoup ont même été radiées de leur assurance.
Il est tout simplement sidérant de constater que 44 millions de nos concitoyens sont exposés aux risques d’inondations et aux mouvements de terrain. L’inaction, par ailleurs, s’avère terriblement coûteuse. Les dégâts matériels liés aux inondations sont estimés à plus de 0,5 milliard d’euros. Les interventions des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ont coûté 4 millions d’euros et un tiers des individus touchés développent des troubles psychologiques nécessitant une prise en charge. Un autre exemple d’inaction concerne la pollution de l’air, qui nous coûte 100 milliards d’euros par an. Nous allons droit dans le mur. Or lorsque des jeunes se mobilisent face à cette inaction, le gouvernement répond par la répression et l’austérité, sacrifiant ainsi notre avenir à toutes et tous. Il est donc temps de changer de cap. Pour cela, je pense qu’il faut cesser rapidement avec l’austérité mal placée.
M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Votre rapport public annuel critique sévèrement l’absence de vision de l’État en matière d’adaptation au changement climatique, soulignant un manque de données suffisantes et d’objectifs clairs. Vos constats sur la méconnaissance de l’administration sur son parc immobilier ou l’état des réseaux sont ainsi affolants. Le rapport Pisani-Ferry propose une augmentation des dépenses pour financer la transition écologique. Quelle est la position de la Cour des comptes sur cette question ? Existe-t-il un intérêt budgétaire à anticiper ces dépenses, qui pourraient s’avérer bien plus lourdes sans une forte anticipation de la part des pouvoirs publics ?
Au cours des dix dernières années, la dette de la France a augmenté de près de 1 000 milliards d’euros. Quelles sont les conséquences sur nos taux d’intérêt et notre capacité à contracter de nouveaux emprunts ? Est-il envisageable de mobiliser le levier monétaire plutôt que de procéder à des coupes budgétaires qui menacent la croissance et le pouvoir d’achat ?
La vérité est que la France ne pourra pas financer son adaptation au changement climatique tant qu’elle n’aura pas adopté une stratégie claire en matière de réduction des dépenses et de recréation de richesses. Cela impliquerait de revenir sur des réformes néfastes telles que les 35 heures, la création de nouveaux impôts et l’accumulation de normes.
Votre rapport préconise ensuite une reprise en main par Paris de l’action climatique locale, au détriment des communes. Renforcer le portage national de ces politiques peut se concevoir, mais seulement si l’État est irréprochable sur ces financements. Or le gouvernement peut-il affirmer avoir créé un effet de levier suffisant en 2024, avec à peine 7 milliards d’euros supplémentaires, et même moins de 4 milliards après les coupes budgétaires ? La Cour des comptes envisage-t-elle de mener une analyse approfondie de l’efficacité économique et écologique des dotations d’investissement de l’État, notamment le fonds vert, sur lequel pèsent des soupçons d’effets d’aubaine ? Une augmentation réelle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en euros constants n’est-elle pas inévitable pour ancrer les anticipations d’épargne des élus et ainsi favoriser leurs investissements futurs ?
Enfin, vos conclusions semblent ignorer les réalités de nos territoires, comme sur les procès en mal adaptation faits à l’élevage alors même qu’un rapport de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) montre que le stockage de carbone par les prairies permanentes permet de compenser les émissions de méthane sur ces mêmes prairies. N’est-il donc pas temps de mettre fin à « l’élevage bashing » et de reconnaître et soutenir nos agriculteurs, notamment ceux qui adoptent des méthodes de production respectueuses de l’environnement ?
Ces enjeux ne doivent pas seulement être abordés sous un angle technique ou économique, mais également sous un angle démocratique, d’un point de vue local.
Mme Delphine Lingemann (DEM). Je souhaite attirer votre attention sur deux défis majeurs dans le contexte de l’adaptation au changement climatique : la rénovation énergétique des logements et la décarbonation des mobilités. Dans le Puy-de-Dôme, comme dans la plupart des départements, l’efficacité énergétique de notre parc immobilier est loin d’être optimale, malgré la nécessité de renforcer la résilience de nos infrastructures face aux effets du changement climatique. Dans ce contexte, la rénovation énergétique des logements, notamment des passoires thermiques, apparaît comme une mesure essentielle. En améliorant l’efficacité énergétique de ces habitations, nous réduisons non seulement nos émissions de gaz à effet de serre mais nous renforçons également notre capacité à faire face aux variations climatiques et à diminuer notre dépendance aux énergies fossiles.
Un autre sujet majeur concerne la transition vers les mobilités durables. Ce vaste mouvement de décarbonation de nos mobilités est accompagné de nombreux dispositifs fiscaux. Ma question est donc la suivante : comment la cour des comptes évalue-t-elle l’efficacité des actions telles que MaPrimeRénov’ ? Cette mesure touche-t-elle sa cible, tant en matière d’économie d’énergie que d’efficience de la dépense ? J’élargirai la question à toutes les mesures fiscales en faveur de la mobilité durable, notamment le soutien à l’achat de voitures électriques ou encore les actions de rétrofit.
M. Henri Alfandari (HOR). Je vais aborder directement la question budgétaire. Les politiques d’aménagement du territoire sont nombreuses et les collectivités territoriales y jouent un rôle majeur. Cependant, les coûts d’études sont considérables. Dans ces coûts, le nombre de jours/hommes n’est pas pris en compte. Un processus de simplification pourrait-il dégager des marges de manœuvre ? De plus, le nombre de guichets et les taux d’intervention de nos directions régionales, du fonds vert, du fonds européen de développement régional (FEDER) et autres, font que nous finançons souvent insuffisamment certains projets vertueux, tandis que d’autres, moins pertinents, reçoivent trop de fonds. Par ailleurs, la typologie des projets finançables est très large et il est parfois légitime de se demander s’il est raisonnable de continuer à développer certains équipements plutôt que d’en rénover ou d’en créer de nouveaux. Nos financements engendrent également des effets inflationnistes sur la commande publique. En injectant beaucoup d’argent simultanément, nous envoyons un signal qui incite tout le monde à s’engager en même temps, créant ainsi un effet tunnel. Souvent, les acheteurs publics sont perçus comme de bons clients, ce qui entraîne une hausse des prix et réduit l’efficacité de nos politiques publiques. En outre, la transition climatique et la planification sont envisagées à travers une forte ingénierie et un emploi conséquent. Pouvez-vous évaluer le pourcentage de l’investissement direct qui sera réellement consacré à la transition ? Par ailleurs, nous sommes tous très demandeurs de planification au sens des documents d’orientation. Cela nécessite des cabinets d’études et des révisions générales, qui ont un coût et représentent autant d’argent non investi dans la planification. Je souhaiterais également connaître votre avis sur les simplifications qui permettraient d’accroître les investissements. Enfin, pourriez-vous proposer une vision pluriannuelle qui offrirait de la visibilité aux élus et aux acteurs pour une meilleure planification ?
M. Bertrand Petit (SOC). Le dérèglement climatique est déjà une réalité. Selon les scénarios les plus probables, les températures en France devraient augmenter de 3,8 degrés d’ici la fin du siècle, soit plus que la moyenne planétaire. Il est donc urgent de mettre en œuvre des objectifs d’adaptation au changement climatique. La Cour des comptes identifie plusieurs limites à l’action publique en la matière. Dans les prochains mois, nous adopterons le troisième Pnacc, qui constitue un instrument de planification. La Cour des comptes estime qu’il devrait être sensiblement différent des précédents plans, avec une enveloppe budgétaire augmentée de 3 milliards d’euros supplémentaires, dont 1 milliard pour les budgets publics, selon les estimations du rapport Pisani-Ferry – Mahfouz. La Cour préconise également de rééquilibrer les moyens en faveur de la recherche sur l’adaptation et l’atténuation, de soutenir et d’accélérer les projets de recherche et de développement ainsi que les expérimentations liées à la prévention des risques d’inondation et de retrait-gonflement des sols argileux. Elle recommande aussi d’identifier et de mesurer les coûts d’adaptation au changement climatique des parcs de production nucléaire et hydroélectrique, ainsi que des réseaux électriques de transport et de distribution. Il s’agit encore de dépenses supplémentaires.
Cependant, la Cour des comptes constate également des finances publiques dégradées et met en cause les baisses significatives de prélèvements obligatoires. Un double constat est donc dressé : d’une part, le besoin de financement de nos objectifs d’adaptation au changement climatique ; d’autre part, des finances publiques dégradées après des années de baisses de recettes pour les budgets publics. C’est pourquoi le groupe socialiste se demande si la politique fiscale actuellement conduite par le gouvernement est encore compatible avec nos objectifs d’adaptation au changement climatique. Ce double constat ne commande-t-il pas une inflexion de la politique fiscale ?
M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Comme le rappelle le rapport, 2022 et 2023 ont été les années les plus chaudes depuis 1850, avec une augmentation de 1,4 degré par rapport aux températures moyennes enregistrées entre 1991 et 2020. Ces chiffres montrent à eux seuls l’urgence de se mobiliser face aux conséquences du réchauffement climatique, y compris pour les pouvoirs publics. Après cette prise de conscience, il est temps de s’interroger sur les méthodes et les moyens alloués pour anticiper les conséquences de ces changements climatiques et comprendre leurs incidences sur la vie quotidienne. Qui doit fournir l’effort ? Comment celui-ci doit-il se répartir entre pouvoirs publics, entreprises, ménages, associations, chercheurs, etc. ? Ces questions sont légitimes, surtout dans un contexte où les finances publiques restent préoccupantes. La question de l’efficacité à moindre coût est également primordiale.
L’efficacité passe aussi par la territorialisation des moyens, car les conséquences climatiques varient d’un territoire à l’autre. Planifier au niveau national serait un non-sens. Comment appréhendez-vous cette territorialisation ? Pouvez-vous détailler et évaluer les mécanismes spécifiques pour assurer une coordination efficace entre les différents niveaux de collectivités et les acteurs locaux dans la mise en œuvre de cette planification territorialisée ? Il s’agit de garantir que les actions entreprises soient cohérentes et adaptées aux particularités de chaque territoire.
Enfin, dans le secteur du logement, l’accompagnement des pouvoirs publics dans les parcours de rénovation, par exemple, suscite des interrogations en raison de l’instabilité des moyens. Quelle est l’incidence de cette instabilité, qui est incompatible avec la planification ?
Mme Lisa Belluco (Ecolo – NUPES). Après des décennies d’attentisme, le changement climatique est désormais une réalité indéniable. En France, la température moyenne a augmenté de 1,4 degré par rapport à la période 1991-2020. Les canicules, sécheresses et inondations se multiplient. Il est donc impératif non seulement de lutter contre le changement climatique, mais également de s’y adapter. Cette adaptation de nos logements, de nos infrastructures et de notre agriculture engendre et continuera d’engendrer des coûts de plusieurs milliards d’euros d’argent public par an. Cela devrait inciter ceux qui s’inquiètent du niveau de la dette publique à s’engager activement dans la lutte contre le changement climatique.
Je tiens à saluer le travail de la Cour des comptes. Ce rapport révèle que l’évaluation des coûts de l’adaptation est lacunaire, voire inexistante, en raison d’un manque de données suffisantes et parfois d’objectifs clairs. Selon vous, qu’est-ce qui explique ce retard au Parlement et au sein du gouvernement ? Quels outils devons-nous développer pour réaliser cette évaluation, sachant qu’elle ne peut être pleinement effectuée au moment de l’examen du projet de loi de finances, largement contraint par l’utilisation de l’article 49.3 ?
La Cour des comptes ne propose pas de chiffrage des besoins de financement ou des financements déjà réalisés. En 2022, l’I4ce avait estimé qu’au moins 2,3 milliards d’euros de financements supplémentaires par an étaient nécessaires pour s’adapter aux conséquences du changement climatique. Quel est votre avis sur cet ordre de grandeur ?
Dans votre rapport, vous indiquez également que l’État ne joue pas correctement son rôle, qui consiste notamment à fixer des objectifs et à définir une trajectoire pour les atteindre. Récemment, nous avons étudié le projet de loi d’orientation agricole, qui ne comportait pratiquement aucun objectif ni aucune trajectoire, qui ne contenait rien sur la réduction des pesticides et engrais de synthèse, la réduction de la consommation d’eau, l’augmentation du revenu des agriculteurs ou la réduction des traités de libre-échange. Les objectifs de développement de l’agriculture biologique ont même failli être supprimés. Considérez-vous que ce type de projet de loi est à la hauteur du rôle de stratège que doit jouer l’État ?
M. Pierre Moscovici. La Cour n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions. Ce rapport n’est pas exhaustif ni macroéconomique. Il offre une série de coups de projecteur qui, mis bout à bout, fournissent un panorama inédit des politiques d’adaptation au changement climatique. Je vais essayer de regrouper mes réponses, sans commenter tous les aspects de l’action gouvernementale sachant que nous ne sommes pas des censeurs. Je ne crois ni au gouvernement des experts ni à celui des juges, mais à la démocratie représentative, c’est-à-dire un dialogue entre un exécutif qui exécute et un Parlement qui légifère et contrôle. Notre mission est d’informer le citoyen par nos analyses, une tâche déjà lourde et riche.
Le premier sujet que vous avez évoqué concerne la prévision et la connaissance. Plusieurs questions ont été posées à ce sujet. La Cour des comptes, par nature, regarde dans le rétroviseur car elle contrôle et évalue les politiques accomplies. Ce n’est pas le commissariat au plan, la direction de la prévision ou l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Cependant, nous souhaitons éclairer les choix de politique publique. Bien que nous n’ayons pas de mission de prévision, nous devons vérifier que les pouvoirs publics disposent d’instruments de prévision efficaces. C’est pourquoi nous réfléchissons à un rapport annuel de la Cour sur la transition écologique pour permettre cette veille. Vous m’interrogez sur l’I4ce. J’ai indiqué qu’il s’agissait d’une estimation disponible, de 2,3 milliards d’euros, qui paraît plausible, sans que nous disposions toutefois des moyens de dire si c’est réaliste ou un minimum. Nous réfléchissons également au moment opportun pour présenter ce rapport devant le Parlement. Il me semble que le mieux serait de le faire en septembre, avant ou en amont du projet de loi de finances, car les données financières et écologiques sont étroitement liées. J’espère donc pouvoir présenter en septembre 2025 le premier rapport public de la Cour sur la transition écologique, qui deviendrait annuel. Ce rapport ne serait pas obligatoire comme d’autres mais il s’inscrirait dans la série de nos rapports récurrents.
S’agissant du deuxième sujet relatif à la simplification, nous y sommes évidemment tout à fait favorables à la simplification. Cependant, simplification ne doit pas signifier dérégulation. Il est essentiel de ne pas considérer que toute régulation ou législation est mauvaise. Ces domaines sont assez techniques et nécessitent des repères clairs pour les acteurs concernés. Ainsi, il est nécessaire de mettre en place une meilleure régulation. En d’autres termes, nous devons pouvoir à la fois élaborer des documents d’orientation et mettre en œuvre des actions concrètes. L’un n’exclut pas l’autre, même si les documents d’orientation ne doivent pas tous être en format papier, afin de préserver les ressources forestières.
Le troisième sujet que vous avez évoqué concerne les collectivités territoriales et la décentralisation. Je tiens à préciser que la Cour ne prône pas de recentralisation des politiques de transition écologique ou énergétique. Nous recommandons plutôt une meilleure articulation entre la stratégie nationale et les plans locaux. Les collectivités sont évidemment essentielles pour prendre des décisions de transition au niveau local. Nous proposons d’instaurer une véritable culture de la planification et de la gestion du risque. En effet, les enquêtes que nous avons menées montrent que la planification, lorsqu’elle existe, est souvent défaillante ou dispersée, que ce soit dans des domaines comme l’immobilier ou à l’échelle des villes. Parfois, des planifications locales existent mais elles sont incomplètes ou appliquées de manière inégale. C’est le cas, par exemple, pour la stratégie nationale de gestion du trait de côte, sur laquelle nous avons également rédigé un rapport spécifique. Ces planifications sont peu coordonnées et mal réparties entre les différents échelons des collectivités, comme en témoignent certaines stations de montagne, qui cherchent à diversifier leurs activités en s’appuyant sur une échelle trop étroite qui est celle de la commune, alors que l’intercommunalité ou le massif seraient plus pertinents. Dans ce contexte, l’État doit jouer un rôle de pilote et coordonner les nombreux acteurs concernés. Le Pnacc doit fournir des trajectoires et des points de repère.
Le quatrième sujet que je souhaite aborder concerne le rapport avec les finances publiques. Le débat démocratique sur ce sujet est essentiel, et les points de vue divergent selon les appartenances politiques, conduisant à des choix très différents. Je ne me prononcerai pas sur ces choix, mais je souhaite souligner plusieurs points. Premièrement, avec une longue expérience de la vie publique, je n’ai jamais été partisan de l’austérité, qui affaiblit et appauvrit l’État, empêchant ainsi l’action publique. En France, malgré les affirmations, nous en sommes au cinquantième budget consécutif en déficit. La dette publique a doublé en trente ans, augmentant de 47 points depuis 2001, à l’entrée dans l’euro. En termes d’austérité, nous avons fait mieux. Nous ne sommes pas des spécialistes de l’austérité en France. Notre situation d’endettement ne peut perdurer. La réduction de la dette publique doit être une cause commune. Nous atteignons aujourd’hui 3 200 euros de dette publique par habitant ; à ce rythme, le montant sera porté à 3 600 euros en 2027. La dette publique atteint 110 % du produit intérieur brut (PIB) et continue d’augmenter. Lors de l’entrée dans l’euro en 2001, alors que j’étais ministre des affaires européennes, le pourcentage de dette publique dans le PIB était identique à celui de l’Allemagne, soit environ 58 %. Aujourd’hui, l’Allemagne atteint 65 % et redescendra à 60 % l’année prochaine, tandis que nous sommes à 110 %. Cette divergence est très difficile à gérer. De plus, cette charge de la dette extrêmement importante nous prive de toute marge de manœuvre. Elle était de 25 milliards d’euros en 2021. Elle atteint 55 à 57 milliards d’euros cette année selon les chiffrages, compte tenu de l’inflation et de la fin de la période des taux d’intérêt négatifs. Désormais, les taux d’intérêt sont positifs et ils le resteront assez durablement, même si la Banque centrale européenne décide de baisser ces taux le mois prochain, ce qui semble probable. Je ne crois pas du tout à la substitution de la politique monétaire à la politique budgétaire. Il faut une articulation entre les deux, ce qu’on appelle un policy mix. Dans ce contexte, la charge de la dette atteindra probablement 85 milliards d’euros en 2027, si les objectifs prévus par le pacte de stabilité sont remplis. Cependant, j’ai quelques doutes sur la crédibilité et la cohérence de ce document. Comme le haut conseil des finances publiques l’a également souligné, la charge de la dette risque d’être en réalité encore plus élevée. Nous nous trouvons dans une situation sans aucune marge de manœuvre, ce qui est très préoccupant pour deux raisons. Premièrement, nous pourrions faire face à de nouveaux aléas politiques et économiques. Force est de constater qu’au cours des vingt dernières années, les crises se sont multipliées, qu’elles soient énergétiques, climatiques ou liées à une pandémie. Comment faire face à une pandémie sans marge de manœuvre ? Il vaut mieux avoir une dette publique à 60 % du PIB qu’à 110 % et une charge de la dette de 5 milliards plutôt que de 90 milliards d’euros. Deuxièmement, pour financer les politiques d’avenir, il est impératif de réduire la charge de la dette. Comment financer des centaines de milliards d’euros d’investissement pour la transition écologique, que je considère comme nécessaires, ou des dizaines de milliards d’euros pour la transition numérique ? Comment garantir une défense nationale à la hauteur, dans un contexte géopolitique extrêmement dangereux si la charge de la dette nous paralyse dès le début de l’année ? C’est tout simplement impossible.
Il existe divers remèdes pour améliorer la situation. Certains préconisent une augmentation de la fiscalité, d’autres misent sur la croissance et d’autres encore sur la réduction des dépenses. En réalité, les trois leviers sont disponibles. Cependant, il est important de noter que nous ne sommes pas à l’aube d’une période de prospérité comparable aux Trente Glorieuses. Ceux qui pensent que la croissance seule suffira se trompent. Par conséquent, il est nécessaire de réaliser des économies dans les dépenses publiques. Avec 57 % de dépenses publiques dans le PIB, il existe des marges de manœuvre. La France a une préférence collective pour la dépense publique, ce qui n’est pas absurde en soi puisqu’il s’agit d’un consensus. Cependant, cette dépense publique doit être extrêmement efficace. Si nos concitoyens étaient convaincus que l’éducation nationale était en excellent état, alors qu’elle recule dans les classements du programme international pour le suivi des acquis (Pisa), que notre système hospitalier a pleinement bénéficié des 60 milliards d’euros d’augmentation des trois dernières années ou encore que la politique du logement relance à elle seule le secteur du bâtiment et permet des mouvements significatifs dans le logement social alors que ce n’est pas le cas, nous pourrions justifier cette dépense. En réalité, la dépense publique représente deux fois plus que ce que l’on pourrait attendre dans le PIB. Il ne s’agit pas de tout torpiller, mais d’améliorer la qualité de la dépense publique. À cet égard, je crois beaucoup aux revues de dépenses publiques comme instrument pour fonder un raisonnement informé sur la manière d’améliorer la qualité.
Enfin, j’aborde une dimension fondamentale, la dimension sectorielle, puisque notre rapport est structuré ainsi. Je souhaite dire quelques mots sur MaPrimeRénov’. Les modifications annoncées pour 2024 prévoient une meilleure prise en compte des pics de chaleur. Les rénovations globales devraient intégrer plus efficacement les techniques d’isolation et de ventilation. Cependant, ces avancées restent timides à nos yeux et ne sont pas à la hauteur du risque de mal adaptation des logements, lié à l’augmentation annuelle de 8 % du recours à la climatisation mécanique, qui accroît les dépenses d’énergie. Cette politique peut encore être améliorée en termes de qualité. Il est à noter que je ne crois pas non plus que le rabot soit la solution idéale. Je préfère des lois de finances correctement prévues plutôt que des ajustements annoncés deux mois après, basés sur des prévisions que l’on savait inexactes. En septembre, le haut conseil, pluraliste, a affirmé qu’il ne croyait pas à une croissance de 1,4 %. Deux mois plus tard, un rabot est mis en œuvre, qui constitue toujours la manière la plus « bête » de diminuer les dépenses publiques.
En ce qui concerne « l’élevage bashing » qui a été dénoncé, il fait référence à un rapport particulier de la Cour des comptes paru l’an dernier. Les conclusions étaient peut-être un peu hâtives ; je les avais moi-même commentées. Néanmoins, il est exact que dans ce secteur, il faut privilégier des modes agricoles moins consommateurs de gaz à effet de serre.
Je conclurai par quelques mots sur l’efficacité des incitations financières. Les juridictions financières s’emploient à améliorer l’efficacité des politiques publiques. Nous avons déjà rédigé des rapports sur MaPrimeRénov’. Nous prévoyons d’examiner divers dispositifs et l’impact de la politique fiscale sur l’énergie. Notre production est constante.
Le rapport annuel que j’ai mentionné ne sera pas exhaustif de nos travaux. Depuis 2018, une chambre est entièrement dédiée à ce sujet. Je pense que l’ensemble de ses travaux contribue à éclairer le débat public. Nous n’avons pas la prétention de détenir la vérité absolue. J’ai toujours considéré qu’un rapport de la Cour des comptes était réfutable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces rapports sont parfois contredits. Ceux-ci constituent toutefois des éléments d’analyse basés sur des informations objectives, chiffrées et collégiales, vous permettant de prendre des décisions mieux éclairées. Dans la période actuelle, marquée par la désinformation, notre volonté et notre ambition sont d’être utiles.
M. le président Jean-Marc Zulesi. Merci. Je vous propose à présent de passer aux questions d’une minute.
Mme Catherine Couturier (LFI-NUPES). Pour la première fois, la cour des comptes lie la forêt, la filière bois et le changement climatique dans son rapport annuel. Bien que je salue cette initiative, plusieurs interrogations se posent. Vous pointez les inadéquations de la gestion forestière, qui entraînent des conséquences tant sur l’environnement, en affaiblissant le rôle de la forêt en matière de séquestration du carbone, que sur la biodiversité. Cependant, aucune de vos remarques n’aborde concrètement la question des pratiques. Pourtant, de nombreuses pratiques, telles que les coupes rases, entraînent une perte manifeste de biodiversité et de stockage de carbone. Le directeur de l’Office français de la biodiversité (OFB) vous a alerté sur l’intérêt de la régénération naturelle à partir des essences déjà présentes. Cela est d’autant plus pertinent que le plan « 1 milliard d’arbres » favorise uniquement la replantation en monoculture suite à des coupes rases. Actuellement, 88 % des aides sont destinées à des plantations après coupes rases. De plus, 10 000 hectares de forêts saines et bien portantes ont été rasés pour planter des arbres sur ces surfaces. Surtout, 6 500 hectares de coupes rases ont été réalisés en zone Natura 2000 pour y planter du Douglas. Que pensez-vous de ces coupes rases et de la replantation en monoculture de résineux, en particulier ?
M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Le changement climatique étant irréversible, vous avez souligné la nécessité de s’y adapter en mettant en œuvre des politiques ambitieuses. Mon groupe parlementaire insiste sur l’importance de le faire à travers une véritable planification écologique. J’aimerais attirer votre attention sur un projet d’infrastructure en cours qui ne s’adapte en rien et nous conduit droit dans le mur, à savoir la création d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Lyon à Turin. La population se mobilise justement ce dimanche, à Aoste, en Isère, contre ce projet. La Cour des comptes avait déjà exprimé des réserves en 2012, par le biais d’un référé qui rappelait que les coûts prévisionnels des travaux avaient doublé entre 2002 et 2011, passant de 12 milliards à 24 milliards d’euros. La Cour des comptes prévoit-elle de produire ou d’obtenir de nouvelles estimations des coûts prévisionnels ? En outre, ce projet constitue un écocide, entraînant le drainage de 150 millions de mètres cubes d’eau et l’artificialisation de 1 300 hectares de zones agricoles et naturelles. Nous sommes donc loin d’une adaptation au changement climatique. En 2012, vous recommandiez de ne pas écarter trop rapidement l’alternative consistant à améliorer la ligne existante.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Je souhaite vous interroger sur la taxe sur les transactions financières (TTF), un des leviers de financement de notre planification. Je collabore avec Action santé mondiale, notamment sur la question de la santé environnement. En 2016, la cour des comptes déplorait l’insuffisance des contrôles administratifs concernant cette taxe. Le contrôle des déclarations et du recouvrement de la TTF est jugé insuffisant. L’administration ne connaît pas l’ensemble des transactions et le contrôle se heurte à de nombreuses difficultés juridiques et techniques. Euroclear France, malgré sa fonction de dépositaire central, n’a pas connaissance de l’ensemble des transactions potentiellement assujetties à la taxe. Vous avez souligné que la faiblesse des contrôles actuels appelle de nouvelles actions de la part de l’administration, visant notamment une amélioration des échanges d’informations entre les services gestionnaires. Le 19 juin 2017, vous avez écrit au ministre de l’économie et à celui des comptes publics en les interpellant sur trois points précis. Pourriez-vous nous indiquer quelle a été la suite donnée à votre interpellation des ministres en 2017 ?
M. Didier Padey (DEM). Je tiens à saluer la qualité de votre travail sur l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. En tant que député savoyard, je préfère me concentrer sur l’avenir plutôt que de revenir sur la polémique générée par le rapport des chambres régionales des comptes de février 2024 concernant les stations de montagne face au changement climatique. Il ne s’agit pas de refaire le match. En ce qui concerne la montagne, je salue votre recommandation d’évaluer la vulnérabilité des stations face à la hausse des températures, non seulement sous l’angle climatique, mais également en prenant en compte d’autres facteurs, tels que le poids économique des stations. Ce dernier est déterminant pour apprécier la capacité des acteurs de la montagne à s’adapter. Vous reconnaissez également que les données indispensables pour évaluer cette vulnérabilité sont actuellement dispersées. En conclusion, vous proposez de permettre le regroupement de ces données sous le pilotage de l’État via un observatoire national auquel l’ensemble des acteurs concernés aurait accès, pour les mettre en capacité d’élaborer les bonnes stratégies d’adaptation. Les acteurs de la montagne ont clairement compris l’urgence d’agir pour s’adapter au réchauffement climatique. Ils sont déjà engagés dans cette démarche et seraient probablement très heureux de bénéficier d’un tel observatoire. Pourriez-vous préciser les modalités de mise en œuvre de cet observatoire ?
Mme Véronique Riotton (RE). Je tiens à saluer le travail de la Cour des comptes sur l’adaptation au changement climatique. La question des financements est évidemment essentielle pour la transition écologique. Cependant, je regrette l’absence de référence à l’économie circulaire, qui permet de concevoir une efficacité accrue dans nos systèmes économiques. Pourquoi l’économie circulaire reste-t-elle un angle mort de l’adaptation, alors qu’il est possible de lier nos systèmes de production à la tension sur les ressources ? Je demande donc à la Cour des comptes de porter une attention particulière à ces questions.
Mme Sophie Panonacle (RE). En tant que présidente du comité national du trait de côte (CNTC), je souhaite vous apporter une information importante. Nous présenterons dans quelques semaines les recommandations du CNTC au ministre Christophe Béchu. Le financement des politiques d’adaptation des territoires, notamment littoraux, représente un défi majeur. Je vous rejoins sur ce point. Vous parlez de solidarité financière. Nous évoquons quant à nous une solidarité financière nationale, avec la création d’un fonds d’aide à la recomposition des territoires littoraux, financé de diverses manières, par exemple une taxe additionnelle aux droits de mutations, le déplafonnement de la taxe Gemapi ou de la taxe spéciale d’équipement et éventuellement une taxe sur les plateformes d’hébergement. Ces fonds serviraient à soutenir nos collectivités territoriales, notamment celles engagées dans un plan partenarial d’aménagement (PPA), pour financer l’entretien des ouvrages de protection, les actions de renaturation de nos communes ainsi que la préemption de biens par les acteurs locaux. Bien que ces dépenses soient supplémentaires, elles nous semblent indispensables pour atteindre nos objectifs. Vous avez mentionné des dizaines de milliards d’euros nécessaires pour les territoires littoraux. Permettez-moi de corriger une erreur. Il s’agit précisément de 84 milliards d’euros concernant 450 000 logements à l’horizon 2100, et non 2050.
M. Damien Adam (RE). En février dernier, vous avez publié un rapport sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), quatre ans après sa création. Depuis plusieurs mois, je porte le sujet d’une fusion de deux autres agences de l’État, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui sont deux institutions de l’État compétentes en matière de transition écologique, notamment en lien avec les collectivités territoriales. Ces deux agences interviennent sur les thématiques d’atténuation et d’adaptation au dérèglement climatique. Je souhaite savoir si la Cour des comptes a déjà réfléchi à cette fusion ou prévoit de réaliser un rapport sur cette possibilité et d’étudier ses conditions de succès, pour renforcer l’efficacité des politiques publiques climatiques de l’État en lien avec les collectivités territoriales, tout en permettant de réaliser des économies sur les nombreuses fonctions support existant entre les deux entités.
M. Jean-Pierre Taite (LR). La Cour des comptes préconise un recul des cultures céréalières, qui représentent un tiers de notre surface agricole utile, ainsi qu’une réduction drastique de la consommation de viande. Pourtant, seul un tiers de la production animale et des prairies pourrait être reconverti en agriculture végétale. Devons-nous transformer la politique agricole commune (PAC), initialement conçue pour soutenir le revenu de nos exploitants, en un outil de conversion de l’agriculture selon les critères que vous défendez ? Par ailleurs, vous évoquez la réforme du système assurantiel. Estimez-vous que celle-ci vise principalement à inciter les agriculteurs à s’adapter aux aléas climatiques, avant d’être un mécanisme d’indemnisation ? Enfin, la Cour des comptes met en lumière la pression exercée par le grand gibier sur le renouvellement forestier, appelant à une intervention de l’OFB pour organiser des battues administratives. Ne trouvez-vous pas cela quelque peu injuste pour nos chasseurs, qui se voient ainsi écartés de leur rôle après avoir été critiqués pendant des années pour leur contribution à cette régulation ?
M. Vincent Descoeur (LR). La mission sur l’adaptation de la politique de l’eau au changement climatique, dont Yannick Haury et moi-même étions rapporteurs, a mis en lumière les défis financiers auxquels les communes doivent faire face, qu’il s’agisse de l’entretien des réseaux ou de l’investissement dans de nouvelles unités de traitement pour contrer les pollutions émergentes. L’effort d’investissement nécessaire pour répondre à ces exigences est estimé entre 6 et 10 milliards d’euros. Les collectivités, au premier rang les communes, peuvent accéder à des aqua prêts mais elles devront impérativement recourir à l’emprunt. Cet emprunt ne pourra être réalisé sans l’engagement de l’État. La Cour des comptes alerte régulièrement sur le poids de la dette publique. Cependant, certains qualifient cette dette, consacrée à la transition écologique, de « bonne dette ». Comment alors concilier la mise en œuvre de ces indispensables travaux et le recours à l’emprunt ?
M. Jean-Marc Zulesi, président. Un certain nombre de propositions émanant de cette assemblée visent à extraire de la dette classique les investissements en lien avec la transition écologique. Quel est votre avis sur le sujet ?
Mme Danielle Brulebois (RE). Pour encourager les investissements en faveur de la décarbonation et de l’innovation dans le développement durable, deux approches s’opposent. D’une part, l’Europe a opté pour la tarification du carbone. D’autre part, les États-Unis et la Chine ont choisi de subventionner massivement les investissements et de soutenir les coûts associés au processus de décarbonation, notamment dans le secteur de l’énergie. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières suscite de vives inquiétudes parmi nos entreprises françaises, qui redoutent la concurrence des entreprises étrangères. Selon vous, quelles mesures devons-nous prendre pour garantir une concurrence équitable et encourager les investissements nécessaires dans notre industrie ? Comment pouvons-nous nous assurer que, dans dix ans, la France disposera encore d’une industrie lourde ?
M. Pierre Moscovici. La Cour des comptes n’a pas réponse à tout. Certains d’entre vous sont remontés assez loin dans le passé, évoquant le rapport de 2012 sur le Lyon-Turin ou ceux de 2016-2017. À cette époque, j’étais soit ministre des finances, soit commissaire européen, mais pas Premier président de la Cour des comptes. Toutefois, j’assume pleinement le rapport de la Cour. D’autres ont exploré des perspectives et nous ont proposé de nombreuses idées, comme un rapport sur l’économie circulaire ou la fusion Cerema-Ademe. Il est important de mesurer que la cour des comptes est une institution à taille humaine. Nous comptons environ 800 magistrats. Nous produisons aux alentours de 180 rapports par an et 1 100 dans les chambres régionales des comptes, ce qui témoigne d’une bonne productivité. Cependant, il nous est impossible d’être exhaustifs.
Nous réaliserons néanmoins un rapport sur l’Office nationale des forêts (ONF) et la transition écologique. Il s’agit d’un rapport d’initiative citoyenne, issue d’une plateforme que j’ai lancée, où les citoyens peuvent proposer des sujets de rapport. Celui-ci sera produit au cours de l’année. Nous tiendrons compte des souhaits exprimés. Concernant le Lyon-Turin, je connais bien le rapport de la Cour, car à l’époque, j’étais ministre des finances. Il est essentiel de mener à bien ce projet. Il s’agit d’un engagement très lointain, à l’égard d’un partenaire important, l’Italie, qui concerne la région Auvergne-Rhône-Alpes ainsi que des millions de personnes. Je ne tiens toutefois pas davantage à sortir de mon rôle.
Par ailleurs, en tant que ministre des finances puis commissaire européen à la fiscalité, j’avais lancé avec mon homologue allemand, le regretté Wolfgang Schäuble, un projet de TTF à l’échelle européenne dans le cadre d’une coopération renforcée. Malheureusement, nous n’avons pas pu aboutir, et nous vivons donc avec une petite taxe française. Je suis néanmoins persuadé que la bonne échelle d’action est au moins l’échelle européenne. Relancer cela dans le contexte actuel est une tâche complexe, mais nécessaire. Il faut également veiller à maximiser les recettes compte tenu du dispositif existant, bien que ce ne soit pas un domaine que nous avons expertisé en profondeur. Je rappelle que la Cour des comptes se concentre peu sur les travaux fiscaux, dont se charge le conseil des prélèvements obligatoires. La Cour des comptes se focalise plutôt sur la dépense publique et son impact sur le citoyen.
S’agissant des stations de montagne, je sais que notre rapport a été diversement apprécié. J’ai reçu des réponses de nombreux acteurs, allant des moniteurs de ski aux élus locaux, en passant par les associations nationales et les bassins. Je pense que ce rapport a eu le mérite d’accélérer la prise de conscience parmi les élus. Ce n’est pas à nous de mettre en place l’observatoire évoqué, mais je souhaite qu’il soit instauré rapidement par les pouvoirs publics. Dans notre rapport, nous avons proposé une série d’indicateurs, et non un observatoire, pour classer les différentes situations.
Les stations de ski sont un sujet de débat. Nous sommes très heureux d’avoir contribué à une certaine prise de conscience. Nous devons à mon sens combiner le traitement de la dette écologique et de la dette financière. Nous pouvons très bien articuler transition écologique et transition économique. Il faut toutefois être conscient de l’horizon temporel et, pendant cette période, adapter le modèle. Nous pouvons également adapter écologie et industrie. Il est vital pour un pays comme la France de conserver une industrie, pas nécessairement lourde, mais de toute nature. La Cour des comptes y voit une priorité pour notre pays, que ce soit dans le domaine de la santé, des industries alimentaires, de l’énergie ou de la défense.
En ce qui concerne le trait de côte, dans notre rapport, nous préconisons en effet un fonds comparable. Nous nous positionnons plutôt au niveau local, mais un débat est possible. Nous sommes dans une phase de revue des dépenses. Le Premier ministre m’a demandé de produire trois revues de dépenses pour la Cour des comptes : une sur l’assurance-maladie ; une autre sur les dispositifs de sortie de crise ; la troisième sur les collectivités territoriales. Je suis très frappé par le fait que chacun souhaite que des économies soient réalisées mais par les autres. Selon moi, l’efficacité et la qualité de la dépense publique sont essentielles. Je lirai donc avec beaucoup d’intérêt le rapport que vous produirez.
S’agissant des cultures céréalières, je pense qu’un malentendu persiste. Le rapport sur les bovins était excellent mais la conclusion ressemblait trop à une « règle de trois ». Les agriculteurs sont les premiers à s’adapter au changement climatique. Ils sont conscients de ce qu’ils doivent faire. Il ne s’agit pas d’adopter une politique d’abattage systématique. En revanche, il est de notre responsabilité collective de produire de manière qualitative, afin d’émettre le moins de gaz à effet de serre possible. La qualité de la dépense publique inclut également cette dimension. Par ailleurs, notre rapport public souligne que le secteur des céréales est exemplaire en matière d’adaptation au changement climatique. Nous ne préconisons en rien une réduction de la production nationale. Concernant la forêt et le gibier, il existe un véritable enjeu. À la suite d’une consultation citoyenne, nous avons réalisé un rapport sur le rôle des chasseurs en matière de biodiversité, que nous reconnaissons pleinement. Cependant, la prolifération du gibier doit être maîtrisée collectivement. Le sujet agricole est donc abordé avec le souci de mener les adaptations nécessaires, en lien avec les professions agricoles, dans le respect de la nature. Il serait absurde, dans un pays comme le nôtre, de développer une logique hostile à l’agriculture, compte tenu de la qualité de notre écosystème agricole.
Par ailleurs, nous faisons face, d’un côté, à une montagne de dette qui ne cesse de croître. Ces chiffres finissent par devenir ésotériques pour les Français. Je préfère d’ailleurs parler de la charge de la dette car c’est ce que nous devons gérer. Nous empruntons 270 milliards d’euros par an par l’intermédiaire de l’Agence France Trésor. Heureusement, cette dette est de qualité et se vend bien, ce qui explique que les agences de notation ne nous dégradent pas. Cependant, à un moment donné, nous nous heurterons à la question de la confiance. Il vaut mieux anticiper car les conséquences risquent d’être douloureuses. De l’autre côté, nous faisons face à un mur d’investissements. Vous mentionnez la politique de l’eau, mais cela inclut également la politique industrielle, la politique de défense, la transition écologique et la transition numérique. Toutes ces politiques impliquent des dépenses massives. Mais comment faire pour financer ces dépenses avec cette montagne de dette ?
Nous avons tendance à empiler les deux, alors qu’il est en réalité nécessaire de mettre en place un mécanisme de vases communicants. Il faut réduire la montagne de dette pour ériger le mur d’investissements. C’est le défi qui nous attend collectivement. Cela fait des années que nous tirons la sonnette d’alarme sans toujours être entendus. Toutefois, il semble que notre message commence à être perçu. Nos concitoyens sont désormais très conscients de la situation. L’opinion publique a compris le danger, et il est impératif de le traiter, quelles que soient les convictions politiques. Il existe plusieurs méthodes pour réduire la dette, qu’elles proviennent de la gauche, de la droite, du centre ou d’autres horizons. Cependant, il n’est pas possible d’ignorer ce sujet. Je ne vois aucun gouvernement, quel qu’il soit, capable de mener une politique cohérente avec un tel niveau d’endettement.
La semaine prochaine, je célébrerai mes quarante ans de vie publique. Je suis convaincu que sans finances publiques saines, il est impossible de mener de bonnes politiques publiques. Inévitablement, quelles que soient les options choisies par les Français demain, et celles que vous proposerez, gardez à l’esprit qu’il est essentiel de réduire la montagne de dette pour permettre la croissance du mur d’investissements. Si nous ne diminuons pas notre endettement, nous ne pourrons pas réaliser les investissements nécessaires et notre pays reculera. De plus, des sanctions finiront par s’abattre sur nous. Nous sommes au pied du mur. La situation de nos finances publiques doit être affrontée. Les dernières années ont vu des dégradations, des résultats insuffisants, une position relative de la France qui recule dans la zone euro et un niveau d’endettement préoccupant tant en valeur absolue qu’en comparaison avec d’autres pays. Il est impératif de prendre des décisions indispensables avec volonté politique, courage et pédagogie. Nos concitoyens ne sont pas dupes. Si nous expliquons pourquoi et comment agir, nous pouvons les mobiliser. En revanche, tergiverser ne mène nulle part.
Bien que je m’écarte de mon rapport, je tiens à vous remercier pour échange initial avec vous. Je serais ravi de revenir pour présenter d’autres rapports si vous m’y invitez. Ces moments sont pour moi une source de renouveau, car j’ai été élu trois fois député. J’ai le plus grand respect pour le Parlement et je rappelle que la mission de la Cour des comptes est d’informer cette institution. Philippe Seguin, un de mes prédécesseurs, affirmait que nous sommes à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement. Je prends cette mission d’information du Parlement aussi sérieusement que celle d’information du Gouvernement.
M. Jean-Marc Zulesi, président. Je vous remercie pour cette intervention, qui a manifestement suscité un vif intérêt.
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Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Réunion du mardi 28 mai 2024 à 16 h 40
Présents. - M. Damien Adam, M. Henri Alfandari, M. Gabriel Amard, Mme Lisa Belluco, M. Emmanuel Blairy, M. Jean-Yves Bony, M. Jean-Louis Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Mickaël Cosson, Mme Annick Cousin, Mme Catherine Couturier, M. Vincent Descoeur, Mme Olga Givernet, M. Daniel Grenon, Mme Clémence Guetté, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, Mme Delphine Lingemann, M. Jean-François Lovisolo, M. Hubert Ott, M. Didier Padey, Mme Sophie Panonacle, Mme Christelle Petex, M. Bertrand Petit, M. Nicolas Ray, Mme Véronique Riotton, M. Jean-Pierre Taite, M. Antoine Vermorel-Marques, Mme Juliette Vilgrain, M. Antoine Villedieu, Mme Anne-Cécile Violland, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. - Mme Nathalie Bassire, Mme Pascale Boyer, M. Jean-Victor Castor, Mme Claire Colomb-Pitollat, M. William Martinet, M. Marcellin Nadeau
Assistait également à la réunion. - M. Mickaël Bouloux